Dans un petit bourg hongrois, les maisons en ruine racontent une histoire silencieuse. À Mezokeresztes, un village de 3 500 habitants niché dans le nord-est de la Hongrie, des terrains vagues remplacent peu à peu les foyers de familles roms. Une nouvelle loi, adoptée en juin dernier, permet aux municipalités de contrôler qui peut s’installer sur leur territoire, sous prétexte de préserver une identité locale. Mais derrière ce discours officiel, une réalité plus sombre se dessine : une marginalisation ciblée des Roms, une minorité déjà vulnérable. Cet article explore les rouages de cette législation controversée, ses impacts sur les populations roms et les réactions qu’elle suscite, dans un pays où les tensions sociales et politiques s’intensifient.
Une Loi au Nom de l’Identité Locale
En Hongrie, le concept d’identité locale est devenu un argument central pour justifier des politiques restrictives. Le texte législatif, porté par le gouvernement nationaliste de Viktor Orban, donne aux municipalités le pouvoir de filtrer les nouveaux résidents. Officiellement, l’objectif est de protéger les traditions et d’éviter une urbanisation rapide qui pourrait altérer le caractère des villages. Mais dans la pratique, cette loi semble servir un agenda plus sélectif, touchant particulièrement les minorités, notamment les Roms, qui représentent environ 7 % de la population hongroise.
À Mezokeresztes, cette législation a été appliquée avec zèle. La mairie a racheté des maisons jugées insalubres, souvent appartenant à des familles roms, pour les démolir. Le maire, Janos Majoros, insiste sur le caractère volontaire de ces rachats, affirmant que seules les propriétés délabrées sont visées. Mais pour les habitants concernés, le message est clair : ils ne sont pas les bienvenus.
Mezokeresztes : Un Village en Première Ligne
Mezokeresztes, avec ses rues tranquilles et ses paysages ruraux, est devenu un symbole de cette politique controversée. Première commune à mettre en œuvre la nouvelle loi, elle a vu des dizaines de maisons rasées, laissant derrière elles des terrains déserts. Les familles roms, souvent confrontées à la pauvreté, se retrouvent délogées, leurs options de logement se réduisant drastiquement. Pour beaucoup, ces destructions ne sont pas seulement une question d’urbanisme, mais une stratégie visant à les exclure.
« Nous avons entendu dire que le maire voulait expulser les Roms, qu’il ne voulait pas de nous », confie Zsuzsanna Marton, mère de trois enfants, forcée de quitter Mezokeresztes.
Zsuzsanna, âgée de 33 ans, illustre le désarroi de nombreuses familles. Son témoignage révèle une réalité où les Roms se sentent ciblés, poussés à quitter leurs foyers sous la pression de politiques locales. Cette situation n’est pas isolée : plus de 90 communes, principalement rurales, ont adopté des mesures similaires, utilisant des critères comme des tests de langue ou des entretiens arbitraires pour limiter l’installation de nouveaux résidents.
Une Discrimination Déguisée ?
Pour les défenseurs des droits humains, cette loi soulève de graves inquiétudes. Les critères imposés par les municipalités, tels que la maîtrise de la langue hongroise ou la possession d’un diplôme, semblent neutres en surface, mais frappent de manière disproportionnée les populations marginalisées. Les Roms, souvent en situation de précarité économique et sociale, sont particulièrement vulnérables à ces restrictions.
« Les critères affectent davantage la minorité rom défavorisée », explique Ilona Boros, avocate à l’Union hongroise des libertés civiles.
Le caractère arbitraire des processus de sélection renforce ces critiques. Les entretiens avec les résidents potentiels, par exemple, laissent une large place à la subjectivité, ouvrant la porte à des décisions discriminatoires. Dans certains cas, des maires ont ouvertement admis leur volonté de limiter l’arrivée de populations jugées indésirables, alimentant les accusations de racisme institutionnalisé.
Les chiffres clés de la situation :
- 7 % : Part estimée des Roms dans la population hongroise.
- 90+ : Nombre de communes ayant adopté la loi sur l’identité locale.
- Mezokeresztes : Première commune à appliquer la législation.
Une Réaction en Chaîne dans les Villages
L’application de la loi à Mezokeresztes a créé un effet domino. Les villages voisins, craignant un afflux de familles roms chassées des communes restrictives, adoptent à leur tour des mesures similaires. Ce phénomène, décrit comme une réaction en chaîne par Erno Kadet, rédacteur en chef du Centre de presse rom, risque de marginaliser davantage une population déjà stigmatisée.
Dans ce contexte, des voix s’élèvent pour dénoncer une législation qui, sous couvert de protéger les traditions, légitime l’exclusion. Szilivia Rezmuves, experte en développement à la fondation Polgar, souligne que la loi renforce les préjugés existants, donnant aux habitants une justification pour rejeter les Roms. À Mezokeresztes, de nombreux résidents expriment leur satisfaction face au départ des familles roms, les accusant de nuisances comme la musique trop forte.
Les Conséquences Humaines
Pour les familles touchées, les conséquences sont dévastatrices. Judit Pusomai, 54 ans, a dû quitter sa maison en terre à Mezokeresztes pour s’installer dans un autre village, où elle vit désormais entassée avec six proches dans un logement exigu. Son histoire, comme celle de Zsuzsanna Marton, reflète un sentiment d’injustice et d’abandon.
« D’autres ont été dupés tout comme moi », déplore Judit, évoquant la perte de son foyer.
À Szentistvan, où Zsuzsanna s’est installée, les tensions persistent. Elle raconte le harcèlement d’un voisin et l’indifférence des autorités locales, qui lui ont suggéré de vendre sa maison si elle n’était pas satisfaite. Ces récits mettent en lumière une réalité où les Roms, chassés d’un village à l’autre, peinent à trouver un lieu où s’établir sans crainte.
Un Contexte Politique Chargé
La loi sur l’identité locale s’inscrit dans un contexte politique plus large. Portée par le parti Fidesz de Viktor Orban, elle vise à séduire un électorat conservateur à l’approche des élections législatives. En mettant en avant la défense des coutumes et traditions, le gouvernement mobilise un discours populiste qui trouve un écho dans les zones rurales, où les préjugés contre les Roms sont souvent ancrés.
Cette stratégie n’est pas sans précédent. Depuis son arrivée au pouvoir, Orban a multiplié les réformes controversées, souvent au détriment des minorités et des libertés individuelles. La loi sur l’identité locale, bien que présentée comme une mesure de protection communautaire, s’inscrit dans cette lignée, renforçant la marginalisation des Roms tout en légitimant des pratiques discriminatoires.
Des Voix pour le Changement
Face à la montée des critiques, certaines mesures ont été prises. Sous la pression médiatique, Mezokeresztes a retiré sa réglementation en août, un premier pas vers une possible réévaluation. Tibor Navracsics, ministre du Développement régional, a reconnu que certaines applications locales pouvaient être perçues comme racistes et a promis des interventions pour corriger ces dérives.
Pourtant, les défenseurs des droits humains restent sceptiques. Ils appellent à une réforme plus profonde pour garantir que les lois ne servent pas de prétexte à l’exclusion. Des organisations comme la fondation Polgar continuent de plaider pour une meilleure représentation des Roms et une lutte contre les stéréotypes qui alimentent leur marginalisation.
Problème | Impact | Solution proposée |
---|---|---|
Critères arbitraires | Discrimination des Roms | Révision des critères d’installation |
Destruction de maisons | Déplacement forcé | Programmes de logement inclusifs |
Préjugés locaux | Exclusion sociale | Campagnes de sensibilisation |
Quel Avenir pour les Roms en Hongrie ?
La situation des Roms en Hongrie illustre un défi plus large : celui de concilier la préservation des identités locales avec le respect des droits humains. Alors que la loi continue de faire débat, les familles roms se retrouvent dans une position de plus en plus précaire, souvent contraintes de vivre comme des parias dans leur propre pays. Les efforts pour contrer ces politiques discriminatoires nécessiteront une mobilisation collective, impliquant à la fois les autorités, les organisations de défense des droits et la société civile.
En attendant, des histoires comme celles de Zsuzsanna et Judit rappellent l’urgence d’agir. Leur combat pour un foyer et une vie digne met en lumière les injustices auxquelles les Roms sont confrontés, dans un climat où les lois, loin de protéger, semblent souvent exclure. La Hongrie se trouve à un carrefour : choisir entre une société inclusive ou un repli sur des politiques de division.