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Colombie : Justice pour les Faux Positifs et Crimes de Guerre

En Colombie, la justice condamne ex-militaires pour "faux positifs" et ex-guérilleros pour enlèvements. Que signifie ce tournant pour les victimes ?

Imaginez un pays où des civils innocents, souvent issus de milieux modestes, sont assassinés et présentés comme des combattants ennemis pour gonfler des statistiques militaires. En Colombie, ce cauchemar a été une réalité pendant des décennies, marquant l’histoire d’un conflit armé déchirant. Aujourd’hui, un tournant judiciaire tente de rendre justice aux victimes, avec des condamnations historiques prononcées contre d’anciens militaires et ex-guérilleros. Ce processus, porté par la Juridiction spéciale pour la paix (JEP), soulève autant d’espoir que de frustrations.

Un Conflit aux Cicatrices Profondes

Le conflit armé colombien, qui a opposé pendant plus de soixante ans l’État, des guérillas comme les Forces armées révolutionnaires de Colombie (Farc) et des groupes paramilitaires, a laissé des blessures béantes. Des milliers de vies ont été brisées, des familles déchirées, et des communautés entières marquées par la violence. Au cœur de cette tragédie, les faux positifs, une pratique où des civils étaient tués par des militaires et déguisés en guérilleros abattus au combat, ont choqué le pays. Ces actes, motivés par la quête de récompenses comme des congés ou des médailles, ont révélé une face sombre de l’armée colombienne.

Parallèlement, les Farc, nées dans les années 1930-1940 d’un mouvement paysan pour une réforme agraire, ont semé la terreur avec des enlèvements massifs. Parmi les victimes, des figures comme Ingrid Betancourt, séquestrée pendant six ans, incarnent la douleur de milliers de familles. Ces deux facettes du conflit, militaire et guérillero, sont aujourd’hui jugées par un tribunal unique en son genre, créé dans le sillage des accords de paix de 2016.

La JEP : Une Justice Pas Comme les Autres

La Juridiction spéciale pour la paix, établie pour juger les crimes du conflit, ne fonctionne pas comme un tribunal classique. Plutôt que des peines de prison, elle impose des sanctions alternatives, comme des travaux d’intérêt général, pour encourager la vérité et la réconciliation. En 2025, ce tribunal a marqué l’histoire en condamnant pour la première fois des ex-militaires pour des faux positifs. Douze anciens membres des forces armées, incluant deux colonels, ont été reconnus coupables de 135 homicides et disparitions forcées entre 2002 et 2005.

« Aucun Colombien n’aurait dû mourir à cause d’un réseau criminel chargé de sélectionner, assassiner et faire disparaître des personnes innocentes dans le seul but de les convertir en chiffres. »

Alejandro Ramelli, président de la JEP

Ces ex-militaires, désormais en liberté surveillée, devront pendant huit ans participer à des projets communautaires, comme la construction de mémoriaux ou de centres sociaux dans les régions des Caraïbes, près de la frontière vénézuélienne. Cette approche, bien que novatrice, divise : certains y voient une chance de rédemption, d’autres une punition trop clémente.

Les « Faux Positifs » : Une Tragédie Documentée

Entre 2002 et 2008, sous la présidence d’Alvaro Uribe, la JEP a recensé au moins 6 402 cas de faux positifs. Ces assassinats visaient souvent des jeunes issus de milieux pauvres, parfois attirés sous de fausses promesses d’emploi. Dans certains cas, les victimes vivaient près des bases militaires, comme à Valledupar, où elles étaient ciblées par des réseaux criminels au sein même de l’armée.

Les victimes, souvent issues des communautés indigènes ou afro-descendantes, étaient transformées en statistiques pour satisfaire une politique de résultats. Ce scandale a terni l’image de l’armée, qui a présenté des excuses publiques en 2023.

Ces crimes, qualifiés d’impossibles à réparer par le juge Camilo Suárez, ont suscité une indignation nationale. Pourtant, Alvaro Uribe, figure controversée et opposant aux accords de paix, nie que ces actes relevaient d’une politique d’État. Il fait lui-même l’objet d’enquêtes pour son rôle présumé dans ces exactions.

Les Farc Face à la Justice

En parallèle, la JEP a condamné sept anciens chefs des Farc pour plus de 21 000 enlèvements commis pendant le conflit. Ces peines, également de huit ans de liberté surveillée avec travaux d’intérêt général, ont provoqué la colère de certaines victimes. Parmi elles, Ingrid Betancourt, ancienne otage, a dénoncé une justice biaisée en faveur des ex-guérilleros.

« Je me suis sentie indignée, humiliée, flouée. Il y a un parti pris en faveur des Farc. »

Ingrid Betancourt, victime des Farc

Betancourt envisage de porter l’affaire devant la Cour pénale internationale, estimant que les sanctions ne reflètent pas la gravité des crimes. Cette frustration illustre un défi majeur de la JEP : concilier justice et réconciliation dans un pays où les blessures restent vives.

Une Justice Transitionnelle en Question

La justice transitionnelle, au cœur du projet de la JEP, vise à panser les plaies d’un conflit complexe. Mais comment réparer l’irréparable ? Les peines alternatives, bien que conçues pour favoriser la vérité et la mémoire collective, peinent à satisfaire toutes les parties. Voici les principaux enjeux :

  • Révéler la vérité sur des décennies de violences.
  • Rendre justice aux victimes sans alimenter la vengeance.
  • Construire une paix durable dans un pays divisé.

Pour beaucoup, les travaux d’intérêt général imposés aux coupables, comme la construction de mémoriaux, sont un pas vers la guérison collective. Mais pour d’autres, comme Betancourt, ils symbolisent une justice trop indulgente face à l’horreur des crimes commis.

Un Héritage de Paix Fragile

Les accords de paix de 2016, signés après quatre ans de négociations, ont marqué un tournant historique. L’ex-président Juan Manuel Santos, artisan de cet accord, a reçu le Prix Nobel de la paix pour ses efforts. Mais la mise en œuvre reste complexe. Les Farc ont déposé les armes, mais des dissidences persistent, et la société colombienne reste polarisée.

Période Événement
2002-2008 Pic des « faux positifs » sous la présidence d’Alvaro Uribe.
2016 Signature des accords de paix avec les Farc.
2025 Premières condamnations d’ex-militaires par la JEP.

Ce tableau résume les étapes clés du conflit et de sa résolution. Pourtant, chaque condamnation rouvre des débats : la justice peut-elle vraiment apaiser un pays marqué par tant de violences ?

Vers une Réconciliation Nationale ?

La Colombie se trouve à un carrefour. D’un côté, la JEP tente de construire une mémoire collective, où bourreaux et victimes participent à la reconstruction du pays. De l’autre, des voix s’élèvent pour exiger des peines plus sévères. Le défi est immense : comment équilibrer justice, vérité et pardon dans une société fracturée ?

Les travaux communautaires imposés aux condamnés, comme la création de centres sociaux, symbolisent un effort pour redonner du sens à la douleur des victimes. Mais pour des communautés indigènes et afro-descendantes, souvent les plus touchées, la cicatrisation prendra du temps. La JEP, malgré ses imperfections, représente un espoir fragile de paix durable.

En fin de compte, la Colombie nous rappelle une vérité universelle : la justice, même imparfaite, est un premier pas vers la guérison. Mais le chemin vers la réconciliation reste long, semé d’embûches et de mémoires douloureuses. Reste à savoir si ces condamnations historiques marqueront un véritable tournant, ou si elles ne seront qu’une étape dans un processus inachevé.

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