Dans un pays ravagé par quatorze années de guerre, un adolescent syrien de 13 ans, Mohammed, redécouvre le sourire. Amputé des deux bras à cause d’un engin explosif, il peut désormais écrire et jouer grâce à des prothèses financées par un acteur inattendu : l’Arabie Saoudite. Ce royaume du Golfe, riche de son pétrole, ne se contente pas d’offrir une aide humanitaire. Derrière ces gestes, une ambition claire se dessine : renforcer son influence dans une Syrie en pleine reconstruction. Mais que cache cette générosité ?
Une Nouvelle Ère pour la Syrie et l’Arabie Saoudite
La chute du régime Assad en décembre 2024 a marqué un tournant pour la Syrie. Après des décennies de conflits où puissances mondiales comme la Russie, l’Iran, la Turquie et les États-Unis se sont affrontées par procuration, le pays cherche à se relever. Les anciens alliés d’Assad se retirent peu à peu, laissant un vide que l’Arabie Saoudite s’empresse de combler. Grâce à sa manne pétrolière, Riyad investit massivement pour façonner l’avenir syrien.
Cette stratégie ne date pas d’aujourd’hui. Depuis la normalisation des relations avec l’ancien régime en 2023, l’Arabie Saoudite a multiplié les gestes d’ouverture. Aujourd’hui, elle soutient activement les nouveaux dirigeants islamistes, plaidant pour la levée des sanctions internationales qui pèsent sur Damas. Mais cette générosité n’est pas sans arrière-pensées.
Une Aide Humanitaire aux Ambitions Géopolitiques
L’Arabie Saoudite a promis des investissements colossaux, estimés à 6,4 milliards de dollars, pour reconstruire les infrastructures syriennes dévastées. Écoles, hôpitaux, routes : aucun secteur n’échappe à cette offensive. En parallèle, Riyad s’est engagé, avec le Qatar, à rembourser 15 millions de dollars de dettes syriennes auprès de la Banque mondiale. Plus symbolique encore, le royaume a offert 1,65 million de barils de pétrole brut pour soutenir l’économie locale.
« Je peux à nouveau utiliser le stylo, dessiner et jouer avec mes camarades », confie Mohammed, 13 ans, montrant fièrement ses prothèses financées par des spécialistes saoudiens.
Ces initiatives, portées par l’agence humanitaire saoudienne KSrelief, touchent directement la population. Des ambulances, des équipements de déblaiement et des projets de reconstruction transforment le quotidien des Syriens. À Damas, les habitants comme Ahmad, un enseignant, saluent cet engagement : « Ces efforts nous aident à tourner la page de la guerre. »
Chiffres clés de l’engagement saoudien :
- 6,4 milliards de dollars d’investissements promis.
- 15 millions de dollars de dettes remboursées.
- 1,65 million de barils de pétrole offerts.
Un Jeu d’Influence Régionale
Si l’aide saoudienne redonne espoir, elle s’inscrit dans une lutte d’influence plus large. Riyad cherche à contrer le Qatar et la Turquie, soutiens majeurs des nouveaux dirigeants syriens. Selon Umar Karim, spécialiste de la politique saoudienne, l’objectif est clair : « Garder la Syrie dans le camp saoudien, tout en l’alignant sur des dossiers régionaux comme le Liban, le Hezbollah ou l’Iran. »
Ce positionnement n’est pas nouveau. L’Arabie Saoudite a toujours cherché à asseoir son autorité dans le monde arabe, face à des rivaux comme l’Iran. Avec la chute d’Assad, Riyad voit une opportunité unique de modeler un nouvel ordre régional. En investissant dans la reconstruction, le royaume s’assure une place de choix dans les décisions futures de Damas.
Le Captagon : Un Enjeu Sous-Jacent
Un autre objectif saoudien est de freiner le trafic de captagon, une drogue de synthèse qui a prospéré en Syrie pendant la guerre. Ce narcotique, devenu une source de revenus majeure pour le pays, inonde les marchés du Golfe, y compris l’Arabie Saoudite. En 2023, Riyad avait déjà tenté de négocier avec Assad pour limiter ce commerce. Aujourd’hui, les nouvelles autorités syriennes saisissent des millions de comprimés, mais le trafic persiste.
« L’objectif est d’éradiquer l’industrie du captagon en offrant une alternative économique légale », explique Rabha Seif Allam, analyste au Caire.
En proposant des investissements et des projets concrets, l’Arabie Saoudite espère détourner l’économie syrienne de cette dépendance aux narcotiques. Mais cet objectif est ambitieux : le captagon est profondément enraciné dans les réseaux régionaux, et son éradication nécessitera bien plus que des aides financières.
Entre Espoir et Méfiance
Pour de nombreux Syriens, l’aide saoudienne est une bouffée d’oxygène. À Damas, des foules brandissant le drapeau saoudien célèbrent les dons d’équipements et les projets de reconstruction. Pourtant, dans des régions comme Idleb, certains restent prudents. « Ces investissements sont positifs, mais seulement s’ils n’impliquent pas d’ingérence », confie Hamadi, un commerçant local.
Ce scepticisme reflète une réalité complexe. Si l’Arabie Saoudite comble un vide laissé par la Russie et l’Iran, elle pourrait aussi chercher à imposer ses priorités. Pour Rabha Seif Allam, ces efforts visent à créer une « ligne défensive » pour le Golfe, empêchant la Syrie de sombrer à nouveau dans le chaos ou de s’aligner sur des puissances rivales.
Secteur | Contribution saoudienne |
---|---|
Infrastructures | 6,4 milliards de dollars pour la reconstruction |
Humanitaire | Prothèses, ambulances, déblaiement |
Énergie | 1,65 million de barils de pétrole |
Un Équilibre Délicat
L’Arabie Saoudite marche sur une corde raide. D’un côté, elle doit convaincre les Syriens de sa bonne foi, en évitant toute perception d’ingérence. De l’autre, elle cherche à contrer ses rivaux régionaux tout en stabilisant un pays clé. Les projets humanitaires, comme les prothèses offertes à Mohammed, incarnent cet équilibre : ils changent des vies tout en servant une stratégie plus large.
Pour les Syriens, l’enjeu est clair : accepter l’aide sans perdre leur souveraineté. Les années à venir montreront si Riyad parvient à transformer ses investissements en influence durable, ou si la Syrie, fidèle à son histoire, résistera à toute tentative de mainmise externe.
La Syrie, entre reconstruction et jeux de pouvoir, reste à la croisée des chemins.
Alors que les grues s’activent et que les écoles rouvrent, l’Arabie Saoudite redessine le paysage syrien, brique par brique. Mais dans ce pays marqué par des décennies de lutte, chaque geste d’aide est scruté. L’avenir dira si cette générosité est une main tendue ou un levier pour un nouvel ordre régional.