Imaginez une capitale où les rues vibrent de colère, où les cris des manifestants se mêlent au grondement des véhicules militaires. À Madagascar, Antananarivo est le théâtre d’une crise sans précédent : une unité de l’armée, le CAPSAT, défie ouvertement le pouvoir en place, tandis que le président Andry Rajoelina évoque une tentative de coup d’État. Ce conflit, qui oppose militaires, forces de l’ordre et citoyens, plonge le pays dans une incertitude palpable. Comment en est-on arrivé là, et quelles sont les forces en jeu dans cette lutte pour le contrôle ?
Une Crise Politique et Militaire Explosive
Depuis le 25 septembre, Madagascar est secoué par une vague de protestations initiée par le mouvement Gen Z. Ce qui a commencé comme une révolte contre les coupures d’eau et d’électricité s’est rapidement transformé en un mouvement anti-gouvernemental d’ampleur. Les manifestants, exaspérés par la gestion du pays, appellent à la démission du président Andry Rajoelina, au pouvoir depuis 2009 après une première prise de pouvoir controversée. Ce dernier, réélu en 2018 et 2023 lors d’élections boycottées par l’opposition, fait face à une contestation croissante, amplifiée par une intervention militaire inattendue.
Le point de bascule est survenu lorsqu’une unité militaire, le Corps d’armée des personnels et des services administratifs et techniques (CAPSAT), a annoncé prendre le contrôle de l’ensemble des forces armées malgaches. Dans une déclaration vidéo, des officiers ont proclamé que tous les ordres, qu’ils concernent l’armée de terre, l’air ou la marine, émaneraient désormais de leur quartier général. Cette annonce, faite le dimanche 12 octobre 2025, a jeté de l’huile sur le feu dans un pays déjà en proie à l’instabilité.
Le Rôle Clé du CAPSAT : Une Rébellion Historique
Le CAPSAT n’est pas un acteur inconnu dans l’histoire tumultueuse de Madagascar. Basée à Soanierana, à la périphérie d’Antananarivo, cette unité avait déjà joué un rôle déterminant en 2009 lors d’une mutinerie qui avait contribué à l’ascension d’Andry Rajoelina au pouvoir. Aujourd’hui, elle semble se retourner contre celui qu’elle avait autrefois soutenu. Samedi, le CAPSAT a publiquement refusé d’obéir aux ordres de tirer sur les manifestants, condamnant la répression violente exercée par les forces de l’ordre.
« Nous refusons d’obéir à l’ordre de tirer sur les manifestants. Nous condamnons la répression policière récente. »
Officiers du CAPSAT
Ce geste a galvanisé les protestataires. Des soldats du CAPSAT sont entrés dans la capitale à bord de véhicules militaires, accueillis par une foule en liesse. Ce ralliement marque un tournant majeur dans les manifestations, qui ont pris une ampleur sans précédent. Les images de soldats fraternisant avec les manifestants contrastent avec les affrontements violents entre militaires et gendarmes devant une caserne, révélant une fracture profonde au sein des forces de l’ordre.
La Réponse du Président : Une Dénonciation Ferme
Face à cette situation explosive, le président Rajoelina a rapidement réagi. Dans un communiqué officiel, il a qualifié les actions du CAPSAT de « tentative de prise de pouvoir illégale et par la force », contraire à la Constitution et aux principes démocratiques. Il a appelé au dialogue comme seule solution viable pour résoudre la crise, tout en insistant sur l’unité nationale.
« Le dialogue est la seule voie à suivre et la seule solution à la crise à laquelle le pays est actuellement confronté. »
Andry Rajoelina, Président de Madagascar
Pour renforcer sa position, la présidence a tenu à préciser que Rajoelina restait dans le pays et continuait de gérer les affaires nationales. Cette déclaration vise à contrer les rumeurs d’une possible fuite du président, un scénario qui rappellerait la chute de son prédécesseur, Marc Ravalomanana, en 2009. Cependant, la nomination par le CAPSAT du général Démosthène Pikulas à la tête de l’armée, un poste vacant depuis la récente promotion de l’ancien chef au rang de ministre, complique encore la situation. Cette nomination, dont la légitimité reste incertaine, pourrait accentuer les tensions.
Une Gendarmerie Divisée et des Excuses Publiques
La crise ne se limite pas à l’opposition entre le CAPSAT et le gouvernement. La gendarmerie, accusée de violences contre les manifestants, a également pris la parole. Dans une déclaration vidéo, des officiers de la gendarmerie ont reconnu des « fautes et excès » lors de leurs interventions, appelant à la fraternité avec l’armée. Ils ont affirmé que leurs ordres émaneraient désormais uniquement de leur quartier général, signe d’une tentative de désescalade.
« Nous sommes là pour protéger, pas pour terroriser. »
— Officiers de la gendarmerie
Cette déclaration intervient dans un contexte où les violences ont déjà fait un lourd tribut. Selon un bilan des Nations unies, au moins 22 personnes ont perdu la vie depuis le début des manifestations, et plus d’une centaine ont été blessées. Des rapports locaux mentionnent également deux nouveaux décès et 26 blessés supplémentaires lors des affrontements de samedi. Le CAPSAT a par ailleurs signalé la mort d’un de ses soldats, tué par balle par les gendarmes, ce qui pourrait encore attiser les tensions.
Un Mouvement Populaire aux Racines Profondes
Les manifestations actuelles s’inscrivent dans une longue tradition de soulèvements populaires à Madagascar, un pays parmi les plus pauvres au monde. Depuis son indépendance en 1960, l’île a connu de multiples crises politiques, marquées par des protestations de masse. En 2009, un mouvement similaire avait conduit à la chute de Marc Ravalomanana et à l’installation d’Andry Rajoelina au pouvoir, avec le soutien de l’armée. Ironiquement, c’est aujourd’hui cette même armée, ou du moins une partie de celle-ci, qui semble se retourner contre lui.
Le mouvement Gen Z, à l’origine des manifestations, reflète les frustrations d’une jeunesse confrontée à des conditions de vie difficiles. Les coupures d’eau et d’électricité, symptômes d’une gestion critiquée, ont été le catalyseur d’une colère plus large contre l’élite politique. Les manifestants, rejoints par des soldats, ne se contentent plus de revendications matérielles : ils exigent un changement systémique, remettant en cause la légitimité du président et de son gouvernement.
Les Réactions Internationales : Un Appel à la Retenue
La communauté internationale suit la situation avec inquiétude. La Commission de l’Union africaine a appelé toutes les parties, civiles et militaires, à faire preuve de calme et de retenue. De son côté, l’Afrique du Sud, voisine influente, a exhorté au respect du processus démocratique et de l’ordre constitutionnel. Ces appels interviennent alors que Madagascar, déjà fragilisé par la pauvreté et l’instabilité chronique, risque de plonger dans une crise encore plus profonde.
Acteurs | Position | Actions récentes |
---|---|---|
CAPSAT | Unité militaire rebelle | Revendique le contrôle de l’armée, refuse de tirer sur les manifestants |
Gendarmerie | Forces de l’ordre | Reconnaît des excès, appelle à la fraternité |
Président Rajoelina | Chef de l’État | Dénonce un coup d’État, appelle au dialogue |
Mouvement Gen Z | Manifestants | Exige la démission du président |
Un Avenir Incertain pour Madagascar
Alors que les manifestations se poursuivent et que les tensions entre l’armée, la gendarmerie et le gouvernement s’intensifient, l’avenir de Madagascar reste incertain. Le ralliement d’une partie de l’armée aux manifestants pourrait redessiner les rapports de force, mais il soulève également des questions sur la cohésion des institutions. Le président Rajoelina, confronté à une contestation sans précédent, devra trouver un moyen de désamorcer la crise sans recourir à davantage de violence.
Le dialogue prôné par le président et soutenu par la communauté internationale pourrait-il apaiser les tensions ? Ou bien la fracture entre les différentes factions mènera-t-elle à une escalade incontrôlable ? Pour l’instant, les rues d’Antananarivo restent le théâtre d’un affrontement entre espoirs de changement et risques de chaos.
Points clés de la crise :
- Le CAPSAT revendique le contrôle de l’armée et refuse de réprimer les manifestants.
- Le président dénonce une tentative de coup d’État et appelle au dialogue.
- La gendarmerie reconnaît ses excès et cherche à apaiser les tensions.
- Les manifestations, portées par Gen Z, exigent des réformes profondes.
- La communauté internationale appelle à la retenue et au respect de l’ordre constitutionnel.
La situation à Madagascar évolue rapidement, et chaque jour apporte son lot de rebondissements. Alors que le pays oscille entre espoir de changement et crainte d’une nouvelle spirale de violence, une question demeure : qui sortira vainqueur de ce bras de fer entre le pouvoir, l’armée et le peuple ?