Imaginez-vous réveillé en pleine nuit par le bourdonnement sinistre d’un engin volant au-dessus de votre toit. Quelques secondes plus tard, une explosion déchire le silence. Ce cauchemar est devenu réalité pour les habitants de Badiraguato, la ville natale du célèbre narcotrafiquant Joaquin « El Chapo » Guzman.
La Guerre Moderne des Cartels
Le gouverneur de l’État de Sinaloa, Rubén Rocha Moya, a confirmé mardi l’utilisation de drones explosifs contre cette localité montagneuse. Ces attaques, dont la date exacte reste floue, ont forcé plusieurs dizaines d’habitants à abandonner leurs maisons. Un déplacement silencieux mais lourd de conséquences pour ces communautés rurales.
Badiraguato n’est pas une ville ordinaire. Berceau historique du trafic de drogue mexicain, elle porte en elle l’héritage d’El Chapo, actuellement incarcéré aux États-Unis. Aujourd’hui, ce passé pèse comme une malédiction sur ses habitants, pris malgré eux dans une guerre de succession impitoyable.
La Ferme La Tuna dans le Viseur
Les témoignages convergent : la ferme La Tuna, propriété familiale des Guzman, figure parmi les cibles principales. Des habitants, sous couvert d’anonymat, décrivent des explosions ciblées sur cette exploitation isolée. D’autres propriétés auraient également été touchées, selon des sources locales.
Un habitant de Bacacoragua, commune de Badiraguato, raconte avoir fui début octobre. Les attaques auraient débuté dès le 16 septembre. « On entendait les drones passer, puis les détonations », confie-t-il. Sa voix tremble encore en évoquant ces nuits d’angoisse.
« Des hommes armés ont bloqué tous les accès et coupé l’électricité. On vivait dans le noir complet. »
Ces mots d’un autre déplacé résument l’atmosphère de siège qui s’est installée. Plus de 80 familles auraient été directement menacées par des groupes armés, selon plusieurs témoins. Le gouvernement assure prendre en charge les personnes déplacées, mais sur le terrain, la peur domine.
Un Conflit Interne Dévastateur
Depuis septembre 2024, le cartel de Sinaloa est déchiré par un conflit interne sans précédent. Les chiffres donnent le vertige : au moins 1 700 morts, dont 57 mineurs. Près de 2 000 personnes sont portées disparues. Derrière ces statistiques, des familles brisées et des villages fantômes.
Ce n’est plus seulement une guerre de territoire. C’est une lutte pour le contrôle d’un empire criminel qui vacille depuis l’arrestation d’El Chapo. Les factions rivales, autrefois unies, se déchirent avec une violence inédite. Et les civils paient le prix fort.
Chiffres clés du conflit (septembre 2024 – aujourd’hui)
- 1 700 morts confirmés
- 57 mineurs tués
- Près de 2 000 disparus
- Des dizaines de familles déplacées
Les Drones : Nouvelle Arme des Cartels
L’utilisation de drones explosifs n’est pas nouvelle au Mexique. Divers groupes criminels les emploient depuis plusieurs années contre leurs rivaux ou les forces de l’ordre. Le cartel Jalisco Nueva Generación (CJNG) les utilise depuis au moins 2020, selon des rapports spécialisés.
Ces engins, souvent des drones commerciaux modifiés, peuvent transporter plusieurs kilogrammes d’explosifs. Leur précision relative et leur coût modéré en font des armes idéales pour des attaques ciblées dans des zones difficiles d’accès comme les montagnes de Sinaloa.
À Badiraguato, leur déploiement marque une escalade technologique dans un conflit déjà meurtrier. Les autorités peinent à contrer cette menace aérienne dans ces régions reculées où les cartels règnent en maîtres depuis des décennies.
Badiraguato : Plus qu’une Ville, un Symbole
Comprendre Badiraguato, c’est plonger dans l’histoire du narcotrafic mexicain. Cette municipalité de l’État de Sinaloa a vu naître plusieurs générations de trafiquants. El Chapo y a passé son enfance, y a bâti sa légende avant de devenir l’ennemi public numéro un.
Aujourd’hui, ses rues poussiéreuses et ses ranchs isolés sont le théâtre d’une guerre qui dépasse largement ses frontières. Les attaques de drones ne visent pas seulement des propriétés : elles s’attaquent à un symbole, à l’héritage d’un empire criminel en pleine décomposition.
Les habitants, eux, n’ont rien demandé. Agriculteurs, éleveurs, familles modestes : ils se retrouvent otages d’un conflit dont ils ne comprennent pas toujours les enjeux. Leur seule faute ? Vivre là où l’histoire du narcotrafic s’est écrite.
Les Témoignages des Déplacés
Une femme de Bacacoragua décrit les nuits où les drones survolaient son village. « On ne savait jamais où ils allaient frapper », raconte-t-elle. Sa famille a tout abandonné : maison, animaux, souvenirs. Aujourd’hui, ils vivent dans un refuge temporaire, incertains de leur avenir.
Un autre témoin parle des barrages routiers installés par des hommes armés. L’électricité coupée, les communications interrompues : l’isolement total. « C’était comme être prisonnier dans sa propre maison », confie-t-il. Ces récits se répètent, identiques dans leur terreur.
« On a fui avec juste les vêtements qu’on portait. Le reste, on l’a laissé derrière. »
Ces paroles d’une mère de famille résument le drame humain derrière les chiffres. Des vies entières réduites à quelques sacs, des souvenirs abandonnés aux flammes ou aux pillards. Le prix de la guerre des cartels.
L’État de Sinaloa sous Tension
Le gouverneur Rubén Rocha Moya marche sur des œufs. Confirmant l’utilisation de drones, il assure que les déplacés sont pris en charge. Mais sur le terrain, les moyens manquent. Les zones rurales de Sinaloa sont difficiles d’accès, les ressources limitées.
Les autorités locales peinent à rétablir l’ordre dans ces régions où les cartels ont longtemps fait la loi. La présence militaire est renforcée, mais les drones représentent un défi nouveau. Comment protéger des villages entiers contre des attaques venues du ciel ?
Le conflit a déjà transformé certaines zones en no man’s land. Écoles fermées, commerces à l’arrêt, routes désertées. L’économie locale, déjà fragile, s’effondre sous le poids de la violence.
Le Cartel de Sinaloa : Empire en Déclin
Autrefois organisation la plus puissante du Mexique, le cartel de Sinaloa vacille depuis l’extradition d’El Chapo. Ses lieutenants se disputent le pouvoir, les routes, les plazas. Ce qui était une machine bien huilée est devenu un champ de bataille.
Les factions rivales – Los Chapitos d’un côté, les partisans d’Ismael « El Mayo » Zambada de l’autre – s’affrontent sans merci. Badiraguato, symbole des Guzman, devient naturellement une cible. Frapper La Tuna, c’est frapper au cœur de leur légitimité.
Cette guerre de succession n’est pas seulement locale. Elle a des répercussions internationales : perturbation des flux de drogue, renforcement des contrôles aux frontières, pression accrue sur les autorités mexicaines.
| Faction | Leader présumé | Territoires clés |
|---|---|---|
| Los Chapitos | Fils d’El Chapo | Sinaloa, Sonora |
| Vieux guard | El Mayo (capturé) | Durango, Chihuahua |
La Technologie au Service du Crime
Les drones ne sont que la partie visible de l’arsenal technologique des cartels. Cryptomonnaies pour blanchir l’argent, applications chiffrées pour communiquer, réseaux sociaux pour recruter : le crime organisé s’est modernisé à une vitesse folle.
Dans les montagnes de Sinaloa, ces outils high-tech contrastent avec la misère ambiante. Des adolescents pilotent des drones depuis des cachettes, guidés par GPS. Des explosifs artisanaux sont fixés avec du ruban adhésif. La guerre du futur se joue avec les moyens du bord.
Cette évolution complique la tâche des autorités. Les méthodes traditionnelles de lutte anti-drogue – patrouilles, barrages, informateurs – perdent en efficacité face à ces nouvelles menaces aériennes et numériques.
Les Conséquences Humaines
Derrière les titres choc, il y a des visages. Des enfants qui ne dorment plus, des parents qui pleurent leurs maisons perdues. À Badiraguato, la peur s’est installée durablement. Même ceux qui n’ont pas fui vivent dans l’angoisse d’une prochaine attaque.
Les 57 mineurs tués dans ce conflit ne sont pas des dommages collatéraux. Ce sont des victimes directes d’une violence qui ne fait plus de distinction. Certains ont été recrutés de force, d’autres se sont trouvés au mauvais endroit au mauvais moment.
Les 2 000 disparus laissent des familles dans l’incertitude. Pas de corps, pas de funérailles, juste l’espoir fou d’un retour. Cette douleur silencieuse ronge les communautés entières.
Perspectives d’Avenir
Le conflit de Sinaloa est loin d’être terminé. Tant que le pouvoir et les milliards du trafic de drogue seront en jeu, la violence continuera. Les drones d’aujourd’hui pourraient être remplacés par des armes plus sophistiquées demain.
Pour les habitants de Badiraguato, l’espoir réside dans un retour improbable à la normale. Certains rêvent de paix, d’autres de partir définitivement. Mais pour l’instant, ils survivent, un jour après l’autre, dans l’ombre menaçante des drones.
La ferme La Tuna, symbole d’un empire déchu, continue de brûler dans les mémoires. Et avec elle, tout un pan de l’histoire mexicaine contemporaine.
Badiraguato n’est plus seulement la ville d’El Chapo. C’est devenu le théâtre d’une guerre high-tech où les civils paient le prix du sang.
Cette réalité brutale nous interpelle. Jusqu’où ira l’escalade ? Quand les cartels cesseront-ils de faire régner la terreur sur des populations innocentes ? Les réponses, pour l’instant, se perdent dans le bourdonnement des drones au-dessus des montagnes de Sinaloa.









