Imaginez la scène : vous portez le maillot de votre pays devant des dizaines de milliers de vos compatriotes, et au lieu d’encouragements, vous recevez des insultes. C’est exactement ce qu’a vécu la sélection mexicaine samedi soir à Torreon. Un match amical contre l’Uruguay soldé par un 0-0 frustrant, mais surtout marqué par les sifflets retentissants contre le gardien Tala Rangel. Et là, Raul Jimenez, habituellement si calme, a lâché une bombe en zone mixte qui fait encore trembler le football mexicain.
Quand le soutien devient poison
Le décor est planté à l’Estadio Corona. Le public, venu nombreux, espérait voir Carlos Acevedo dans les cages. Javier Aguirre, le sélectionneur, a préféré Tala Rangel. Dès l’annonce de la composition, les huées ont commencé. Puis les insultes. Le traditionnel « puto » lors des dégagements du gardien a résonné plus fort que jamais. Et pour couronner le tout, des cris réclamaient la tête du coach.
Raul Jimenez, touché au plus profond, n’a pas digéré. À la fin du match, micro tendu par TV Azteca, il a vidé son sac sans filtre :
« C’est triste de jouer à domicile et de se faire huer, d’entendre les gens crier « Vasco dehors » ou « puto » au gardien. C’est vraiment triste. C’est peut-être pour ça qu’ils nous emmènent toujours aux États-Unis. »
Une phrase. Une seule. Mais qui résume des années de frustration accumulée entre la sélection et une partie de son public.
Les États-Unis, terre d’accueil… par nécessité ?
Il faut dire que la réalité est brutale : le Mexique joue de plus en plus souvent loin de ses bases. Mardi déjà, El Tri affrontera le Paraguay à San Antonio, Texas. Un déplacement de plus dans un pays où la communauté mexicaine est immense et surtout… beaucoup plus bienveillante.
Pourquoi ? Parce que là-bas, les stades sont pleins (parfois plus de 80 000 spectateurs), l’ambiance est festive, et surtout, personne ne hue son propre gardien après dix minutes de jeu. L’argent aussi joue : les recettes sont colossales, les sponsors ravis. Mais au-delà du business, il y a désormais une raison humaine, presque émotionnelle.
Jimenez ne fait que dire tout haut ce que beaucoup de joueurs pensent tout bas depuis des années.
Un automne sans victoire qui exacerbe les tensions
Il faut remettre les choses en perspective. Depuis la victoire en Gold Cup cet été, le Mexique n’a plus gagné un seul match. Quatre nuls (Japon, Corée du Sud, Équateur, Uruguay) et une claque 4-0 contre la Colombie à Arlington. Un bilan famélique qui met tout le monde sous pression.
Les supporters enragent. Les joueurs aussi. Et quand la frustration monte, le premier bouc émissaire est souvent le gardien ou le coach. Tala Rangel, pourtant titulaire à Guadalajara, n’a rien demandé à personne. Il a simplement été choisi par Aguirre. Et il a payé le prix fort.
Ce n’est pas la première fois. On se souvient des sifflets contre Guillermo Ochoa par le passé, ou contre d’autres gardiens quand le public avait « son » favori. Mais cette fois, la sortie de Jimenez donne une dimension nouvelle : les joueurs en ont assez.
Javier Aguirre dans le viseur : une pression maximale
Le sélectionneur, revenu pour un troisième mandat, sait qu’il marche sur des œufs. À 66 ans, il connaît le football mexicain mieux que personne. Il sait aussi que la patience des supporters est limitée. Les cris « Vasco dehors » (Vasco étant son surnom) ont dû lui rappeler de mauvais souvenirs.
Mais Aguirre assume. Il a choisi Rangel pour tester, pour préparer la Coupe du monde 2026 que le Mexique co-organise. Il a le luxe incroyable de ne pas avoir à disputer les éliminatoires. Chaque match amical est un laboratoire. Quitte à essuyer les critiques.
Jimenez, lui, défend son coach implicitement. En pointant du doigt le comportement du public, il protège aussi l’équipe et le staff. Un rôle de leader qu’il endosse de plus en plus, même à 34 ans et après une carrière marquée par une grave blessure crânienne.
Le paradoxe mexicain : un public passionné mais destructeur
Le football mexicain vit une passion dévorante. Les stades sont pleins, les maillots verts partout, les débats enflammés. Mais cette passion peut vite tourner à l’excès. Le moindre faux pas est impardonnable. Le gardien qui prend un but devient un traître. Le coach qui tente quelque chose devient un incompétent.
Ce n’est pas nouveau. On se souvient des larmes de Javier Hernández hué à Los Angeles en 2011, ou des insultes contre Osorio après la Coupe du monde 2018. Mais à domicile, c’est encore plus violent. L’attente est immense. Et quand elle n’est pas satisfaite, la déception se transforme en colère.
Jimenez pose la question essentielle : jusqu’où peut-on supporter son équipe… en la détruisant ?
Vers un exil définitif des matches à domicile ?
La phrase de Jimenez n’est pas anodine. Elle ouvre un débat qui dépasse le simple match contre l’Uruguay. Faut-il continuer à organiser des matches amicaux au Mexique si le public se comporte ainsi ? La fédération mexicaine a déjà la réponse financière : non. Les recettes aux États-Unis sont bien trop juteuses.
Mais il y a désormais une raison sportive et humaine. Pourquoi exposer des joueurs à cette pression toxique quand ils peuvent évoluer dans une ambiance positive à deux heures d’avion ?
Avant la Coupe du monde 2026, chaque minute de jeu compte. Chaque expérience aussi. Si jouer à domicile devient un fardeau plutôt qu’un avantage, alors la décision semble évidente.
Les joueurs commencent à dire stop
Ce qui est nouveau, c’est que les joueurs osent enfin parler. Avant, on se taisait, on encaissait. Jimenez, avec son statut, son expérience à Wolverhampton et maintenant à Fulham, a le poids pour le faire. Et il n’est probablement pas le seul à penser ainsi.
Dans les vestiaires, les discussions doivent être animées. Combien de fois a-t-on vu des joueurs mexicains plus à l’aise à Los Angeles, Houston ou Chicago qu’à Mexico ou Guadalajara ? La réponse est dans la question.
Le message est clair : on veut bien mourir pour le maillot, mais pas se faire lyncher par ceux qu’on représente.
Et maintenant ?
Le prochain match contre le Paraguay à San Antonio sera scruté. Ambiance garantie, stade plein, soutien inconditionnel. Le contraste risque d’être saisissant avec ce qui s’est passé à Torreon.
Et pour la suite ? La fédération mexicaine va-t-elle continuer à privilégier les États-Unis jusqu’à la Coupe du monde ? Probablement. Et si le public local veut revoir El Tri à la maison, il va falloir apprendre à supporter… vraiment.
Parce qu’au final, le football reste un spectacle. Et personne n’a envie de jouer devant un public qui le déteste.
Raul Jimenez a peut-être lancé le débat le plus important du football mexicain depuis des années. Un débat qui dépasse le terrain. Un débat sur l’amour du maillot, sur le respect, sur ce que signifie vraiment supporter son équipe nationale.
Et vous, qu’en pensez-vous ? Le public mexicain a-t-il franchi la ligne ? Ou les joueurs doivent-ils accepter la pression comme faisant partie du jeu ? Une chose est sûre : la sortie de Jimenez ne laissera personne indifférent.









