Imaginez-vous libéré après deux décennies derrière les barreaux, espérant retrouver votre famille, votre terre, votre vie. Mais au lieu de cela, vous êtes conduit dans un hôtel cinq étoiles au Caire, sans droit de sortir, sans papiers, sans avenir défini. C’est la réalité de centaines d’ex-détenus palestiniens, relâchés par Israël dans le cadre d’accords de cessez-le-feu à Gaza, mais exilés loin de chez eux. Leur histoire, entre espoir brisé et résilience, révèle les complexités du conflit israélo-palestinien et les défis d’une liberté entravée.
Une Liberté sous Contrôle : L’Exil au Caire
Pour beaucoup de ces ex-détenus, la sortie de prison représentait un rêve longuement caressé. Condamnés pour des actes liés à la Seconde Intifada (2000-2005) ou à des affiliations avec des groupes armés, ils ont passé des années dans des conditions souvent dénoncées comme inhumaines. Mais leur libération, négociée dans le cadre d’accords entre Israël et le Hamas, n’a pas rimé avec liberté totale. À la mi-octobre 2025, environ 150 d’entre eux ont été transférés en Égypte, où ils résident désormais dans un hôtel de luxe, sous surveillance étroite.
Cet hôtel, financé par le Qatar, est devenu une prison dorée. Les exilés n’ont ni passeport, ni autorisation de circuler librement, ni informations sur leur avenir. Ils passent leurs journées à errer dans les couloirs, à téléphoner à leurs proches restés en Cisjordanie ou à Gaza, ou à contempler un monde extérieur qu’ils ne peuvent rejoindre.
Des Vies Suspendues : Le Témoignage de Mourad
Mourad Abou al-Roub, 45 ans, incarne cette amertume. Condamné à 400 ans de prison pour son appartenance à un groupe lié au Fatah, il a passé près de 20 ans derrière les barreaux. Aujourd’hui, il se retrouve confiné dans une chambre d’hôtel, sans pouvoir embrasser sa mère ou ses frères et sœurs restés à Jénine, en Cisjordanie occupée.
« Nous avons été séparés de nos familles pendant vingt ans. Aujourd’hui, rien n’a changé. Je ne peux toujours pas voir ma mère. »
Mourad Abou al-Roub
Son témoignage résonne comme un cri de désespoir. Mourad décrit une situation où l’exil forcé prolonge l’isolement de la prison. « Aucun pays arabe ne veut nous accueillir », confie-t-il, soulignant la difficulté pour ces ex-détenus de trouver une terre d’asile.
Un Transfert Humiliant : Le Passage vers l’Égypte
Le trajet vers l’Égypte a marqué les esprits par sa brutalité. Kamil Abou Haniche, 50 ans, condamné pour meurtre et affiliation au Front Populaire de Libération de la Palestine (FPLP), raconte un transfert marqué par l’humiliation. Ligotés, les yeux bandés, les prisonniers ont été forcés de marcher courbés, de s’agenouiller pendant des heures, puis de s’allonger à même le sol, les mains liées dans le dos.
« Passer du bus de la prison au bus égyptien, c’était comme franchir un seuil entre deux mondes. Du monde de la mort au monde de la vie. »
Kamil Abou Haniche
Pour Kamil, l’arrivée en Égypte a été un moment de renaissance, malgré les conditions. Pourtant, cette liberté reste illusoire, entravée par l’incertitude et l’impossibilité de rentrer chez soi.
Des Conditions Carcérales Dégradées
Les récits des ex-détenus mettent en lumière une détérioration des conditions de détention, particulièrement depuis 2023. Avec l’arrivée au pouvoir d’une figure de l’extrême droite israélienne au ministère de la Sécurité nationale, les restrictions se sont multipliées. Les prisonniers décrivent la suppression des droits les plus élémentaires : plus de livres, de stylos, de télévision, ni même de vêtements chauds.
Mourad raconte des nuits passées à dormir sur des plaques de métal, sans couvertures, dans un froid glacial. La nourriture, insuffisante, était à peine comestible. Ces conditions, dénoncées par des ONG palestiniennes et internationales, se sont aggravées après l’attaque du Hamas le 7 octobre 2023, marquant un tournant dans le traitement des détenus.
Chiffres clés :
- Environ 11 000 Palestiniens restent détenus par Israël.
- 2 000 prisonniers libérés en octobre 2025 dans le cadre d’un échange.
- 150 ex-détenus exilés au Caire à la mi-octobre 2025.
- 100 autres ex-détenus bloqués dans le même hôtel depuis janvier 2025.
La Justice Militaire : Une Controverse Persistante
Les organisations de défense des droits humains critiquent depuis longtemps les tribunaux militaires israéliens. Ces juridictions, utilisées pour juger les Palestiniens accusés d’infractions liées à la sécurité, sont accusées de manquer de transparence et d’équité. Les procès, souvent expéditifs, laissent peu de place à une défense efficace, selon les ONG.
Ces critiques soulignent un système où les condamnations, parfois à perpétuité, reposent sur des bases contestées. Pour les ex-détenus, cette réalité ajoute une couche d’injustice à leur parcours, déjà marqué par des années d’isolement et de privations.
Une Résilience à Toute Épreuve
Malgré les épreuves, les ex-détenus font preuve d’une résilience remarquable. Avant les restrictions de 2023, beaucoup avaient accès à des livres, des cours à distance, et organisaient des activités culturelles. Kamil Abou Haniche, par exemple, a publié une dizaine d’ouvrages et obtenu un master en sciences politiques pendant sa détention.
Ces initiatives, fruits de longues négociations avec les autorités carcérales, témoignent d’une volonté de ne pas se laisser briser. « On jouait au volley, au ping-pong, on apprenait des langues », se souvient Mourad, évoquant des moments de camaraderie qui ont aidé à supporter l’enfermement.
L’Exil : Une Nouvelle Prison ?
Pour ces hommes, l’exil en Égypte est une blessure supplémentaire. Arrachés à leur terre, ils rejettent l’idée même de quitter leur pays. « Nous sommes contre toute forme d’expulsion, pas seulement pour nous, mais pour tout être humain arraché à sa terre », déclare Mourad, la voix chargée d’émotion.
Dans l’hôtel, les journées s’étirent, marquées par l’attente et l’incertitude. Mahmoud al-Ardah, 49 ans, condamné à perpétuité pour meurtre et affilié au Jihad islamique, confie avoir subi plus de violences après 2023 que durant ses trente années de détention. Placé à l’isolement après une tentative d’évasion en 2021, il décrit un quotidien d’extrême privation.
« Depuis mon arrivée en Égypte, je ne dors plus. Je préfère rester dehors et regarder le ciel sans barreaux. »
Mourad Abou al-Roub
Un Avenir Incertain
Que réserve l’avenir à ces ex-détenus ? Pour l’instant, ils vivent dans un entre-deux, ni prisonniers ni libres, dans un hôtel qui symbolise à la fois le luxe et l’enfermement. Le financement qatari leur offre un toit, mais pas de réponses. Aucun pays n’a encore accepté de les accueillir, et le retour en Palestine semble hors de portée.
Pourtant, une lueur d’espoir persiste. Comme le dit Kamil, « quelle que soit la prochaine étape, elle sera toujours mille fois meilleure que la prison ». Cette phrase, empreinte d’optimisme malgré les épreuves, résume l’état d’esprit de ces hommes qui, après des décennies de lutte, refusent de baisser les bras.
| Aspect | Détails |
|---|---|
| Nombre d’exilés | Environ 250 ex-détenus au Caire |
| Conditions de transfert | Ligotés, yeux bandés, humiliations |
| Financement | Hôtel pris en charge par le Qatar |
| Droits en prison | Suppression des livres, vêtements, activités |
L’histoire de ces ex-détenus est plus qu’un fait divers : elle incarne les tensions d’un conflit qui ne trouve pas de résolution. Entre la quête de justice, les accusations de violations des droits humains et les espoirs d’une vie meilleure, ces hommes continuent de naviguer dans un monde où la liberté reste un horizon lointain.









