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Artistes Soudanais : Dessiner la Guerre, Défier le Chaos

En pleine guerre, des artistes soudanais risquent tout pour dessiner leur réalité. Sur Khartoon, ils racontent la faim, la peur et l’espoir. Que cachent leurs œuvres ?

Dans un pays déchiré par la guerre, où chaque jour apporte son lot de dangers, des jeunes artistes soudanais saisissent leurs crayons, leurs téléphones, voire des feuilles d’école usagées, pour raconter une histoire que le monde ne peut ignorer. Leur arme ? Le dessin. Leur champ de bataille ? Un Soudan ravagé par un conflit qui, depuis avril 2023, a déplacé plus de sept millions de personnes et causé des dizaines de milliers de morts. À travers leurs esquisses, ces créateurs donnent un visage à la souffrance, à la résilience et à l’espoir, défiant les balles et la censure pour faire entendre leur voix.

L’Art comme Résistance dans un Pays en Feu

Le Soudan traverse ce que l’ONU qualifie de pire crise humanitaire au monde. Dans ce chaos, où les combats opposent l’armée dirigée par le général Abdel Fattah al-Burhane aux paramilitaires des Forces de soutien rapide (FSR), les dessinateurs ne baissent pas les bras. Leur travail, souvent réalisé dans des conditions extrêmes, devient un acte de résistance. Ils capturent l’essence d’un pays où les maisons s’effondrent, les familles fuient et la faim ronge. Pourtant, chaque trait de crayon est une affirmation : celle de leur droit à exister, à témoigner, à créer.

Khartoon : Une Vitrine pour les Voix Étouffées

Créée en 2024 par Khalid Albaih, un caricaturiste soudanais de renommée internationale, la plateforme Khartoon est devenue un refuge virtuel pour les artistes soudanais. Ce nom, fusion de cartoon, Khartoum et Khalid, incarne une mission audacieuse : offrir une tribune aux créateurs, qu’ils soient restés au Soudan ou exilés à l’étranger. La plateforme réunit tous les deux mois trois artistes – un caricaturiste et deux dessinateurs de bande dessinée ou d’art expérimental – pour partager leurs visions du conflit.

« Les artistes risquent leur vie rien qu’en se déplaçant dans le pays. »

Khalid Albaih, fondateur de Khartoon, depuis Oslo

Les œuvres publiées sur Khartoon dépeignent des scènes poignantes : des visages marqués par l’épuisement, des villes réduites en cendres, des camps de réfugiés dévorés par les flammes. Ces dessins ne se contentent pas de montrer la guerre ; ils exposent ses conséquences humaines, sociales et économiques, tout en pointant du doigt les figures de pouvoir, comme les généraux Burhane et Daglo, sans crainte des représailles.

Ammar Line : Dessiner sous les Bombes

Parmi ces artistes, Ammar Line, 26 ans, incarne l’esprit de résilience. Jusqu’en mai 2023, il vivait à Omdourman, une ville jumelle de Khartoum sous le contrôle des FSR. Dans cet environnement hostile, dessiner était un acte de bravoure. Utilisant le réseau internet Starlink, contrôlé par les paramilitaires, il envoyait ses croquis à Khartoon. Faute de matériel, il griffonnait sur des feuilles d’école récupérées, puis sur son téléphone. Mais lorsque la situation est devenue intenable, il a dû fuir, détruisant son appareil pour éviter que ses dessins ne tombent entre de mauvaises mains.

Aujourd’hui réfugié à Retij, dans l’État du Nil, Ammar continue de créer. Ses œuvres, souvent réalisées dans l’urgence, capturent la douleur des déplacés, un destin qu’il partage avec des millions de Soudanais. Son histoire illustre un paradoxe : même dans la fuite, l’art reste un refuge, un moyen de donner un sens au chaos.

Ahmed Fouad : L’Étau de la Guerre et de l’Économie

Ahmed Fouad, alias Ben, 27 ans, est un autre visage de cette résistance artistique. Après des mois d’exil dans le nord du Soudan, il est revenu à Khartoum en août, alors que l’armée reprenait le contrôle de la capitale. Ses dessins, publiés sur Khartoon, traduisent l’angoisse d’un peuple pris en tenaille. L’un de ses croquis les plus marquants montre un Soudanais en larmes, écrasé entre deux forces : l’économie en ruines et la guerre incessante. Ce dessin, d’une simplicité brutale, résume l’impuissance face à un double fléau.

Un dessin peut dire ce que les mots peinent à exprimer : la peur, la perte, mais aussi l’espoir d’un peuple qui refuse de se taire.

Shiroug Idriss : Une Médecin aux Crayons

Shiroug Idriss, 27 ans, est une figure unique dans ce mouvement. Diplômée en médecine, elle avait déjà couvert la révolution soudanaise de 2019 à travers ses illustrations. Réfugiée chez son grand-père dans le Kordofan-Nord, elle contribue à Khartoon avec des dessins documentés, comme une série retraçant l’histoire des FSR. Ses œuvres, à la fois historiques et émotionnelles, montrent que l’art peut être un outil de mémoire collective, capturant des vérités que les balles ne peuvent effacer.

Les Défis d’une Presse Muselée

Avant la guerre, les caricaturistes soudanais trouvaient un écho dans les journaux indépendants. Mais depuis avril 2023, la presse traditionnelle a été décimée. Les rédactions ont été vandalisées, les publications stoppées. Osman Obeid, 42 ans, caricaturiste ayant travaillé pour un quotidien indépendant jusqu’à son arrêt brutal, vit désormais à Oslo. Comme beaucoup, il a vu sa plateforme disparaître, mais Khartoon lui offre une nouvelle voix.

Pour Nader Genie, rédacteur en chef de Khartoon, la force des artistes réside dans leur vécu. « Ils parlent du déplacement car ils l’ont subi, de la faim car ils l’ont ressentie », explique-t-il. Cette authenticité donne à leurs dessins une puissance brute, capable de toucher des publics bien au-delà des frontières soudanaises.

Un Combat pour la Mémoire

Pour Khalid Albaih, le combat est loin d’être gagné. Il confie avoir « l’impression de crier dans le vide », les réseaux sociaux limitant la portée de Khartoon en raison de son contenu jugé trop politique. Pourtant, la plateforme persiste, avec une ambition qui transcende l’actualité immédiate. Comme le souligne Nader Genie, Khartoon aspire à devenir une archive vivante, un témoignage pour les générations futures, dans dix ou vingt ans.

Artiste Âge Lieu Contribution
Ammar Line 26 ans Retij, État du Nil Croquis sur la guerre et le déplacement
Ahmed Fouad (Ben) 27 ans Khartoum Caricatures sur l’économie et la guerre
Shiroug Idriss 27 ans Kordofan-Nord Illustrations historiques sur les FSR

Un Art sans Limites

Ce qui frappe dans le travail de ces artistes, c’est leur absence de lignes rouges. Contrairement à une époque où la censure pesait lourd, la nouvelle génération ose tout : critiquer les généraux, dénoncer la faim, montrer les ruines. Leur audace est d’autant plus remarquable que leur contexte est précaire. Certains, comme un artiste anonyme cité par Khalid, ont dû enterrer leur matériel dans le sable pour échapper aux fouilles des FSR. D’autres, comme Ammar, ont détruit leurs outils pour protéger leurs œuvres.

Cet engagement artistique dépasse la simple création. Il s’agit de préserver une mémoire collective, de documenter une tragédie, mais aussi de nourrir un espoir. Chaque dessin est un cri, un appel à ne pas oublier le Soudan, à ne pas détourner le regard.

Pourquoi l’Art Compte dans la Crise

L’art, dans un contexte de guerre, peut sembler superflu. Pourtant, il joue un rôle crucial. Les dessins des artistes de Khartoon ne se contentent pas de refléter la réalité ; ils la façonnent. Ils donnent une voix aux sans-voix, humanisent les statistiques, et rappellent que derrière les chiffres – sept millions de déplacés, des dizaines de milliers de morts – il y a des visages, des histoires, des rêves brisés.

  • Témoigner : Les dessins capturent des vérités que les mots peinent à exprimer.
  • Résister : Créer dans un tel contexte est un acte de défi face à l’oppression.
  • Archiver : Ces œuvres deviendront des traces indélébiles de l’histoire soudanaise.

En fin de compte, les artistes de Khartoon ne se battent pas seulement pour leur survie, mais pour celle d’une culture, d’une identité. Leur travail, bien que parfois ignoré par les algorithmes des réseaux sociaux, résonne comme un appel universel à l’humanité. Dans un pays où tout semble s’effondrer, leurs crayons tracent des ponts entre le désespoir et l’espoir, entre le silence et la révolte.

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