Les visages sont graves et les regards rivés sur les écrans de smartphones en ce dimanche soir place de la République à Paris. Plus de 8000 militants et sympathisants de gauche se sont rassemblés peu après 20h, à l’appel des partis unis sous la bannière du Nouveau Front populaire, pour suivre les résultats du premier tour des élections législatives. Et le verdict des urnes est tombé comme un couperet : avec 33,15% des voix, le Rassemblement national et ses alliés arrivent largement en tête, devant la gauche (27,99%) et surtout loin devant la majorité présidentielle (20,76%). Un choc pour beaucoup sur la place.
« Je suis effondrée », lâche Lucie, 24 ans, étudiante en économie. Comme elle, ils sont nombreux à ne pas cacher leur déception et même leurs larmes devant ce score historique de l’extrême-droite. « La perspective de voir Marine Le Pen Première ministre me révulse », abonde son amie Inès. Dans la foule, les discussions vont bon train pour tenter de comprendre ce résultat. « Les Français en ont ras-le-bol et votent pour dégager Macron, quitte à mettre le RN », analyse amèrement Marc, 54 ans et militant de longue date.
Une gauche combative malgré les sondages
Pourtant, nombre de participants veulent aussi retenir le bon score de la gauche, en nette progression par rapport à 2022. « On a réussi à imposer nos thèmes dans le débat, notamment sur le pouvoir d’achat et l’écologie. Ca prouve que nos idées sont majoritaires », veut croire Éléonore, 41 ans et encartée EELV. Un discours combatif partagé sur l’estrade par les leaders de la coalition de gauche. « Nous sommes la seule force en capacité de battre l’extrême-droite », martèle le chef de file LFI Manuel Bompard, appelant à une « mobilisation générale » pour le second tour.
Un mot d’ordre qui semble résonner dans les rangs des militants, bien décidés à ne rien lâcher malgré des sondages peu favorables. « Il faut continuer à aller convaincre sur le terrain, porte à porte s’il le faut. On ira chercher les abstentionnistes », promet Benjamin, 36 ans. « On n’a pas dit notre dernier mot, vivement dimanche prochain ! », renchérit Fatoumata, gilet de la France Insoumise sur les épaules.
La peur d’une France d’extrême-droite
Malgré cette envie de se battre jusqu’au bout, l’inquiétude reste palpable chez beaucoup face à la dynamique du RN. « J’ai peur pour mon pays s’ils arrivent au pouvoir. Ce serait une régression sociale terrible et la porte ouverte à toutes les discriminations », s’alarme Karim, 52 ans. Un sentiment partagé par Lucie : « Avec une telle assemblée, les droits des femmes et des minorités seraient clairement menacés. C’est angoissant ».
Pour conjurer ces craintes, les leaders de gauche multiplient les appels au « sursaut républicain » et au « front anti-fasciste ». « Dimanche, c’est un référendum pour ou contre l’extrême-droite. Chacun devra prendre ses responsabilités », tonne l’écologiste Julien Bayou. Un message qui semble faire mouche auprès des militants. « Moi j’irai tracter pour appeler à faire barrage, comme en 2002 », promet Marc.
La difficile union de la gauche
Reste que certains s’interrogent sur la solidité de l’alliance de gauche en cas de victoire. « On a fait campagne ensemble mais on n’est pas d’accord sur tout, loin de là. Il va falloir apprendre à gouverner unis », s’inquiète Eléonore. Un constat lucide partagé par Manuel Bompard qui appelle à « dépasser les vieux clivages » de la gauche.
« Notre union est un combat, elle ne se fera pas sans heurts. Mais face à l’urgence sociale et écologique, nous n’avons pas le choix »
Manuel Bompard, chef de file de La France Insoumise
Vers minuit, la place de la République se vide peu à peu mais les militants promettent de revenir dimanche pour fêter « la victoire ou la résistance ». Une semaine décisive s’ouvre pour la gauche, entre espoir de l’emporter et peur de tout perdre. « Quel que soit le résultat, la lutte continuera. On ne lâchera rien », lance Benjamin le poing levé avant de repartir, drapeau rouge sur le dos.