Savez-vous que plus d’un habitant de Djibouti sur deux n’a jamais connu d’autre président que lui ? Depuis un quart de siècle, un seul homme incarne le pouvoir dans ce petit pays stratégiquement placé à l’entrée de la mer Rouge. À 77 ans, il vient d’annoncer sa candidature pour un sixième mandat, quelques jours seulement après avoir fait modifier la Constitution pour lever la barrière des 75 ans.
Un Homme au Pouvoir Depuis 1999
Ismaël Omar Guelleh, souvent appelé IOG par les initiés, dirige Djibouti d’une main ferme depuis mai 1999. Né en 1947 en Éthiopie voisine, il a grandi dans un contexte marqué par les luttes pour l’indépendance. Son parcours, atypique, l’a mené des rangs de la police à la tête de l’État, en passant par des postes clés dans l’ombre du premier président.
Ce leader charismatique, polyglotte parlant six langues, a su transformer la position géographique de son pays en atout majeur. Djibouti, avec ses un million d’habitants, est devenu un hub logistique et militaire incontournable. Mais derrière les succès économiques, les critiques sur la gouvernance autoritaire et la répression des libertés ne manquent pas.
Des Débuts Modestes en Éthiopie
Ismaël Omar Guelleh voit le jour à Dire-Dawa, en Éthiopie, où son père travaille comme cheminot. À 13 ans, il rentre à Djibouti, alors colonie française. Ses études s’arrêtent tôt. Jeune, il intègre la police, mais son engagement pour l’indépendance lui vaut d’être écarté.
Cette éviction ne freine pas son ascension. En 1977, quand Djibouti accède à la souveraineté, le président Hassan Gouled Aptidon le nomme chef de cabinet. Pendant plus de vingt ans, il occupe ce poste stratégique, cumulant les fonctions de responsable des services de sécurité et de renseignements.
Dans un pays marqué par les tensions entre les communautés Issa et Afar, ce rôle lui permet de consolider son influence. Issu du clan Issa comme son mentor, il navigue habilement dans les eaux troubles de la politique clanique.
« Contrôle absolu » sur le système politique.
Sonia le Gouriellec, spécialiste de la Corne de l’Afrique
L’Accession au Pouvoir en 1999
En 1999, Hassan Gouled Aptidon se retire après 22 ans à la tête du pays. Son dauphin naturel, Ismaël Omar Guelleh, prend la suite sans surprise. Élu avec plus de 75 % des voix, il entame une série de mandats confortables.
À chaque élection, les scores sont impressionnants : plus de 75 %, puis 80 %, culminant à 97 % en 2021. L’opposition, fragmentée ou en exil, peine à s’organiser. Le Parlement, largement acquis à sa cause, vote les réformes nécessaires pour prolonger son règne.
En 2010, une modification constitutionnelle supprime la limite de deux mandats. Le président promet alors que ce sera son dernier. Promesse oubliée quinze ans plus tard, avec la récente suppression de la limite d’âge.
Chronologie des mandats :
- 1999 : Première élection
- 2005 : Réélection
- 2011 : Troisième mandat après réforme
- 2016 : Quatrième victoire
- 2021 : 97 % des suffrages
- 2026 : Sixième candidature annoncée
Un Style de Gouvernance Autoritaire
Le pouvoir d’Ismaël Omar Guelleh s’exerce sans partage. Les libertés d’expression et de la presse sont sévèrement encadrées. Djibouti figure parmi les derniers au classement mondial de la liberté de la presse.
Les opposants font face à la répression, à l’exil ou à la cooptation. L’Assemblée nationale, dominée par le parti au pouvoir, vote systématiquement les textes favorables au président. Cette mainmise assure une stabilité apparente, mais au prix d’une démocratie en sommeil.
Les communautés Afar se sentent particulièrement marginalisées. Issu du sous-clan Mamassan des Issa, le président s’appuie sur une base ethnique solide, ce qui alimente les frustrations.
La Carte de la Position Stratégique
Djibouti contrôle le détroit de Bab-el-Mandeb, passage vital entre la mer Rouge et le golfe d’Aden. Cette position en fait un acteur clé du commerce mondial et de la sécurité maritime.
Le président a transformé cet atout en levier diplomatique. Plusieurs puissances y maintiennent des bases militaires :
- France : présence historique
- États-Unis : base de Camp Lemonnier
- Japon : première base à l’étranger
- Chine : installation récente
Ces implantations rapportent des revenus substantiels et renforcent l’influence de Djibouti sur la scène internationale. Le pays joue un rôle de médiateur dans les crises régionales.
Développement Économique et Infrastructures
Sous la présidence Guelleh, Djibouti a connu une transformation économique notable. Les investissements dans les ports et la logistique ont multiplié les capacités d’accueil.
Les capitaux étrangers affluent, notamment de Dubaï. De nouveaux terminaux, des zones franches et des chemins de fer modernes relient Djibouti à l’Éthiopie. Le PIB par habitant a progressé, même si les inégalités persistent.
Cette croissance repose sur une vision pragmatique : monnayer la position géographique. Mais elle dépend aussi fortement des relations avec les grandes puissances.
| Projet | Partenaire | Impact |
|---|---|---|
| Port de Doraleh | Dubaï | Hub régional |
| Chemin de fer Addis-Djibouti | Chine | Lien Éthiopie |
| Bases militaires | Multiples | Revenus annuels |
Une Influence Continentale Croissante
Le président djiboutien pèse au-delà de ses frontières. Son ministre des Affaires étrangères pendant près de vingt ans, Mahamoud Ali Youssouf, a été élu en février à la tête de la Commission de l’Union africaine.
Cette nomination illustre la diplomatie active de Djibouti. Le pays participe aux efforts de paix en Somalie et dans la Corne de l’Afrique. Sa voix compte dans les instances régionales.
Cette influence repose sur la stabilité interne et la neutralité apparente. Mais elle masque aussi les fragilités d’un régime centré sur une seule figure.
L’Épineuse Question de la Succession
Aucun successeur clair n’émerge. Les observateurs soulignent l’absence de préparation à l’après-Guelleh. Cette vacance pourrait menacer la stabilité du pays.
La Première dame, Kadra Mahamoud Haïd, issue du même sous-clan, joue un rôle croissant. Des rumeurs circulent sur son influence et sur l’état de santé du président.
Trouver un remplaçant accepté par tous les sous-clans s’avère complexe. Les tensions ethniques, quoique contenues, restent vives.
« Il faudra un successeur clairement accepté par les différents sous-clans pour éviter une instabilité interne. »
Sonia le Gouriellec
Un Chercheur Anonyme Parle
Un spécialiste djiboutien de la vie politique, sous couvert d’anonymat, reconnaît les succès en politique étrangère. Mais il pointe du doigt le vide successoral.
Selon lui, le contrôle absolu du président empêche l’émergence d’alternatives. L’opposition, faible et divisée, ne représente pas une menace réelle.
Cette situation crée un paradoxe : stabilité grâce à l’autoritarisme, mais risque à long terme.
Les Défis d’un Sixième Mandat
Ce nouveau mandat, s’il est remporté, prolongera le règne jusqu’en 2031. Le président aura alors 84 ans. Les questions sur sa santé et sa capacité à gouverner s’intensifieront.
Sur le plan interne, la marginalisation des Afar et la répression des voix dissidentes pourraient alimenter des mécontentements. Économiquement, la dépendance aux investissements étrangers expose à des aléas.
Géopolitiquement, la concurrence entre puissances pour le contrôle du détroit reste intense. Djibouti doit naviguer entre les intérêts américains, chinois et européens.
Portrait d’un Leader Polyglotte
Physiquement, Ismaël Omar Guelleh arbore une barbe poivre et sel, une calvitie naissante et une silhouette corpulente. Mais c’est son intelligence linguistique qui impressionne.
Il maîtrise l’italien, le français, l’anglais, le somali, l’arabe et l’amharique. Cette compétence facilite les négociations avec les partenaires internationaux.
Son parcours, de l’indépendance à la tête de l’État, illustre une ascension fulgurante dans un contexte fragile.
Djibouti, Petit Pays, Grande Influence
Avec un million d’habitants, Djibouti est l’un des pays les moins peuplés d’Afrique. Pourtant, sa voix porte loin. Grâce à sa position, il accueille des forces de plusieurs nations.
Cette présence militaire diversifiée assure des revenus, mais soulève des questions de souveraineté. Le président a su en tirer parti sans aliéner aucun partenaire.
Le développement des infrastructures portuaires renforce cette stratégie. Djibouti vise à devenir le « Dubaï de l’Afrique de l’Est ».
Les Ombres du Régime
Derrière les succès, les critiques fusent. La liberté de la presse est quasi inexistante. Les journalistes opèrent sous pression constante.
Les droits humains font l’objet de rapports sévères. Les arrestations arbitraires et la censure en ligne sont courantes.
Cette gouvernance autoritaire assure le contrôle, mais aliène une partie de la population et de la diaspora.
Vers une Fin de Règne ?
Ce sixième mandat sera-t-il le dernier ? Beaucoup en doutent. Sans successeur désigné, le président semble vouloir rester jusqu’au bout.
La stabilité du pays repose sur sa personne. Une transition mal gérée pourrait ouvrir la porte à des troubles.
Les observateurs scrutent les signes : santé, influence de l’entourage, dynamiques claniques. L’avenir de Djibouti se joue en coulisses.
Conclusion : Un Homme, un Pays, un Destin Liés
Ismaël Omar Guelleh incarne Djibouti depuis 25 ans. Sa candidature à un sixième mandat prolonge une ère commencée en 1999. Stratège habile, il a fait de son petit pays un acteur majeur.
Mais les défis s’accumulent : succession, libertés, équilibres ethniques. Le détroit de Bab-el-Mandeb continuera d’attirer les regards, tout comme la figure de ce président inamovible.
L’histoire dira si ce mandat marque la fin d’un cycle ou la poursuite d’un règne sans fin. Une chose est sûre : à Djibouti, l’avenir passe encore par un seul homme.
À suivre : la campagne électorale et les réactions internationales.









