Dans le milieu feutré du journalisme français, une petite bombe vient d’être lâchée. L’Association des journalistes antiracistes et racisé.e.s (AJAR) accuse ni plus ni moins le prestigieux quotidien Le Monde de pratiquer une forme insidieuse de discrimination envers les journalistes issus de la diversité. Selon un tweet incisif publié par l’association, ces derniers seraient cantonnés à des postes d’alternants ou de spécialistes de l’Afrique. Une révélation qui met en lumière les biais et le manque de représentativité qui gangrènent encore trop souvent les rédactions hexagonales.
Le plafond de verre du journalisme français
Malgré les beaux discours sur la diversité et l’inclusion, force est de constater que les médias mainstream peinent à refléter la société dans toute sa pluralité. Les journalistes racisés se heurtent encore trop souvent à un véritable plafond de verre qui les empêche d’accéder aux postes à responsabilité et de traiter des sujets autres que ceux liés à leurs origines supposées.
On espère que vous ne cantonnez pas “la diversité” aux postes d’alternant·es ou de spécialistes de l’Afrique.
– AJAR
Le tweet de l’AJAR, qui interpelle directement le compte du Monde, pointe du doigt ces pratiques discriminatoires qui relèvent d’un racisme systémique bien ancré. Loin d’être anecdotique, ce phénomène révèle les biais conscients ou inconscients qui président encore trop souvent aux recrutements et à la gestion des carrières dans le milieu journalistique.
Des stéréotypes tenaces
En cantonnant les journalistes racisés à certaines thématiques, en les enfermant dans des cases étroites, les médias véhiculent et renforcent des stéréotypes néfastes. Comme si un journaliste noir ou arabe ne pouvait être compétent que sur les questions liées à l’immigration, aux banlieues ou au continent africain. Une vision réductrice et essentialisante qui nie la diversité des parcours, des talents et des aspirations.
L’impératif de la représentativité
Pourtant, la représentation de la diversité dans les rédactions n’est pas qu’une question morale ou éthique. C’est aussi un enjeu démocratique majeur. Car comment prétendre informer et analyser une société plurielle avec des rédactions monocolores ? Comment offrir un regard juste et nuancé sur le monde quand une partie de la population est invisibilisée ou réduite à des clichés ?
- Selon une étude du CSA, seuls 16% des journalistes sont perçus comme “non-blancs” à la télévision française.
- Dans la presse écrite, la proportion chute à 5% selon une enquête de la Commission de la carte d’identité des journalistes professionnels.
Ces chiffres alarmants montrent l’ampleur du chemin à parcourir pour parvenir à une véritable inclusion dans les médias. Au-delà des déclarations d’intention, il est temps de passer aux actes, en mettant en place des politiques volontaristes de recrutement, de formation et de promotion interne.
Ouvrir les vannes des viviers
Car le problème ne se limite pas aux pratiques discriminatoires des rédactions. Il est aussi structurel, enraciné dans un système éducatif et social qui peine à ouvrir l’accès aux filières d’excellence, dont les écoles de journalisme, aux jeunes issus de milieux populaires et des minorités. Un phénomène d’auto-censure et de reproduction sociale qui appauvrit les viviers de talents.
Face à ce défi, des initiatives comme la Prépa égalité des chances tentent de corriger le tir en accompagnant ces étudiants vers les concours. Mais cela ne suffira pas si ensuite, le monde professionnel reproduit l’exclusion sous d’autres formes.
Un électrochoc salutaire ?
Le tweets de l’AJAR et la polémique qu’il suscite auront-ils l’effet d’un électrochoc salutaire ? On peut l’espérer. Car c’est toute la crédibilité et la pertinence du journalisme qui sont en jeu. À l’heure de la défiance envers les médias traditionnels, accusés d’être déconnectés, vieillissants, “entre-soi”, il y a urgence à se réinventer en s’ouvrant. La diversité n’est pas un supplément d’âme, mais une ardente nécessité. Faute de quoi, c’est un pan entier de la réalité́ française qui continuera d’être aveugle dans le récit médiatique dominant.
Alors oui, peut-être est-il temps que les grands médias français comme Le Monde passent leur logiciel en revue, traquent leurs biais et réinterrogent leurs pratiques de recrutement, de management et de traitement de l’information. Non pas pour céder à on ne sait quel “politiquement correct”, mais bien pour gagner en pertinence, en richesse de points de vue, en capacité à éclairer un monde de plus en plus complexe.
Car in fine, la question n’est pas d’opposer les journalistes “blancs” et “non-blancs”, mais bien de faire en sorte qu’un même média puisse refléter la pluralité des trajectoires, des sensibilités, des regards. Et que le journalisme, dans toute sa noblesse, puisse être exercé par toutes et tous, sans déterminisme de race ou d’origine. Tel est l’enjeu d’une presse réellement inclusive et universaliste. Un horizon vers lequel il nous faut tendre, un combat qu’il nous faut mener. Car c’est bel et bien la vitalité de notre démocratie qui en dépend.