Imaginez une forêt tropicale luxuriante, où le chant des oiseaux se mêle au bruissement des feuilles. En quelques années, cet écosystème pourrait disparaître sous le poids de bulldozers et de projets industriels. En Indonésie, des initiatives ambitieuses, pensées pour booster l’économie, soulèvent une vague d’inquiétudes. Selon des organisations non gouvernementales, ces projets menacent non seulement l’environnement, mais aussi les droits des communautés locales. De la Papouasie aux îles Riau, des voix s’élèvent pour dénoncer une course à la croissance au détriment des terres et des populations.
Une Croissance Économique à Quel Prix ?
L’Indonésie, première économie d’Asie du Sud-Est, mise sur des projets d’envergure pour stimuler son développement. Ces initiatives, souvent labellisées projets stratégiques nationaux (PSN), incluent des complexes miniers, des zones industrielles, ou encore des programmes d’autonomie alimentaire. Mais derrière les promesses de prospérité, des ONG alertent sur des conséquences dramatiques : déforestation massive, expulsion de populations et atteintes aux droits humains. Depuis 2020, une vague de déréglementation a accéléré ces projets, souvent au détriment des normes environnementales.
La loi dite de « création d’emplois », adoptée en 2023, cristallise les critiques. Présentée comme un levier pour attirer les investisseurs, elle a suscité l’indignation des écologistes. Selon eux, elle sacrifie les protections environnementales pour favoriser des projets industriels, souvent au bénéfice de grandes entreprises étrangères. Mais comment ces réformes impactent-elles concrètement les populations et les écosystèmes ?
Une Déréglementation Controversée
Depuis 2020, l’Indonésie a entamé une réforme législative visant à simplifier les démarches pour les investisseurs. Cette initiative, portée par l’ancien président du pays entre 2014 et 2024, promettait de dynamiser l’économie en créant des emplois. Cependant, des écologistes et défenseurs des droits humains dénoncent une approche qui privilégie la rapidité au détriment de la durabilité. La loi de 2023, en particulier, a remplacé les évaluations d’impact environnemental par de simples lettres d’engagement, réduisant ainsi les garanties pour protéger les écosystèmes.
« Cette loi est utilisée pour légitimer des projets industriels, sans prendre en compte le bien-être des populations. »
Salsabila Khairunisa, chercheuse à l’ONG Pantau Gambut
En limitant la participation aux projets aux seules parties « directement touchées », cette législation exclut les ONG et complique la défense des intérêts collectifs. Pour les chercheurs de l’Université d’État de Semarang, les communautés locales manquent souvent des ressources ou des connaissances nécessaires pour s’opposer à ces projets. Résultat : des terres ancestrales sont confisquées, et des écosystèmes fragiles sont détruits sans réelle consultation.
Merauke : Une Déforestation à Grande Échelle
Parmi les projets les plus controversés figure celui de Merauke, en Papouasie. Ce programme, qualifié par certains écologistes de « plus grand projet de déforestation au monde », vise à convertir des millions d’hectares de forêts en champs de riz et de canne à sucre. Ces cultures, destinées à l’alimentation et à la production de biocarburants, promettent une autonomie alimentaire. Mais à quel coût ? Les forêts primaires, habitats d’une biodiversité exceptionnelle, sont rasées à un rythme alarmant.
Les communautés indigènes, qui dépendent de ces terres pour leur subsistance, sont directement impactées. Selon Roni Saputra, de l’ONG Auriga Nusantara, le projet a déjà détruit des hameaux et des zones gérées par les populations locales. L’ampleur exacte du programme reste floue, mais son impact est indéniable : des écosystèmes millénaires sont sacrifiés pour des gains économiques à court terme.
Chiffres clés du projet de Merauke :
- Objectif : plusieurs millions d’hectares cultivés.
- Cultures principales : riz et canne à sucre.
- Conséquences : destruction de forêts naturelles et déplacement de communautés.
Papouasie : Une Région sous Tension
La Papouasie, région à l’histoire complexe, est particulièrement touchée. Ancienne colonie néerlandaise, elle a été intégrée à l’Indonésie en 1969 à la suite d’un scrutin controversé, reconnu par les Nations unies mais contesté par les indépendantistes. Aujourd’hui, la mise en œuvre des projets PSN dans cette région s’accompagne d’une forte présence militaire. Dans un village, par exemple, plus de 2 000 soldats auraient été déployés, soit plus que le nombre d’habitants, selon Frederikus Stanislaus Awi, de l’Institut d’aide juridique de Merauke.
Cette militarisation, censée garantir la sécurité des projets, est perçue comme une forme d’intimidation par les populations locales. Les incidents liés à des groupes séparatistes, bien que réels, servent souvent de prétexte pour justifier une présence militaire disproportionnée. Les habitants, pris entre ces tensions, se retrouvent dépossédés de leurs terres sans réelle compensation.
Rempang : L’Éco-Village au Cœur des Critiques
Ailleurs dans l’archipel, l’île de Rempang, dans la province des îles Riau, illustre également les dérives des PSN. Un projet d’éco-village, financé par des investissements chinois, vise à produire du verre et des panneaux solaires. Sur le papier, l’idée semble séduisante : allier développement économique et durabilité. Pourtant, des milliers d’habitants risquent l’expulsion pour laisser place à cette zone industrielle. Les compensations proposées sont jugées insuffisantes, et les impacts environnementaux suscitent l’inquiétude.
« Les PSN sont un outil brutal pour imposer des projets d’infrastructure, sans considération pour leurs impacts. »
Siwage Dharma Negara, économiste à l’ISEAS-Yusof Ishak Institute
Ce projet, comme d’autres, met en lumière une contradiction : des initiatives présentées comme écologiques entraînent des destructions environnementales et sociales. Les habitants de Rempang, comme ceux de Merauke, se sentent exclus des décisions qui bouleversent leur quotidien.
Des Voix qui Résistent
Face à ces dérives, des ONG et des militants s’organisent. Deux recours ont été déposés devant la Cour constitutionnelle pour contester la loi de 2023. Les plaignants, parmi lesquels Pantau Gambut et Auriga Nusantara, dénoncent un texte qui favorise les intérêts économiques au détriment des droits humains et de l’environnement. Même la Commission nationale des droits de l’homme, un organe gouvernemental, a reconnu des cas d’intimidation, de violences et d’indemnisations inéquitables.
Pour les défenseurs de l’environnement, la lutte est loin d’être terminée. Ils appellent à une révision des politiques pour intégrer des critères de durabilité et de justice sociale. Mais face à la puissance des lobbies industriels et à la nécessité de croissance économique, leurs voix peinent à être entendues.
Vers un Équilibre Possible ?
Si l’Indonésie a besoin de croissance pour soutenir sa population croissante, des experts estiment qu’un modèle plus équilibré est possible. Siwage Dharma Negara, économiste, insiste sur l’importance de considérer les impacts à long terme des PSN, non seulement sur l’économie, mais aussi sur les écosystèmes et les communautés. Une approche plus inclusive, impliquant les populations locales dès la conception des projets, pourrait limiter les conflits.
Projet | Région | Impacts |
---|---|---|
Programme agricole | Merauke, Papouasie | Déforestation, déplacement de populations |
Éco-village | Rempang, îles Riau | Expulsions, impacts environnementaux |
Repenser les PSN pour inclure des évaluations d’impact rigoureuses et une véritable participation communautaire pourrait transformer ces projets en opportunités de développement durable. Mais pour l’instant, la balance penche encore du côté des profits à court terme.
En Indonésie, la tension entre croissance économique et préservation des ressources naturelles est palpable. Les forêts, les communautés indigènes et les droits humains sont au cœur d’un débat qui dépasse les frontières de l’archipel. Alors que les ONG continuent de se mobiliser, une question demeure : l’Indonésie parviendra-t-elle à concilier ses ambitions économiques avec la justice sociale et environnementale ? L’avenir des générations futures en dépend.