Imaginez une salle où des élus de tous horizons s’unissent pour frapper les géants de l’économie mondiale. Mercredi, à l’Assemblée nationale, une scène improbable s’est déroulée : gauche et extrême droite ont fait front commun pour durcir la fiscalité des multinationales. Le gouvernement, pris de court, crie à la surenchère.
Une Alliance Inattendue Contre l’Optimisation Fiscale
Le décor est planté. En pleine discussion budgétaire, les députés ont adopté plusieurs amendements visant à renforcer les outils contre l’évasion fiscale. Ces décisions interviennent au lendemain d’un vote déjà controversé sur un impôt universel proportionnel à l’activité en France.
Ce qui frappe, c’est l’alliance politique. La France insoumise porte les textes, le Rassemblement national vote avec. Entre eux, un objectif partagé : faire payer plus aux grandes entreprises. Le gouvernement, lui, voit rouge.
L’Impôt Minimum de 15 % Élargi
Instauré en 2024 pour transposer un accord international piloté par l’OCDE, l’impôt minimum de 15 % sur les bénéfices vise à empêcher les multinationales de déclarer leurs profits dans des paradis fiscaux. Initialement, il ne concerne que les groupes réalisant plus de 750 millions d’euros de chiffre d’affaires annuel.
Mais selon les critiques, notamment portées par des ONG, ce seuil exclut 90 % des multinationales. Les députés ont donc décidé d’abaisser cette barre à 500 millions d’euros. Une mesure adoptée en fin d’après-midi, grâce à une coalition transpartisane.
Cette taxe doit rapporter environ 500 millions d’euros en 2026 selon les estimations officielles.
Cette extension du champ d’application pourrait sensiblement augmenter les recettes. Mais elle soulève aussi des questions de compatibilité avec les engagements européens et internationaux de la France.
Une Taxe Proportionnelle aux Activités Locales
La veille, un autre amendement avait déjà fait trembler Bercy. Il instaure une taxation des bénéfices proportionnelle à l’activité réalisée sur le sol français. Ses défenseurs avancent un potentiel de 26 milliards d’euros de recettes supplémentaires pour l’État.
Cette mesure vise à contrer les stratégies d’optimisation où les profits sont déclarés dans des pays à faible imposition, même si la valeur est créée en France. Un mécanisme déjà expérimenté dans d’autres pays, mais qui reste controversé.
Le ministre de la Fonction publique a qualifié cette initiative d’« autoroute vers le contentieux ». Il craint que la France ne s’expose à des représailles commerciales ou à des procédures devant les instances internationales.
Rachat d’Actions et Superdividendes dans le Viseur
Le Rassemblement national a réussi à faire passer, de justesse et contre l’avis du gouvernement, un alourdissement de la taxation sur les rachats d’actions. Objectif affiché : limiter la spéculation boursière et favoriser l’investissement productif.
Puis, dans un vote tout aussi serré, La France insoumise a imposé une taxe exceptionnelle sur les superdividendes. Ces distributions massives aux actionnaires sont souvent critiquées pour priver les entreprises de fonds nécessaires à leur développement.
« Taxer et sanctionner la réussite, la croissance et les emplois, ce n’est pas notre boussole », a regretté la ministre des Comptes publics.
Cette phrase résume le fossé entre la majorité gouvernementale et les oppositions. Pour les uns, il s’agit de justice fiscale. Pour les autres, d’une menace sur la compétitivité des entreprises françaises.
Les Arguments du Gouvernement
Depuis mardi, l’exécutif multiplie les mises en garde. Il évoque une « surenchère fiscale » qui nuirait à l’attractivité du pays. Selon lui, ces mesures unilatérales risquent de décrédibiliser la parole française sur la scène internationale.
Le respect des règles européennes est également brandi. La France s’est engagée à transposer fidèlement les directives communautaires. Toute déviation pourrait entraîner des sanctions ou des procédures d’infraction.
Enfin, le gouvernement insiste sur le risque de double imposition. Certaines entreprises pourraient se retrouver taxées deux fois sur les mêmes bénéfices, une fois en France, une fois dans leur pays d’origine.
Les Contre-Arguments des Oppositions
Pour les partisans de ces mesures, l’urgence est ailleurs. Chaque année, des milliards d’euros échappent au fisc français à cause de montages complexes. Les paradis fiscaux, les prix de transfert, les filiales dans des juridictions complaisantes : autant de pratiques légales mais moralement contestables.
Ils rappellent que l’accord OCDE, s’il est historique, reste minimal. Le taux de 15 % est largement inférieur aux taux d’imposition réels dans la plupart des pays développés. Quant au seuil de 750 millions, il protège la grande majorité des multinationales.
Enfin, ils soulignent l’asymétrie actuelle : les PME paient plein pot, tandis que les géants optimisent. Rééquilibrer la charge fiscale devient une question d’équité.
À retenir : Les mesures votées visent à capturer une partie des profits réalisés en France, quel que soit le lieu de déclaration. Elles s’attaquent à trois leviers : l’impôt minimum, la proportionnalité locale, et les distributions aux actionnaires.
Quel Impact Économique Réel ?
Les estimations varient énormément selon les sources. Le gouvernement table sur 500 millions pour l’impôt minimum actuel. Les oppositions parlent de plusieurs dizaines de milliards avec l’ensemble des mesures.
Mais au-delà des chiffres, c’est la réaction des entreprises qui inquiète. Certaines pourraient déplacer leurs sièges, réduire leurs investissements ou répercuter les coûts sur les consommateurs.
D’autres, au contraire, pourraient accepter ces règles si elles s’appliquent uniformément au niveau européen. L’isolement français reste le principal risque pointé par les experts.
Un Précédent Parlementaire
Cette séquence marque un tournant. Rarement une alliance entre extrême gauche et extrême droite aura été aussi efficace sur un sujet économique. Elle révèle une fracture profonde au sein de l’hémicycle sur la question fiscale.
Elle illustre aussi la difficulté du gouvernement à maintenir une majorité stable. Chaque amendement devient un champ de bataille où les alliances se font et se défont au gré des intérêts.
Ce n’est probablement que le début. D’autres textes budgétaires viendront. D’autres votes serrés auront lieu. La question de la justice fiscale s’invite durablement dans le débat public.
Vers une Fiscalité Plus Juste ou Plus Risquée ?
La réponse dépend du point de vue. Pour les uns, ces mesures corrigent des décennies d’inégalités fiscales. Pour les autres, elles fragilisent la position française dans la concurrence mondiale.
Une chose est sûre : le sujet n’est pas clos. Le Sénat examinera bientôt ces dispositions. Le Conseil constitutionnel pourrait être saisi. Et à l’international, les partenaires de la France observent avec attention.
En attendant, les multinationales affûtent leurs arguments. Les cabinets d’avocats fiscalistes préparent déjà les recours. Et les citoyens, eux, attendent de voir si ces milliards promis arriveront vraiment dans les caisses de l’État.
| Mesure | Seuil Initial | Nouveau Seuil | Recettes Estimées |
|---|---|---|---|
| Impôt minimum 15 % | 750 M€ | 500 M€ | 500 M€ (2026) |
| Taxe proportionnelle activité FR | – | Nouvelle | Jusqu’à 26 Md€ |
| Taxe rachat actions | Existante | Alourdie | Non chiffré |
| Taxe superdividendes | – | Exceptionnelle | Non chiffré |
Ce tableau résume les changements majeurs. Derrière les chiffres, se joue une bataille idéologique sur le rôle de l’État, la mondialisation et la répartition des richesses.
La France se positionne en pionnière ou en tête brûlée, selon le camp. L’histoire dira qui avait raison. Pour l’instant, le débat est lancé. Et il promet d’être passionné.
Une chose demeure : la fiscalité des multinationales n’est plus un sujet technique réservé aux experts. Elle est devenue un enjeu politique majeur, capable de faire vaciller des majorités et de redessiner les lignes partisanes.
Suivons les prochains épisodes. Ils risquent de réserver bien des surprises.









