Dans le désert malien, une nouvelle forme de guerre fait rage, loin des champs de bataille traditionnels. Les groupes jihadistes, menés par le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM), ont trouvé une cible stratégique : les sites industriels étrangers, en particulier ceux exploités par la Chine. Ces attaques, qui se multiplient depuis plusieurs semaines, ne visent pas seulement à semer la peur, mais à frapper l’économie malienne au cœur, tout en défiant l’autorité de la junte au pouvoir. Quels sont les enjeux de ce jihad économique et comment redessine-t-il les relations internationales au Mali ?
Une Offensive Jihadiste Contre l’Économie Malienne
Le Mali, pays riche en ressources naturelles comme l’or et le lithium, attire depuis longtemps les investisseurs étrangers. Cependant, cette richesse est devenue une arme à double tranchant. Le GSIM, affilié à Al-Qaïda, a intensifié ses attaques contre les infrastructures industrielles, avec un ciblage particulier des entreprises chinoises. Depuis juin, sept sites étrangers, dont six exploités par des compagnies chinoises, ont été visés, selon une analyse de l’American Enterprise Institute. Ces raids ne sont pas des actes isolés, mais une stratégie calculée pour affaiblir l’économie malienne et discréditer le gouvernement militaire.
« Ce ne sont pas des griefs contre les Chinois, mais une logique de porter un coup à l’économie malienne. »
Bakary Sambe, directeur du Timbuktu Institute
Les jihadistes cherchent à imposer des taxes de protection aux entreprises étrangères, une tactique qui leur permet de financer leurs opérations tout en semant le chaos. En paralysant les industries clés, ils espèrent non seulement priver la junte de revenus essentiels, mais aussi renforcer leur influence dans des régions stratégiques comme Kayes, qui représente près de 80 % de la production d’or du pays.
Kayes : Le Cœur de l’Or Malien Sous Pression
La région de Kayes, située dans l’ouest du Mali, est au centre de cette offensive. Connue pour ses vastes gisements d’or, elle est un pilier économique du pays. Mais pour le GSIM, elle est bien plus qu’une source de richesse : c’est un corridor commercial stratégique reliant le Mali au Sénégal, principal fournisseur du pays. En août, les attaques dans cette région se sont intensifiées, ciblant notamment des usines chinoises de sucre près de Ségou, au centre du Mali, une zone jusque-là relativement épargnée.
Le GSIM a également décrété un blocus sur Kayes et Nioro, une région frontalière de la Mauritanie, pour bloquer l’approvisionnement en carburant importé depuis le Sénégal et la Côte d’Ivoire. Les menaces contre les commerçants sont claires : brûler les citernes ou éliminer les chauffeurs. Cette stratégie vise à asphyxier l’économie locale, tout en renforçant l’emprise du groupe sur ces territoires.
Chiffre clé : Kayes représente environ 80 % de la production d’or malienne, un secteur vital pour l’économie nationale.
Les Chinois, Cibles Privilégiées
Pourquoi les entreprises chinoises sont-elles particulièrement visées ? La réponse réside dans l’importance croissante de la Chine comme partenaire économique du Mali. Depuis 2000, Pékin a investi 1,8 milliard de dollars dans 137 projets au Mali, tandis que les investissements privés chinois ont atteint 1,6 milliard de dollars entre 2009 et 2024. Ces chiffres témoignent de l’engagement économique de la Chine, qui s’est intensifié depuis l’arrivée au pouvoir de la junte militaire en 2020.
Cette relation privilégiée fait des entreprises chinoises des cibles idéales pour le GSIM. En s’attaquant à elles, le groupe cherche à fragiliser les partenariats économiques de Bamako, tout en envoyant un message clair : aucun investisseur n’est à l’abri. Parmi les incidents marquants, au moins 11 citoyens chinois auraient été enlevés, principalement dans la région de Kayes. Bien que Pékin n’ait pas confirmé ce chiffre, l’ambassade chinoise à Bamako a assuré qu’elle collaborait étroitement avec les autorités maliennes pour assurer la sécurité de ses ressortissants.
Un Contexte Géopolitique Complexe
Le Mali, dirigé par une junte militaire depuis deux coups d’État en 2020 et 2021, a opéré un virage géopolitique majeur. Rompant avec la France, ancienne puissance coloniale, le régime s’est rapproché de partenaires comme la Russie, la Turquie et la Chine. Des drones turcs, des blindés chinois et les services de la société de sécurité privée russe Africa Corps (anciennement Wagner) soutiennent désormais l’armée malienne dans sa lutte contre les groupes jihadistes, dont le GSIM et l’État islamique au Sahel.
« La Russie est prête à être un facteur de déstabilisation pour renforcer son influence, ce qui est en contradiction avec l’intérêt de la Chine qui recherche la stabilité. »
Liam Karr, analyste à l’American Enterprise Institute
Cette reconfiguration des alliances internationales crée des tensions. Alors que la Chine privilégie la stabilité pour protéger ses investissements, la Russie semble tolérer un certain niveau de chaos pour consolider son influence. Cette divergence d’intérêts complique la situation pour Bamako, qui doit jongler entre ses partenaires tout en luttant contre une menace jihadiste grandissante.
Les Conséquences Économiques et Sociales
Les attaques du GSIM ne se limitent pas aux entreprises chinoises. En juillet, trois employés indiens d’une cimenterie ont été enlevés lors d’une attaque armée dans l’ouest du pays. Ces incidents risquent de fragiliser les relations commerciales du Mali avec ses partenaires clés, notamment la Chine, qui reste l’un de ses plus grands investisseurs. Une rupture de ces liens pourrait avoir des conséquences dramatiques pour une économie déjà fragilisée par l’instabilité politique et les conflits armés.
En parallèle, la junte malienne cherche à renforcer son contrôle sur les ressources nationales. Par exemple, elle a pris le contrôle opérationnel de la mine d’or de Loulo-Gounkoto, la plus grande du pays, en exigeant des arriérés d’impôts de plusieurs centaines de millions de dollars à son propriétaire canadien. Cette politique souverainiste, bien qu’ambitieuse, pourrait dissuader les investisseurs étrangers, déjà échaudés par les attaques jihadistes.
Secteur | Impact des attaques |
---|---|
Mines d’or | Perturbations des opérations, enlèvements, blocus commerciaux |
Industrie sucrière | Attaques ciblées sur les usines chinoises près de Ségou |
Commerce régional | Blocus sur le carburant, menaces contre les transporteurs |
Vers un Émirat Jihadiste ?
Le GSIM ne cache pas ses ambitions. Selon un rapport des Nations Unies publié en juillet, le groupe aspire à créer un émirat islamique capable de défier les régimes militaires du Sahel et d’imposer la charia. En s’attaquant aux piliers économiques du Mali, il cherche à délégitimer la junte et à renforcer son contrôle territorial. Cette stratégie, bien que risquée, s’appuie sur la faiblesse des infrastructures étatiques dans les régions reculées, où l’influence du gouvernement central reste limitée.
Face à cette menace, la junte malienne se trouve dans une position délicate. D’un côté, elle doit protéger ses partenaires économiques, essentiels à la survie du pays. De l’autre, elle doit faire face à une insécurité croissante, alimentée par des groupes comme le GSIM, qui exploitent les failles d’un État en transition. Les enlèvements, les blocus et les attaques contre les infrastructures industrielles ne sont que les symptômes d’un problème plus profond : l’incapacité du Mali à sécuriser ses régions stratégiques.
Quel Avenir pour les Relations Sino-Maliennes ?
Les attaques du GSIM soulèvent des questions sur l’avenir des relations entre Bamako et Pékin. La Chine, qui mise sur la stabilité pour protéger ses investissements, pourrait revoir sa stratégie si la situation sécuritaire continue de se dégrader. Déjà, des mesures ont été prises pour renforcer la sécurité des citoyens chinois au Mali, mais ces efforts suffiront-ils à rassurer les investisseurs ?
En outre, la montée en puissance d’autres acteurs, comme la Russie, complique le jeu géopolitique. Alors que Pékin cherche à préserver ses intérêts économiques, Moscou semble prêt à exploiter l’instabilité pour consolider son influence. Cette rivalité pourrait avoir des répercussions sur la capacité du Mali à attirer de nouveaux investissements, essentiels pour relancer une économie fragilisée.
Point clé : Les investissements chinois au Mali, estimés à 1,8 milliard de dollars depuis 2000, sont menacés par l’insécurité croissante.
En conclusion, le jihad économique mené par le GSIM au Mali marque une nouvelle étape dans la lutte pour le contrôle des ressources et du pouvoir. En ciblant les entreprises étrangères, en particulier chinoises, le groupe cherche à déstabiliser la junte et à affaiblir l’économie nationale. Pour Bamako, le défi est double : sécuriser ses régions stratégiques et préserver ses partenariats internationaux dans un contexte géopolitique tendu. Alors que les attaques se multiplient, l’avenir du Mali dépendra de sa capacité à répondre à cette menace tout en maintenant la confiance de ses alliés économiques.