En 2011, dans l’Ouest ivoirien, alors que les flammes de la crise post-électorale ravageaient la région, des femmes comme Juliette ont vu leur vie basculer en une nuit. Leur histoire, marquée par des violences indicibles, est celle d’une résilience hors du commun. Malgré l’absence de justice et de soutien officiel, ces survivantes se sont unies pour se reconstruire, tissant des liens de solidarité dans une région où la paix reste fragile. À l’approche de la présidentielle d’octobre 2025, leur combat pour la dignité et la guérison résonne plus fort que jamais.
Un Passé Douloureux, une Résilience Collective
La crise post-électorale de 2011 en Côte d’Ivoire a laissé des cicatrices profondes, particulièrement dans l’Ouest du pays. Entre 2002 et 2011, cette région a été le théâtre d’affrontements violents entre les forces loyales à l’ancien président Laurent Gbagbo et les rebelles soutenant Alassane Ouattara, aujourd’hui chef d’État. Au milieu de ce chaos, des centaines de femmes ont subi des violences sexuelles, des actes souvent tus, enfouis sous le poids de la honte et de l’oubli.
Juliette Bié, une survivante de Man, se souvient de cette nuit où deux hommes ont brisé sa vie. Sa mère, témoin impuissant, est décédée peu après. Comme beaucoup, Juliette n’a pas porté plainte, paralysée par la peur du jugement. Pourtant, elle a transformé sa douleur en force en créant un groupe de parole à Man, un espace où les survivantes se retrouvent pour partager leurs expériences et se libérer de leur fardeau psychologique.
« C’est une manière de guérir. Psychologiquement, on se libère », confie Juliette Bié.
Des Espaces de Parole pour Briser le Silence
À une centaine de kilomètres de Man, à Duékoué, Mariam Bakayoko, 35 ans, a également fondé un espace de dialogue. Chaque semaine, autour d’un thé, des femmes se réunissent pour échanger. Ces rencontres, qui durent depuis plus de dix ans, ont créé un lien indéfectible entre elles. « Il y a une confiance qui s’est installée », explique Mariam. Ces groupes ne sont pas seulement des lieux de parole, mais des refuges où les survivantes retrouvent leur dignité.
Dans ces cercles, les histoires se croisent, toutes marquées par une violence brutale. Anne-Marie, dont le prénom a été changé pour protéger son identité, raconte comment, en 2002, des hommes armés l’ont agressée alors qu’elle fuyait les combats. Neuf ans plus tard, à Man, elle a de nouveau été victime d’un viol. Ces traumatismes, à la fois physiques et psychologiques, continuent d’affecter les survivantes, parfois des années après les faits.
Dans ces espaces, les mots deviennent une arme contre l’oubli, un pont vers la guérison.
Des Séquelles Profondes et Durables
Les conséquences des violences sexuelles vont bien au-delà du traumatisme immédiat. Pour beaucoup, les séquelles sont physiques autant que psychologiques. Monique, 50 ans, a perdu l’enfant qu’elle portait lors d’un viol en 2002 à Duékoué et n’a jamais pu retomber enceinte. Agnès, 52 ans, vit avec le VIH contracté lors d’une agression la même année. Ces drames personnels s’ajoutent à une douleur collective : le sentiment d’être abandonnées par les institutions.
« On ne peut pas parler de paix quand on n’a pas eu de réparations », s’indigne Agnès. Ce cri du cœur reflète la frustration de nombreuses survivantes. Malgré les promesses d’aide, beaucoup affirment n’avoir reçu aucun soutien financier ou psychologique de l’État. Justine Kpan, conseillère en santé mentale pour une association locale, confirme : « Elles se sentent oubliées. »
« Elles se sentent oubliées », résume Justine Kpan, conseillère en santé mentale.
Un État en Retard sur les Réparations
Alors que la Côte d’Ivoire se prépare pour la présidentielle d’octobre 2025, la question des réparations reste en suspens. En août 2025, un forum à Guiglo a célébré la paix retrouvée dans l’Ouest, mais pour beaucoup de survivantes, cette paix est illusoire. Selon une association locale, plus de 950 femmes victimes de violences sexuelles entre 2002 et 2011 ont été accompagnées, mais ce chiffre est probablement sous-estimé. « Il y en a forcément plus », affirme Serge Loua, responsable à Man.
La ministre de la Cohésion nationale, Belmonde Dogo, assure que toutes les victimes enregistrées ont bénéficié d’un accompagnement. Pourtant, les témoignages recueillis racontent une autre histoire : un manque criant de suivi et de moyens. Pour beaucoup, l’absence de justice et de réparations financières aggrave leur sentiment d’invisibilité.
Problèmes rencontrés | Conséquences |
---|---|
Absence de réparations financières | Difficultés économiques, sentiment d’abandon |
Manque de soutien psychologique | Traumatismes persistants, isolement |
Rejet social | Perte de lien familial, stigmatisation |
L’Entraide comme Voie de Guérison
Face à l’inaction des autorités, les survivantes ont pris leur destin en main. Les groupes de parole, comme ceux de Juliette et Mariam, offrent un espace où les femmes peuvent se confier sans crainte. Ces initiatives, bien que modestes, ont un impact profond. Elles permettent aux survivantes de retrouver un sentiment d’appartenance et de briser l’isolement.
Pour Justine Kpan, ces femmes ont besoin de plus que des mots. « Elles ont besoin d’activités génératrices de revenus pour se reconstruire », explique-t-elle. Certaines ont perdu leur mari dans les violences, d’autres ont été rejetées par leur conjoint. Dans ce contexte, l’autonomie économique devient une priorité pour retrouver une stabilité.
- Groupes de parole : Espaces sécurisés pour partager et guérir.
- Entraide communautaire : Création de liens pour surmonter l’isolement.
- Projets économiques : Initiatives pour l’autonomie financière.
Vers une Paix Durable ?
À l’approche de la présidentielle, la question de la réconciliation nationale est plus que jamais d’actualité. Si l’Ouest ivoirien a retrouvé un semblant de calme, les blessures des survivantes rappellent que la paix ne se limite pas à l’absence de conflit. Elle exige justice, réparation et reconnaissance.
Les initiatives des survivantes, bien que courageuses, ne peuvent compenser l’absence d’un véritable plan national pour les victimes. Pour beaucoup, la paix reste un horizon lointain, un idéal qu’elles poursuivent à travers leur résilience et leur solidarité. Leur combat, discret mais puissant, est un appel à ne pas les oublier.
Leur courage est une leçon de résilience, un rappel que la guérison collective peut naître des cendres de la douleur.
Dans l’Ouest ivoirien, ces femmes ne se contentent pas de survivre : elles se battent pour vivre. Leur histoire, bien que marquée par la tragédie, est aussi celle d’une force indomptable. Alors que la Côte d’Ivoire s’apprête à écrire un nouveau chapitre, il est temps que leur voix soit entendue, que leur douleur soit reconnue, et que leur résilience soit célébrée.