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Désenchantement à Yopougon : L’Élection Oubliée

À Yopougon, le cœur politique d’Abidjan bat à peine. Les habitants, désabusés, tournent le dos à l’élection. Qu’est-ce qui explique ce silence dans un ancien bastion ?

Dans les rues animées de Yopougon, la plus grande commune d’Abidjan, l’effervescence électorale semble s’être éteinte. À l’approche de l’élection présidentielle du 25 octobre 2025 en Côte d’Ivoire, une étrange apathie enveloppe ce quartier jadis vibrant de ferveur politique. Autrefois bastion de l’ancien président Laurent Gbagbo, Yopougon, surnommé affectueusement « Yop » ou « Poy », semble avoir perdu son âme militante. Pourquoi ce désintérêt soudain ? Qu’est-ce qui pousse les habitants de ce fief historique à tourner le dos à la politique ?

Yopougon : Un bastion en perte d’élan

À Yopougon, le pouls politique bat faiblement. Cette commune, qui abrite près de 500 000 électeurs, soit une part significative des 9 millions d’électeurs ivoiriens, a longtemps été un symbole de résistance et d’engagement. Historiquement, elle était le cœur battant du soutien à Laurent Gbagbo, président de 2000 à 2011. Mais aujourd’hui, les habitants semblent désabusés, comme Alain, un chauffeur de taxi de 44 ans qui parcourt les rues sans intention de voter. « La campagne ? On ne la sent pas ici », confie-t-il, amer.

Ce sentiment de résignation n’est pas isolé. Les partis politiques, qui convoitaient autrefois ce réservoir de voix, peinent à mobiliser. Les raisons sont multiples : l’absence de Gbagbo du scrutin, l’éclatement de son parti, et une jeunesse désintéressée par un système qui, selon elle, ne change rien à son quotidien. Mais comment en est-on arrivé là ?

La chute d’un bastion : l’héritage de Gbagbo

Yopougon a toujours été synonyme de Laurent Gbagbo. Pendant son mandat, la commune vibrait au rythme de ses discours enflammés et de ses promesses de justice sociale. Mais en 2011, après une crise post-électorale qui a fait des milliers de morts, Gbagbo est déchu, et la mairie passe aux mains du parti d’Alassane Ouattara, le Rassemblement des Houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP). Ce changement marque un tournant.

« Yopougon reste un bastion de Laurent Gbagbo, nous y avons beaucoup de militants », affirme Georges-Armand Ouégnin, député local.

Pourtant, même les fidèles de Gbagbo semblent perdre espoir. Acquitté par la Cour pénale internationale en 2021 après huit ans de détention, Gbagbo est revenu en Côte d’Ivoire, mais sans ses droits civiques. Empêché de se présenter à l’élection à cause d’une condamnation pénale locale, il a fondé le Parti des peuples africains – Côte d’Ivoire (PPA-CI). Cependant, ce nouveau parti peine à galvaniser les foules comme autrefois.

David, 38 ans, ancien supporter de Gbagbo, incarne ce désenchantement. « Il n’y a plus d’activité au PPA-CI », lâche-t-il, désabusé, avant d’ajouter qu’aucun autre candidat d’opposition ne l’inspire. Ce sentiment est partagé par beaucoup, qui voient en cette élection une répétition des mêmes promesses non tenues.

Une jeunesse déconnectée de la politique

Si les anciens militants de Gbagbo se sentent trahis, la nouvelle génération, elle, semble indifférente. Victoire, 19 ans, étudiante en géologie, pourrait voter pour la première fois, mais elle n’en voit pas l’intérêt. « Ce sont toujours les mêmes qui créent des tensions », dit-elle, les écouteurs vissés aux oreilles. Son ami Salomon, 18 ans, avoue que la politique l’ennuie profondément.

Ce désintérêt n’est pas anodin. Selon le sociologue Séverin Yao Kouamé, la population électorale de Yopougon a évolué. Les jeunes, qui représentent une part croissante des électeurs, ne se reconnaissent pas dans l’offre politique actuelle. « Les nouveaux majeurs sont dans un angle mort », explique-t-il. Les partis, qu’ils soient au pouvoir ou dans l’opposition, ne proposent pas de vision qui parle à cette génération en quête d’opportunités concrètes.

Les raisons du désintérêt des jeunes :

  • Manque de perspectives : Les jeunes cherchent des opportunités d’emploi stables, absentes à Yopougon.
  • Défiance politique : Les promesses non tenues alimentent le scepticisme.
  • Absence de renouvellement : Les mêmes figures dominent la scène politique.

La « galère » du quotidien : un frein à l’engagement

À Yopougon, la politique passe souvent au second plan face aux défis du quotidien. Paul, la trentaine, cigarette à la main, résume la situation : « Ici, c’est la galère. Tu te lèves le matin, tu dois te débrouiller. » Comme beaucoup, il est préoccupé par le manque de perspectives professionnelles. L’économie informelle domine la commune, et les emplois dans la zone industrielle sont souvent précaires et saisonniers.

Les infrastructures, elles aussi, laissent à désirer. Aristide, président d’une association de quartier, déplore l’état des routes et des écoles. « Yopougon n’a pas changé », dit-il, nostalgique d’une époque où la commune vibrait d’une énergie collective. La destruction de la célèbre rue Princesse, un lieu emblématique de bars et de vie nocturne, sous le mandat du RHDP, a marqué les esprits. Pour beaucoup, c’était un symbole de l’effacement de l’identité de Yopougon.

Le contraste des pro-Ouattara

Si une partie de Yopougon boude la politique, une autre s’en réjouit. Aliou, 58 ans, membre de l’association Marcoussis, défend avec ferveur les réalisations du RHDP. « Yopougon change ! », clame-t-il, citant l’ouverture de centres de formation professionnelle et la réhabilitation de certaines écoles. Pour lui, la sécurité s’est améliorée, même si des efforts restent à faire, notamment sur les routes.

« Il faut encore bitumer les routes, mais nous avons la sécurité et des écoles réhabilitées », déclare Aliou, optimiste.

Cette division entre pro-Gbagbo et pro-Ouattara reflète une fracture plus profonde. D’un côté, les nostalgiques d’un passé militant ; de l’autre, ceux qui croient en un renouveau sous la gouvernance actuelle. Mais pour beaucoup, ces débats semblent déconnectés des réalités quotidiennes.

Une élection sous tension ?

À quelques jours du scrutin, l’ambiance à Yopougon reste étrangement calme. Les discours, comme celui d’Adama Bictogo, maire et cadre du RHDP, attirent quelques curieux, mais sans l’enthousiasme d’antan. L’absence de Gbagbo, figure charismatique, et la candidature de son ex-épouse, Simone Ehivet Gbagbo, ne suffisent pas à raviver la flamme.

Pour le sociologue Séverin Yao Kouamé, ce désintérêt pourrait avoir des conséquences durables. « Le désenchantement politique risque de s’installer si les partis ne s’adaptent pas aux attentes des citoyens », prévient-il. Les habitants de Yopougon, qu’ils soient jeunes ou anciens militants, veulent des solutions concrètes : des emplois, des infrastructures, une vie meilleure.

Attentes des habitants Réalité actuelle
Emplois stables Économie informelle dominante, emplois précaires
Infrastructures modernes Routes dégradées, écoles sous-équipées
Engagement politique Désintérêt croissant, surtout chez les jeunes

Vers un renouveau pour Yopougon ?

Le futur de Yopougon, comme celui de la Côte d’Ivoire, dépendra de la capacité des leaders politiques à répondre aux aspirations des citoyens. Pour l’heure, la commune reste un miroir des défis du pays : une jeunesse en quête de sens, une économie fragile, et une fracture politique persistante. Si les partis ne parviennent pas à renouer avec les habitants, le désenchantement pourrait s’ancrer durablement.

En attendant, les rues de Yopougon continuent de vivre, entre taxis klaxonnants et marchés bruyants. Mais derrière cette agitation, une question demeure : la politique retrouvera-t-elle sa place dans le cœur de ses habitants ? Le scrutin du 25 octobre apportera peut-être des réponses, mais pour l’instant, Yopougon semble attendre autre chose.

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