Dans les rues d’Abidjan, l’air est saturé de gaz lacrymogène et de cris pour la démocratie. À 300 kilomètres de là, à Daloa, une foule en liesse acclame le président Alassane Ouattara, qui lance sa campagne pour un quatrième mandat. À l’approche de l’élection présidentielle du 25 octobre 2025, la Côte d’Ivoire oscille entre tensions politiques et ferveur électorale, révélant un pays fracturé par des visions opposées de son avenir.
Une Élection sous Haute Tension
La Côte d’Ivoire entre dans une période électorale cruciale, marquée par des clivages profonds. Le président sortant, Alassane Ouattara, brigue un quatrième mandat, une décision qui cristallise les tensions. En septembre, le Conseil constitutionnel a rejeté les candidatures de figures majeures de l’opposition, dont l’ancien président Laurent Gbagbo et le chef du principal parti d’opposition, Tidjane Thiam. Ce choix a attisé la colère d’une partie de la population, qui voit dans ces exclusions une atteinte à la démocratie.
À Abidjan, épicentre économique et politique du pays, les frustrations se traduisent dans la rue. Samedi matin, des groupes de manifestants ont tenté de défier l’interdiction préfectorale pour exprimer leur opposition au quatrième mandat d’Ouattara. Rapidement, les forces de l’ordre ont dispersé ces rassemblements à l’aide de gaz lacrymogène, interpellant 237 personnes, selon le ministre de l’Intérieur, Vagondo Diomandé. Ces événements soulignent une fracture béante entre les aspirations démocratiques d’une partie de la jeunesse et la volonté du pouvoir de maintenir l’ordre.
Abidjan : Une Manifestation Étouffée
Les quartiers de Saint-Jean et Blockhauss, à Abidjan, ont été le théâtre de scènes de chaos. Malgré l’absence des leaders de l’opposition dans les cortèges, de petits groupes de manifestants, souvent jeunes, ont scandé des slogans réclamant plus de démocratie. « Nous ne sommes pas pour ce 4e mandat. Ce qu’il se passe divise les Ivoiriens », confie un lycéen de 19 ans, souhaitant garder l’anonymat, dans une déclaration empreinte de désarroi.
« Ce matin, je suis venue manifester parce que je suis fatiguée de ce pays. Son temps est arrivé, il n’a qu’à partir », lance Marie Rolande Gouho Zion, une quadragénaire.
Face à ces protestations, les forces de l’ordre ont déployé un dispositif impressionnant. Gaz lacrymogène et interpellations musclées ont mis fin aux rassemblements. Des journalistes couvrant l’événement ont également été pris à partie, leurs équipements saisis et leurs images effacées, une atteinte à la liberté de la presse qui ajoute une couche de tension au climat déjà lourd.
En quelques heures, le calme est revenu à Abidjan, mais la présence massive des forces de l’ordre reste un rappel constant des enjeux de cette élection. Une source sécuritaire affirme : « La situation est globalement calme sur l’ensemble du territoire. »
Daloa : Une Campagne en Fête
Pendant ce temps, à Daloa, ville emblématique de la région cacaoyère, l’ambiance est radicalement différente. Alassane Ouattara, surnommé ADO par ses partisans, a choisi ce bastion historique de son rival Laurent Gbagbo pour lancer sa campagne. Des milliers de militants, vêtus de T-shirts aux couleurs du Rassemblement des Houphouëtistes pour la Démocratie et la Paix (RHDP), ont envahi le stade de la ville, brandissant affiches et ballons géants aux slogans promettant « une grande Côte d’Ivoire ».
Dans son discours, Ouattara a vanté l’unité nationale, décrivant Daloa comme une « Côte d’Ivoire en miniature« , où cohabitent différentes communautés. Il a mis en avant son bilan, notamment les investissements dans les infrastructures : routes, universités, et bientôt une autoroute reliant Daloa à la capitale, Yamoussoukro. Ces réalisations, au cœur de son programme, visent à séduire un électorat attaché à la stabilité et au développement.
« Le message est clair : le 25 octobre, nous voterons la stabilité, la paix et la continuité », déclare Mamadou Touré, président de la région de Daloa.
Un Pays, Deux Réalités
Les événements d’Abidjan et de Daloa incarnent les deux visages de la Côte d’Ivoire à l’aube de cette élection. D’un côté, une opposition muselée, des jeunes désabusés et des appels à une alternance démocratique. De l’autre, un pouvoir en place qui mise sur son bilan et une campagne festive pour rallier les foules. Ce contraste reflète un pays à la croisée des chemins, où les aspirations à la démocratie se heurtent à la volonté de préserver l’ordre et la continuité.
La décision du Conseil constitutionnel d’écarter des figures comme Laurent Gbagbo a exacerbé les tensions. Pour beaucoup, cette exclusion symbolise un verrouillage du jeu démocratique. Pourtant, cinq candidats, dont quatre issus de l’opposition, ont été autorisés à concourir. Parmi eux, Jean-Louis Billon, ancien ministre du Commerce, Simone Ehivet Gbagbo, ex-première dame, Ahoua Don Mello, ancien ministre, et Henriette Lagou, candidate en 2015, tenteront de défier Ouattara.
Les Enjeux d’une Campagne de 14 Jours
La campagne, ouverte pour deux semaines, s’annonce intense. Chaque candidat devra convaincre dans un contexte où la question de la légitimité du scrutin est déjà au cœur des débats. Pour Ouattara, l’enjeu est clair : capitaliser sur son bilan économique et infrastructurel tout en apaisant les tensions. Ses adversaires, eux, devront fédérer une opposition fragmentée et mobiliser un électorat parfois désabusé.
Voici les principaux points à retenir de cette campagne électorale :
- Candidatures rejetées : L’exclusion de Laurent Gbagbo et Tidjane Thiam alimente les accusations de verrouillage démocratique.
- Manifestations réprimées : Les heurts à Abidjan montrent le mécontentement d’une partie de la population, notamment la jeunesse.
- Bilan d’Ouattara : Le président mise sur ses réalisations, comme les infrastructures, pour séduire les électeurs.
- Opposition divisée : Les quatre candidats d’opposition peinent à s’unir face au RHDP, parti au pouvoir.
La Côte d’Ivoire à la Croisée des Chemins
À mesure que la campagne progresse, la Côte d’Ivoire se trouve confrontée à des questions fondamentales : comment concilier stabilité et aspiration à une démocratie plus inclusive ? Le scrutin du 25 octobre sera-t-il perçu comme légitime par l’ensemble des Ivoiriens ? Les tensions observées à Abidjan risquent-elles de s’étendre à d’autres régions ?
La région cacaoyère, poumon économique du pays, illustre bien ces enjeux. En choisissant Daloa pour lancer sa campagne, Ouattara envoie un message fort : il veut séduire un électorat traditionnellement acquis à ses rivaux. Mais les frustrations exprimées dans les rues d’Abidjan montrent que la route vers un quatrième mandat ne sera pas sans obstacles.
Entre gaz lacrymogène et slogans de campagne, la Côte d’Ivoire retient son souffle. Quel avenir les urnes dessineront-elles pour ce pays riche de promesses, mais marqué par ses divisions ?
Les 14 jours de campagne qui s’ouvrent seront décisifs. Ils mettront à l’épreuve la capacité du pays à organiser un scrutin apaisé, tout en répondant aux aspirations d’une population divisée. Alors que les candidats sillonnent le pays, les regards sont tournés vers le 25 octobre, date qui pourrait redéfinir le paysage politique ivoirien.