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Grande Muraille Verte : Écologie ou Sacrifice Culturel ?

La Chine transforme ses déserts en terres vertes, mais les éleveurs mongols paient le prix fort. Un projet écologique exemplaire ou une menace culturelle ?

Dans les vastes étendues du nord de la Chine, où les dunes de sable rencontrent des steppes autrefois infinies, un projet ambitieux redessine le paysage. La Grande Muraille Verte, lancée en 1978, promet de freiner la désertification et de verdir des terres arides. Mais derrière cette initiative écologique, des voix s’élèvent : celles des éleveurs mongols, dont le mode de vie traditionnel semble s’effacer sous le poids des restrictions. Entre progrès environnemental et coût humain, ce projet soulève des questions brûlantes.

Un rempart vert contre le désert

La Chine, confrontée à l’avancée des déserts et aux tempêtes de sable qui menaçaient jusqu’à Pékin, a lancé un programme titanesque il y a plus de quatre décennies. L’objectif initial ? Créer une barrière végétale pour contenir les dunes et protéger les populations urbaines. Aujourd’hui, ce projet s’est élargi : il vise à transformer des terres arides en espaces cultivables, tout en incarnant l’engagement du pays contre le changement climatique.

Dans le désert de Kubuqi, en Mongolie intérieure, des chiffres impressionnants témoignent de cette ambition : l’équivalent de 840 000 terrains de football a été reboisé. Champs de maïs, tournesols et arbustes adaptés aux milieux arides, comme le saxaul, ont remplacé des étendues de sable. Ces efforts ont créé des emplois, réduit la pauvreté et attiré des entreprises, séduites par des incitations gouvernementales.

Les eaux claires et les montagnes verdoyantes sont des montagnes d’or et d’argent.

Un slogan attribué au président chinois, affiché dans le désert de Kubuqi.

Cette transformation est souvent présentée comme une success story écologique. Une agence des Nations Unies a salué, en 2015, les retombées économiques et sociales du projet, notamment dans l’agriculture. Mais à quel prix ce succès a-t-il été obtenu ?

Le coût humain : la fin du nomadisme

Pour Dorj, un éleveur mongol d’une soixantaine d’années, le rêve vert a un goût amer. Ses moutons, autrefois libres de paître dans les steppes, sont aujourd’hui confinés à un petit terrain clôturé. Le pastoralisme, mode de vie ancestral des Mongols de la région, est en voie de disparition. Depuis une décennie, le nomadisme a pratiquement cessé en Mongolie intérieure, remplacé par des restrictions strictes sur le pâturage.

Le gouvernement justifie ces mesures par la nécessité de protéger les jeunes plantations. Des patrouilles surveillent les steppes pour s’assurer que les règles sont respectées. Mais pour beaucoup, ces restrictions bouleversent un équilibre millénaire. Les Mongols, qui représentent environ 17 % de la population de la région, se sentent dépossédés de leur culture et de leurs terres.

Le projet a forcé les éleveurs à quitter leurs terres et perturbé les pratiques durables qui maintenaient l’équilibre fragile des steppes.

Enghebatu Togochog, militant mongol exilé aux États-Unis.

Les critiques vont plus loin. Certains affirment que les éleveurs sont rendus responsables d’une désertification dont ils ne sont pas les seuls coupables. L’exploitation du charbon, l’agriculture intensive et le changement climatique jouent un rôle bien plus important, selon des études publiées en 2017 par des chercheurs chinois. Pourtant, ce sont les bergers qui paient le prix fort, parfois au prix de manifestations réprimées.

Un verdissement aux retombées économiques

Dans le désert de Kubuqi, l’impact économique est indéniable. Bai Lei, une agricultrice d’ethnie Han, cultive la cistanche, une plante médicinale prisée, sur 300 hectares de terres autrefois stériles. Cette culture, qui pousse en symbiose avec le saxaul, stabilise le sol tout en générant des revenus. Des entreprises comme la sienne prospèrent grâce aux incitations du gouvernement, transformant des dunes en champs productifs.

Le projet attire aussi les touristes. Monsieur Feng, un ancien agriculteur reconverti dans la location de quads, vante les retombées : des ressources plus abondantes, des emplois, et une fierté nouvelle pour les habitants. Le tourisme, couplé à l’agriculture, redessine l’économie locale, faisant du Kubuqi un symbole de l’économie verte.

Les chiffres clés du projet

  • 840 000 terrains de football reboisés dans le Kubuqi.
  • Des dizaines de milliers d’emplois créés.
  • Réduction significative de la pauvreté dans la région.

Mais ce tableau idyllique cache des failles. Les bénéfices semblent inégalement répartis, favorisant les grandes entreprises et les populations Han, majoritaires en Chine, au détriment des minorités mongoles.

Un équilibre écologique fragile

Si le reboisement est salué, des scientifiques s’inquiètent de ses impacts à long terme. Zhang Yanping, une doctorante, observe des peupliers et des pins plantés il y a plus de dix ans dans le Kubuqi. Ces arbres, souvent non indigènes, consomment beaucoup d’eau, menaçant les nappes phréatiques. Leur faible taux de survie et le manque de diversité des espèces posent aussi problème.

Wang Shuai, géographe à Pékin, va plus loin : les déserts ont des fonctions écologiques essentielles, comme la conservation de l’eau et la préservation de la biodiversité. Plutôt que de chercher à les faire disparaître, il propose de simplement en limiter l’expansion. Cette vision remet en question l’approche actuelle, qui privilégie une transformation radicale du paysage.

Avantages Inconvénients
Réduction des tempêtes de sable Perte des pratiques nomades
Création d’emplois Épuisement des nappes phréatiques
Développement de l’agriculture Impact sur la biodiversité

Ce tableau résume les tensions au cœur du projet : des avancées écologiques et économiques, mais des conséquences sociales et environnementales qui suscitent le débat.

Une transformation sociale controversée

Pour les critiques comme Enghebatu Togochog, la Grande Muraille Verte ne se contente pas de verdir le désert : elle transforme le paysage social et culturel de la Mongolie intérieure. Les restrictions imposées aux éleveurs ont entraîné des manifestations, parfois réprimées, selon des rapports d’organisations non gouvernementales. Les Mongols se sentent marginalisés, leur identité culturelle menacée par un projet qui semble avant tout bénéficier à l’État et aux grandes entreprises.

Les témoignages recueillis dans la région sont souvent anonymes, par peur de représailles. Des journalistes ont rapporté avoir été suivis ou interrompus par des fonctionnaires locaux, signe d’une certaine opacité autour du projet. Cette situation soulève des questions sur la transparence et l’équité des décisions prises.

Un modèle pour l’avenir ?

La Grande Muraille Verte est souvent présentée comme un modèle pour les autres pays confrontés à la désertification. Pourtant, son succès dépendra de sa capacité à concilier progrès écologique, justice sociale et préservation culturelle. Les éleveurs comme Dorj demandent à être entendus, tandis que des scientifiques appellent à une approche plus nuancée, respectueuse des écosystèmes naturels.

Le projet pourrait-il évoluer pour intégrer ces critiques ? Une chose est sûre : l’avenir des steppes de Mongolie intérieure dépendra des choix faits aujourd’hui. Entre ambition verte et préservation d’un patrimoine millénaire, la Chine marche sur une corde raide.

Que retenir de la Grande Muraille Verte ?

  • Un projet ambitieux contre la désertification.
  • Des bénéfices économiques, mais des coûts sociaux élevés.
  • Des questions écologiques sur la durabilité des plantations.
  • Une menace pour la culture mongole traditionnelle.

Alors que le désert de Kubuqi se pare de vert, les éleveurs mongols regardent leur passé s’effacer. La Grande Muraille Verte incarne un paradoxe : un élan écologique qui pourrait, sans ajustements, sacrifier une partie de l’âme de la Mongolie intérieure.

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