Imaginez un instant : des enfants suffoquent dans une cour d’école, leurs visages marqués par la panique, tandis qu’un nuage invisible de gaz toxiques envahit l’air. À Gabès, dans le sud de la Tunisie, cette scène dramatique n’est pas une fiction, mais une réalité qui a poussé des centaines d’habitants à descendre dans les rues. Leur cri de ralliement ? Mettre fin à la pollution dévastatrice d’un complexe chimique qui empoisonne leur quotidien. Cette crise, qui a éclaté avec une intensité renouvelée en septembre 2025, soulève des questions brûlantes sur la santé, l’environnement et la justice sociale dans une région déjà fragilisée.
Gabès : Une Ville au Bord de l’Asphyxie
La ville de Gabès, située dans le sud tunisien, est depuis longtemps un carrefour économique grâce à ses mines de phosphate, une ressource naturelle clé pour le pays. Mais ce trésor économique a un coût humain et environnemental exorbitant. Le Groupement Chimique Tunisien (GCT), un complexe industriel produisant des engrais, est au cœur d’une controverse qui dure depuis des décennies. Ses rejets de gaz toxiques et de résidus solides, déversés directement dans la nature, empoisonnent l’air et les sols, transformant Gabès en une zone de sacrifice écologique.
Depuis le début du mois de septembre 2025, la situation a atteint un point de rupture. Des fuites de gaz toxiques ont provoqué l’intoxication de 69 enfants et élèves, ainsi que de quatre femmes, dans le quartier de Chatt Essalem. Ces chiffres, bien que choquants, ne racontent qu’une partie de l’histoire. Les habitants décrivent une odeur âcre, des difficultés respiratoires et une peur constante pour leur santé et celle de leurs proches.
Une Mobilisation Citoyenne sans Précédent
Face à cette crise, la colère des habitants s’est transformée en action. Des manifestations spontanées ont éclaté les 10 et 11 octobre 2025, rassemblant des centaines de personnes devant l’usine du GCT. Ces protestations, décrites comme pacifiques par les militants, visaient à exiger l’arrêt immédiat des unités polluantes. Cependant, la réponse des autorités a été musclée : les forces de l’ordre ont dispersé les foules à l’aide de gaz lacrymogènes, provoquant des affrontements qui ont duré jusqu’à minuit.
Nous ne demandons qu’une chose : vivre dans un environnement sain. Cette usine nous tue à petit feu.
Un habitant de Gabès lors des manifestations
Les images diffusées sur les réseaux sociaux, montrant des enfants en détresse respiratoire dans une école locale, ont amplifié la colère. Les habitants ont bloqué des routes, et certains ont même tenté d’incendier un bâtiment du GCT, signe d’une exaspération croissante. Pourtant, le conseil local de Gabès a tenu à dissocier ces actes de vandalisme des revendications légitimes des manifestants, qui se battent pour un droit fondamental : respirer un air pur.
Les Exigences des Militants : Un Changement Radical
Les associations de la société civile, dont la Ligue tunisienne des droits de l’homme, se sont unies pour amplifier la voix des habitants. Dans une pétition intitulée Gabès appelle à l’aide, Gabès suffoque, 25 organisations ont réclamé le démantèlement des unités polluantes du GCT. Leur vision ne s’arrête pas là : elles appellent à la création d’un modèle de développement alternatif, capable de remplacer une industrie destructrice par des solutions durables.
Les principales demandes des militants :
- Arrêt immédiat des unités responsables des fuites toxiques.
- Démantèlement progressif des infrastructures polluantes.
- Mise en place d’un plan de développement régional axé sur la durabilité.
- Enquête indépendante pour identifier les responsables des intoxications.
Ces revendications traduisent un ras-le-bol général face à des années de promesses non tenues. En 2017, l’État tunisien s’était engagé à fermer progressivement l’usine de Gabès, mais huit ans plus tard, peu de progrès ont été réalisés. Cette inaction a exacerbé la méfiance envers les autorités, accusées de privilégier les intérêts économiques au détriment de la santé publique.
Une Réponse Gouvernementale en Demi-Teinte
Le président tunisien, Kais Saied, a réagi le 11 octobre 2025 en annonçant l’envoi d’une équipe conjointe des ministères de l’Énergie et de l’Environnement pour évaluer la situation. Il a également exprimé son souhait d’une Tunisie verte, débarrassée de toute pollution. Cependant, cette réponse a été accueillie avec scepticisme par les militants.
C’est le moment de prendre des décisions, pas d’envoyer des commissions.
Khayreddine Debaya, militant de Stop Pollution
Pour les habitants, les commissions d’enquête ne suffisent plus. Ils exigent des actions concrètes, comme la démission de la ministre de l’Énergie et l’ouverture d’une enquête urgente pour établir les responsabilités. Cette méfiance s’explique par un historique de rapports et de promesses qui n’ont jamais abouti à des changements tangibles.
Le Phosphate : Une Malédiction Économique ?
Les mines de phosphate sont un pilier de l’économie tunisienne, représentant une source majeure de revenus pour l’État. Le GCT, en transformant ce phosphate en engrais, joue un rôle stratégique dans ce secteur. Cependant, cette industrie a un revers sombre : les rejets de gaz toxiques, comme l’ammoniac et le dioxyde de soufre, ainsi que les déchets solides, polluent l’air, l’eau et les sols de Gabès.
Impact | Conséquences |
---|---|
Émissions gazeuses | Problèmes respiratoires, intoxications, maladies chroniques |
Rejets solides | Contamination des sols et de l’eau, destruction des écosystèmes |
Impact social | Colère citoyenne, méfiance envers les autorités |
Cette situation place l’État tunisien dans une position délicate. D’un côté, le phosphate est une ressource stratégique, essentielle pour l’exportation et l’économie nationale. De l’autre, la pollution qu’il génère alimente une crise sanitaire et sociale qui menace la stabilité de la région. Trouver un équilibre entre ces deux impératifs est un défi de taille.
Un Combat pour la Justice Environnementale
À Gabès, la lutte contre la pollution dépasse la simple question environnementale. Elle touche à des enjeux de justice environnementale, où les communautés les plus vulnérables subissent de plein fouet les conséquences des choix industriels. Les habitants de Gabès ne demandent pas seulement la fermeture d’une usine, mais une refonte complète du modèle économique qui sacrifie leur santé pour des profits.
Le collectif Stop Pollution, actif depuis des années, incarne cette résistance. Ses membres, comme Khayreddine Debaya, sont devenus des figures emblématiques de ce combat. Leur message est clair : il est temps de prioriser la santé des citoyens et de bâtir un avenir où le développement économique ne se fait pas au détriment de l’environnement.
Vers un Avenir Plus Vert ?
La crise de Gabès est un signal d’alarme pour la Tunisie, mais aussi pour le monde entier. Dans un contexte où les enjeux climatiques et sanitaires dominent les débats, cette situation illustre les conséquences d’une industrialisation mal maîtrisée. Les solutions existent : investir dans des technologies de dépollution, diversifier l’économie locale, ou encore relocaliser certaines activités industrielles loin des zones habitées.
Vers un modèle durable : quelques pistes
- Modernisation des installations pour réduire les émissions toxiques.
- Développement de filières économiques alternatives, comme l’agriculture durable.
- Implication des communautés locales dans les décisions environnementales.
- Sanctions pour les entreprises ne respectant pas les normes écologiques.
Mais ces solutions nécessitent une volonté politique forte et des investissements conséquents. Pour l’instant, les habitants de Gabès continuent de se mobiliser, déterminés à faire entendre leur voix. Leur combat, à la croisée de l’écologie et de la justice sociale, pourrait devenir un symbole pour d’autres régions confrontées à des crises similaires.
Alors que les manifestations se poursuivent et que la pression monte sur les autorités, une question demeure : Gabès obtiendra-t-elle enfin justice ? L’avenir de cette ville, et de ses habitants, dépend des décisions qui seront prises dans les semaines à venir. Une chose est sûre : leur lutte pour un air pur et un avenir sain est loin d’être terminée.