Imaginez un bras de fer diplomatique où l’énergie nucléaire, les milliards d’euros et les règles européennes se rencontrent dans une salle d’audience. La Hongrie, soutenue par la Russie, ambitionne d’étendre sa centrale nucléaire de Paks, mais l’Autriche, inflexible, s’y oppose. Ce conflit, qui a culminé avec une décision retentissante de la Cour de justice de l’Union européenne, redéfinit les enjeux de la coopération énergétique en Europe.
Un revers judiciaire pour le projet hongrois
Jeudi, la Cour de justice de l’Union européenne a rendu un verdict sans appel : l’approbation par la Commission européenne d’une aide d’État hongroise pour financer la construction de deux réacteurs nucléaires par une entreprise russe a été annulée. Ce jugement, initié par une plainte de l’Autriche, met en lumière les tensions autour des projets énergétiques impliquant des acteurs non européens.
Le cœur du différend repose sur la conformité aux règles européennes. La Hongrie avait attribué directement le contrat à l’entreprise russe Nizhny Novgorod Engineering, sans passer par un appel d’offres public. Une démarche qui, selon la Cour, manque de transparence et de justification suffisante.
Un projet ambitieux sous haute tension
Le projet d’extension de la centrale de Paks, situé à une centaine de kilomètres de Budapest, vise à moderniser l’infrastructure énergétique hongroise. Avec quatre réacteurs déjà en activité, l’ajout de deux nouveaux réacteurs russes devait porter la capacité énergétique du pays à un nouveau niveau, avec une mise en service prévue pour 2030.
« La décision n’était pas suffisamment motivée », a déclaré la Cour, soulignant l’absence de raisons claires pour justifier l’attribution directe du marché à la Russie.
En 2014, la Hongrie avait signé un accord avec la Russie pour un contrat de 12,5 milliards d’euros. Ce dernier prévoyait un prêt russe de 10 milliards d’euros, complété par 2,5 milliards d’euros du budget hongrois. Ce partenariat, entouré d’un secret de 30 ans, a suscité des critiques, notamment de la part de l’Autriche, pays résolument anti-nucléaire.
L’Autriche, fer de lance de l’opposition
L’Autriche, connue pour son opposition farouche à l’énergie nucléaire, a contesté la décision de la Commission européenne dès 2017. Vienne a argué que l’attribution du contrat à une entreprise russe, sans concurrence ouverte, violait les principes de transparence et d’équité des marchés publics européens.
La Cour a donné raison à l’Autriche, estimant que la Commission aurait dû examiner plus rigoureusement si l’attribution directe était conforme aux règles européennes. Ce verdict ne remet pas en cause la légalité du projet lui-même, mais il impose à la Hongrie de revoir sa procédure pour garantir une plus grande transparence.
Une décision sans impact immédiat ?
Le ministre hongrois des Affaires européennes, János Bóka, a minimisé l’impact de ce revers judiciaire. Selon lui, le jugement ne déclare pas le régime d’aide ou la procédure d’attribution illégale, ce qui permettrait au chantier de se poursuivre selon le calendrier prévu.
« Il n’y a aucun obstacle juridique à la poursuite de l’investissement selon le calendrier existant », a affirmé János Bóka.
Cette déclaration reflète la détermination de Budapest à maintenir le cap, malgré les critiques. En 2023, le gouvernement hongrois avait déjà annoncé le démarrage imminent des travaux, anticipant une mise en service des nouveaux réacteurs d’ici la fin de la décennie.
Un contexte géopolitique sensible
Ce projet ne se limite pas à une question énergétique : il s’inscrit dans un contexte géopolitique complexe. La collaboration entre la Hongrie et la Russie, dans un domaine aussi stratégique que le nucléaire, suscite des inquiétudes en Europe, particulièrement dans le contexte des tensions avec Moscou.
En 2017, plusieurs pays, dont la République tchèque, la France, la Pologne, la Slovaquie et le Royaume-Uni, avaient soutenu l’approbation initiale de la Commission. Cette division au sein de l’UE illustre les divergences sur l’énergie nucléaire et les partenariats avec des acteurs extérieurs.
Les chiffres clés du projet Paks
- Montant total : 12,5 milliards d’euros
- Prêt russe : 10 milliards d’euros
- Contribution hongroise : 2,5 milliards d’euros
- Mise en service prévue : 2030
- Durée du secret contractuel : 30 ans
Quelles implications pour l’avenir ?
Ce verdict pourrait avoir des répercussions bien au-delà de la Hongrie. Il renforce l’importance des règles européennes sur les marchés publics et pourrait inciter d’autres pays à revoir leurs propres procédures d’attribution de contrats. De plus, il met en lumière les défis de la coopération énergétique avec des partenaires non européens.
Pour la Hongrie, l’enjeu est double : maintenir son partenariat avec la Russie tout en se conformant aux exigences européennes. Une tâche complexe, mais que Budapest semble prêt à relever, comme en témoigne la confiance affichée par le gouvernement.
Un débat plus large sur le nucléaire
Ce différend dépasse les questions procédurales pour toucher à un débat plus profond : celui de l’énergie nucléaire en Europe. Alors que certains pays, comme la France, misent sur le nucléaire pour atteindre leurs objectifs climatiques, d’autres, comme l’Autriche, y voient une menace pour la sécurité et l’environnement.
Le cas de Paks illustre cette fracture. D’un côté, la Hongrie cherche à sécuriser son approvisionnement énergétique. De l’autre, l’Autriche défend une vision où la transparence et les principes européens priment sur les ambitions nationales.
Et maintenant ?
La Hongrie devra probablement ajuster sa stratégie pour répondre aux exigences de la Cour. Cela pourrait impliquer l’ouverture d’un appel d’offres ou une justification plus détaillée de son choix de partenaire russe. Toutefois, le gouvernement reste optimiste, estimant que le projet suivra son cours.
Ce verdict, bien que technique, soulève des questions fondamentales sur la souveraineté énergétique, les partenariats internationaux et le respect des règles européennes. Alors que le chantier de Paks avance, tous les regards sont tournés vers Budapest pour voir comment la Hongrie naviguer dans ce nouvel équilibre.
Un projet énergétique ambitieux, une bataille juridique et des tensions géopolitiques : l’histoire de Paks est loin d’être terminée.