Dans les ruelles animées de Saint-Germain-des-Prés, un homme de 73 ans attire les regards avec son allure vive et ses journaux sous le bras. Ali Akbar, dernier crieur de journaux de Paris, transforme chaque jour la capitale en un village où tout le monde semble se connaître. Avec ses titres inventés, criés avec humour, il incarne une tradition en voie de disparition, un symbole d’un Paris authentique où l’humain prend le pas sur le numérique.
Ali Akbar, l’Âme d’un Quartier
Ali Akbar n’est pas un simple vendeur. À Saint-Germain-des-Prés, il est une institution. Les serveurs des cafés, les habitués des terrasses et même les touristes le saluent comme un vieil ami. Son visage fin, ses lunettes rondes et sa casquette gavroche en font une figure immédiatement reconnaissable. « Même les murs pourraient parler d’Ali », confie une serveuse d’un restaurant face au marché Saint-Germain, qui le côtoie depuis plus de vingt ans.
Ses déambulations dans le 6e arrondissement, entre galeries d’art et librairies, rythment la vie du quartier. Les touristes, habitués à ses éclats de voix, demandent de ses nouvelles lorsqu’il n’est pas là. Ali, c’est l’âme d’un Paris où l’on prend encore le temps de s’arrêter, d’échanger un sourire ou une blague. Mais derrière cette figure joviale se cache une histoire de courage et de persévérance.
Une Vie de Résilience
Arrivé en France à l’âge de 20 ans, Ali Akbar quitte le Pakistan avec l’espoir d’échapper à la misère et de soutenir sa famille restée au pays. Son parcours n’a rien d’un conte de fées. Marin, puis plongeur dans un restaurant à Rouen, il connaît la précarité, dort parfois dans la rue et subit des agressions. Pourtant, il ne baisse jamais les bras. « J’ai beaucoup travaillé », dit-il simplement, attribuant à son courage la reconnaissance officielle qu’il s’apprête à recevoir : une nomination au grade de chevalier dans l’ordre national du Mérite.
« Je crois que c’est par rapport à mon courage. Parce que j’ai beaucoup travaillé. »
Ali Akbar
Son fils Shahab, 30 ans, ne cache pas son admiration. « Mon père est une inspiration. Il a traversé tant d’épreuves sans jamais perdre son sourire. » Cette résilience, Ali l’a forgée au fil des décennies, transformant chaque épreuve en une force pour continuer. Sa nomination prochaine, qu’il attribue peut-être à une suggestion d’amis ou à une rencontre fortuite avec un ancien étudiant devenu président, est une reconnaissance tardive mais méritée.
Des Rues de Paris aux Pages de la Presse Internationale
Ali Akbar n’est pas seulement une figure locale. Son histoire a traversé les frontières, relatée dans des journaux étrangers prestigieux. Shahab, son fils, collectionne fièrement ces articles, témoignages d’une vie qui inspire au-delà de Paris. « C’est incroyable de voir son parcours reconnu si loin », confie-t-il. Cette notoriété internationale contraste avec la simplicité d’Ali, qui continue de sillonner les rues avec la même énergie.
Dans les années 1970, alors que Paris compte encore une quarantaine de crieurs de journaux, Ali choisit le 6e arrondissement, un quartier alors abordable et fréquenté par des étudiants. C’est là qu’il apprend le français, en discutant avec des jeunes de Sciences Po, dont certains deviendront des figures politiques majeures. « J’ai croisé tellement de monde », se souvient-il, un sourire malicieux aux lèvres.
L’Art de Faire Sourire
Ce qui distingue Ali Akbar, c’est son humour. Dans les années 1980, il commence à inventer des titres farfelus pour attirer l’attention. « La France va mieux ! » ou des clins d’œil audacieux à des figures politiques, ses annonces sont devenues sa marque de fabrique. « Je veux que les gens vivent dans la joie », explique-t-il. Mais il admet que trouver des blagues devient plus difficile dans un monde qu’il décrit comme « un peu le bordel ».
Exemples de titres inventés par Ali Akbar :
- « La France va mieux ! »
- « Un homme politique se convertit à l’islam ! »
- « Macron met de la Bétadine sur mes blessures ! »
Ses éclats de voix ne passent pas inaperçus. Les passants sourient, certains achètent un journal par curiosité, d’autres juste pour échanger quelques mots. Pourtant, les ventes ne sont plus ce qu’elles étaient. Avec une moyenne de trente journaux vendus par jour, contre 150 à 200 dans ses belles années, Ali ressent les effets de l’ère numérique. Mais il refuse d’abandonner. « Tant que j’ai de l’énergie, je continue ! » lance-t-il avec détermination.
Un Métier en Voie de Disparition
Le métier de crieur de journaux, autrefois courant dans les grandes villes, est aujourd’hui presque éteint. Dans les années 1970, ils étaient des dizaines à Paris, postés aux bouches de métro ou dans les quartiers animés. Ali, lui, a choisi de se démarquer en arpentant les rues du Quartier latin, un choix qui a fait sa renommée. Mais l’essor du numérique a changé la donne. Les journaux papier se vendent moins, et les crieurs ont disparu un à un.
Pour Amel, une habituée des terrasses parisiennes, Ali incarne une époque révolue. « À l’ère du numérique, c’est touchant de voir quelqu’un vendre des journaux avec autant de passion. Nos enfants ne connaîtront pas ce plaisir. » Cette nostalgie est partagée par beaucoup, qui voient en Ali un gardien des traditions, un lien avec un Paris plus humain, moins connecté.
« C’est beau de voir ça… Nos enfants ne connaîtront malheureusement pas le plaisir de lire un journal avec son petit café. »
Amel, 36 ans
Un Héritage Vivant
Ali Akbar ne se contente pas de vendre des journaux. Il vend une expérience, un moment de connexion dans une ville parfois impersonnelle. À 73 ans, avec une retraite de 1 000 euros par mois, il pourrait s’arrêter. Pourtant, il travaille encore de 15h à 22h, porté par une énergie qui force l’admiration. « Je travaillerai jusqu’à la mort ! » plaisante-t-il, mais sa détermination est sérieuse.
Son histoire, c’est celle d’un homme qui a transformé les épreuves en opportunités. De ses débuts difficiles à sa reconnaissance internationale, Ali Akbar incarne une forme de résilience universelle. Il est la preuve que, même dans une métropole bouillonnante, une seule personne peut laisser une empreinte indélébile.
Étape de vie | Détail |
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Arrivée en France | À 20 ans, fuyant la misère au Pakistan |
Premiers métiers | Marin, puis plongeur à Rouen |
Débuts de crieur | Dans les années 1970, dans le 6e arrondissement |
Reconnaissance | Nomination au grade de chevalier dans l’ordre national du Mérite |
À Saint-Germain-des-Prés, Ali Akbar n’est pas seulement un crieur de journaux. Il est un conteur, un passeur d’histoires, un symbole d’un Paris qui résiste au temps. Son rire, ses titres inventés et sa présence quotidienne rappellent que la ville, malgré ses transformations, reste un lieu où l’humain peut encore briller.
Un Paris Village
En parcourant les rues, Ali Akbar donne à Paris des airs de village. Il connaît les habitués, salue les commerçants, plaisante avec les passants. Cette proximité, rare dans une capitale, fait de lui une figure chérie. « C’est comme si tout le quartier était une grande famille », note un serveur du coin. Ali, avec ses journaux et son humour, est le fil qui relie ces âmes.
Son histoire ne s’arrête pas aux pavés parisiens. Elle résonne comme un hymne à la persévérance, à la joie de vivre et à la capacité de transformer une vie difficile en une légende urbaine. Ali Akbar, dernier crieur de Paris, n’est pas prêt de s’effacer. Tant qu’il arpente les rues, le cœur de la capitale continue de battre au rythme de ses pas.