Dans les ruelles animées de Marseille, un phénomène inquiétant prend de l’ampleur : le trafic de prégabaline, un médicament initialement destiné à soulager les crises d’épilepsie et les troubles anxieux, mais détourné pour devenir une drogue de rue surnommée la “drogue du pauvre”. Ce commerce illicite, orchestré depuis la Grèce, a récemment conduit à la condamnation de six personnes par le tribunal correctionnel de Marseille. Derrière ces chiffres se cache une réalité alarmante : l’explosion de la consommation d’opioïdes dans les milieux les plus vulnérables. Comment un médicament peut-il devenir une drogue ? Quels mécanismes sociaux et judiciaires sont en jeu ? Plongeons dans cette affaire qui révèle les failles d’un système.
Un Réseau International Démantelé à Marseille
L’affaire commence à l’automne 2023, lorsqu’un contrôle douanier à l’aéroport de Marignane, près de Marseille, met en lumière une opération d’envergure. Dans les bagages d’une assistante radiologue tout juste arrivée de Grèce, les autorités découvrent plus de 10 000 gélules de prégabaline. Ce n’est que le début. L’enquête révèle un réseau sophistiqué, acheminant entre octobre 2022 et avril 2024 plus de 300 000 gélules, pour une valeur estimée à 600 000 euros. Les méthodes sont variées : des “mules” prenant l’avion, des colis expédiés par la poste ou via des transporteurs comme DHL. Ce trafic, reliant la Grèce à la cité phocéenne, illustre une organisation bien rodée.
Le tribunal correctionnel de Marseille a rendu son verdict mercredi : des peines de 18 mois à trois ans de prison, assorties de sursis pour la majorité des six prévenus. Parmi eux, cinq Algériens et une Grecque, dont une passeuse toujours en Grèce sous contrôle judiciaire. Un autre prévenu, en fuite, a été jugé par contumace. Trois des accusés, en détention provisoire, ont vu leur peine couverte par le temps déjà passé derrière les barreaux, leur permettant une sortie immédiate. Deux d’entre eux écopent également d’une interdiction de séjour en France pendant cinq ans.
La Prégabaline : De Médicament à Fléau
La prégabaline, commercialisée sous des noms comme Lyrica, est un médicament prescrit pour traiter l’épilepsie, les douleurs neuropathiques et les troubles anxieux. Mais son effet euphorisant, lorsqu’elle est consommée à fortes doses, en a fait une drogue prisée, notamment dans les milieux précaires. Surnommée la “drogue du pauvre”, elle est accessible et peu coûteuse sur le marché noir, ce qui explique son explosion dans certaines communautés. En France, les autorités sanitaires alertent sur son mésusage depuis plusieurs années.
“Les personnes concernées sont majoritairement des hommes jeunes, en moyenne 27 ans, souvent en situation de précarité, parfois en détention ou en centres de rétention administrative.”
Agence Nationale de Sécurité du Médicament (ANSM)
En 2021, l’ANSM a renforcé les conditions de prescription de ce médicament, face à une augmentation des cas d’addiction et de son usage à des fins récréatives. Pourtant, la demande ne faiblit pas, alimentée par des réseaux comme celui démantelé à Marseille. Ce phénomène n’est pas unique à la France : la prégabaline connaît une popularité croissante en Europe, où elle est souvent associée à une polyconsommation de substances psychoactives.
Les Mécanismes du Trafic
Le réseau opérait avec une logistique impressionnante. Une jeune femme, assistante radiologue, effectuait des allers-retours fréquents entre la Grèce et la France, transportant des milliers de gélules dans ses valises. L’enquête a révélé qu’elle avait pris l’avion près de 20 fois pour alimenter le marché marseillais. Parallèlement, des colis transitaient par des services postaux ou des transporteurs privés, rendant la traçabilité plus complexe pour les autorités.
Chiffres clés du trafic
- Période : Octobre 2022 à avril 2024
- Volume : Plus de 300 000 gélules
- Valeur : Plus de 600 000 euros
- Méthodes : Mules aériennes et envois postaux
Ce mode opératoire montre une adaptation des réseaux aux contraintes des contrôles douaniers. Les mules, souvent des primo-délinquants, étaient recrutées pour leur apparence anodine, comme cette assistante radiologue qui passait inaperçue. Mais le contrôle de Marignane a marqué un tournant, permettant aux autorités de remonter la filière.
Un Problème de Société plus Large
Ce trafic dépasse la simple question criminelle : il révèle des failles sociales profondes. La prégabaline attire principalement des populations vulnérables, confrontées à la précarité ou à l’exclusion. Les jeunes hommes, parfois mineurs, sont particulièrement touchés, souvent dans des contextes de marginalisation. Ce phénomène met en lumière une crise plus large : celle de l’accès aux soins et de la prise en charge des addictions.
En France, la consommation d’opioïdes, qu’ils soient médicamenteux ou illicites, est en hausse. La prégabaline, facile à obtenir sur le marché noir, comble un vide pour ceux qui n’ont pas accès à d’autres substances ou à des traitements adaptés. Les autorités sanitaires appellent à une meilleure régulation, mais aussi à une prise en charge globale des personnes dépendantes.
Les Réponses Judiciaires et Sanitaires
La justice a opté pour une réponse mesurée dans cette affaire. Les peines prononcées, bien que fermes, tiennent compte du statut de primo-délinquants de la plupart des accusés. Les sursis et la libération de trois prévenus montrent une volonté de ne pas alourdir leur parcours. Cependant, l’interdiction du territoire pour deux d’entre eux soulève des questions sur l’intégration des sanctions dans un contexte de trafic international.
Sur le plan sanitaire, l’ANSM continue de tirer la sonnette d’alarme. En durcissant les conditions de prescription en 2021, elle a tenté de limiter le détournement de la prégabaline. Mais la persistance du trafic montre que la réponse ne peut être uniquement réglementaire. Une approche combinée, mêlant prévention, éducation et accompagnement social, semble indispensable.
Vers une Prise de Conscience Collective
L’affaire de Marseille n’est qu’un symptôme d’un problème plus vaste. Le trafic de prégabaline, alimenté par la demande croissante, pose la question de la responsabilité collective. Comment prévenir le mésusage des médicaments ? Comment accompagner les populations vulnérables pour éviter qu’elles ne sombrent dans l’addiction ? Ces questions nécessitent une mobilisation à plusieurs niveaux : autorités sanitaires, justice, associations et société civile.
Défi | Solution potentielle |
---|---|
Mésusage de la prégabaline | Renforcer les contrôles de prescription |
Trafic international | Coopération douanière renforcée |
Addiction dans les milieux précaires | Programmes d’accompagnement social |
En attendant, le démantèlement de ce réseau à Marseille est une victoire, mais elle reste partielle. D’autres réseaux pourraient émerger, profitant des mêmes failles. La vigilance reste de mise, tant sur le plan judiciaire que sanitaire.
Ce trafic de prégabaline, entre la Grèce et Marseille, met en lumière une réalité complexe, mêlant santé publique, précarité et criminalité. Il invite à réfléchir aux moyens de protéger les plus vulnérables tout en luttant contre les réseaux qui exploitent leurs failles. Une chose est sûre : la “drogue du pauvre” n’a pas fini de faire parler d’elle.