Chaque année, des millions de tonnes de déchets électroniques s’accumulent dans le monde, un fléau écologique qui semble inéluctable. Pourtant, en Argentine, un groupe audacieux défie cette fatalité avec une créativité débordante. En transformant de vieux terminaux de carte bancaire en consoles de jeux ou en capteurs innovants, ces cybercirujas redonnent vie à des objets condamnés à la poubelle. Leur démarche, à la croisée de l’écologie, de la technologie et de la solidarité, inspire un mouvement qui dépasse les frontières du recyclage classique.
Une Rébellion Contre l’Obsolescence
Dans un monde où les appareils électroniques deviennent obsolètes à une vitesse fulgurante, un collectif argentin s’est donné une mission : contrer l’obsolescence programmée. Fondé en 2021, ce groupe tire son nom du terme argentin ciruja, qui désigne ceux qui fouillent les déchets pour leur offrir une seconde vie. Les cybercirujas, eux, vont plus loin : ils récupèrent, réparent et transforment des appareils électroniques avec une approche à la fois technique et engagée.
Face à l’immoralité d’un appareil jeté à la poubelle, nous nous rebellons contre l’autorité du marché.
Manifeste des cybercirujas
Leur combat ne se limite pas à la réparation. En utilisant des logiciels libres, ils prolongent la durée de vie des appareils tout en les rendant accessibles à ceux qui en ont le plus besoin. Ce mouvement, qui mêle innovation et engagement social, s’inscrit dans une démarche globale pour repenser notre rapport à la technologie.
Un Mouvement aux Multiples Facettes
Le collectif des cybercirujas ne se contente pas de recycler. Leur approche est multidimensionnelle, combinant une dimension solidaire, une réflexion techno-politique et une touche de créativité ludique. Comme l’explique Esteban Palladino, connu sous le pseudonyme Uctumi, leur travail consiste à expérimenter avec la technologie pour lui redonner une utilité. « Nous remettons en service des objets que d’autres considéreraient comme des déchets », confie-t-il.
Cette philosophie s’est structurée pendant la pandémie, lorsque la demande pour des équipements informatiques a explosé. Face à cette situation, les cybercirujas ont organisé des collectes d’ordinateurs usagés, qu’ils ont réparés et équipés de logiciels libres avant de les offrir à des personnes ou des organisations dans le besoin. Ce geste, simple en apparence, a permis à de nombreux Argentins d’accéder à la technologie malgré les contraintes économiques.
Chiffre clé : L’Argentine produit 520 000 tonnes de déchets électroniques par an, soit le cinquième plus gros volume en Amérique, selon un rapport de 2024 de l’UNITAR.
Une Révolution aux Couleurs Locales
Le mouvement des cybercirujas emprunte une rhétorique révolutionnaire qui résonne avec l’histoire argentine. Ils organisent leurs groupes locaux en « cellules » et n’hésitent pas à afficher des images de Che Guevara, revisité en version cyborg, pour symboliser leur lutte. Cette identité visuelle et idéologique donne une force unique à leur démarche, ancrée dans une volonté de défier les logiques capitalistes qui favorisent le gaspillage.
Les prémices de ce mouvement remontent à 2019, avec des bourses d’échange de matériel informatique. Ces initiatives ont permis de poser les bases d’une communauté qui s’est consolidée pendant la pandémie. Aujourd’hui, les cybercirujas sont présents dans plusieurs provinces argentines, où ils organisent des ateliers et des rencontres pour partager leurs savoirs.
Des Ateliers pour Réinventer la Technologie
En août 2025, lors de leur troisième rencontre annuelle à Buenos Aires, les cybercirujas ont une nouvelle fois démontré leur ingéniosité. L’un des ateliers proposait, par exemple, d’apprendre à prolonger la vie des téléphones portables grâce à des logiciels libres. Ces outils, souvent méconnus du grand public, permettent de contourner les mises à jour imposées par les fabricants, qui rendent les appareils obsolètes plus rapidement.
Un autre temps fort de cette rencontre a été la présentation des « roboticlajes » par Juan Carrique, un ingénieur de Santa Fe. Ces kits de robotique, destinés aux enfants, sont fabriqués à partir de composants électroniques recyclés. « Avec des déchets, nous créons des capteurs de température ou des contrôleurs de moteurs », explique-t-il. Cette initiative permet non seulement de réduire les déchets, mais aussi d’initier les jeunes à la technologie de manière ludique et éducative.
Ce n’est pas la même chose d’acheter quelque chose de neuf que de devoir le fabriquer soi-même avec des déchets.
Juan Carrique, ingénieur électronique
Un Impact au-delà du Recyclage
Le travail des cybercirujas dépasse la simple récupération de matériel. Leur engagement en faveur des logiciels libres illustre une volonté de démocratiser l’accès à la technologie. Par exemple, Juan Carrique, qui est diabétique, a utilisé une application open-source pour rendre son capteur de glycémie compatible avec son téléphone. Cette solution, à la fois pratique et économique, montre comment les logiciels libres peuvent transformer des vies.
En parallèle, le collectif s’attaque à un problème mondial de taille. Selon un rapport de 2024, le monde a produit un record de 62 millions de tonnes de déchets électroniques en 2022. Face à cette crise, les cybercirujas proposent une alternative concrète : réparer, réutiliser et redistribuer. Leur modèle pourrait inspirer d’autres pays à repenser leur gestion des déchets technologiques.
Pays | Déchets électroniques (tonnes/an) |
---|---|
États-Unis | 7 000 000 |
Brésil | 2 100 000 |
Argentine | 520 000 |
Un Modèle pour l’Avenir ?
Le mouvement des cybercirujas n’est pas seulement une réponse locale à un problème global. Il incarne une vision d’économie circulaire, où chaque objet peut être réutilisé, transformé ou redistribué. En s’appuyant sur des valeurs de solidarité et d’innovation, ce collectif montre qu’il est possible de défier les logiques du marché tout en ayant un impact concret.
Leur travail pose une question essentielle : et si le recyclage technologique devenait une norme, plutôt qu’une exception ? En Argentine, les cybercirujas ouvrent la voie, prouvant que la technologie peut être à la fois durable et accessible. Leur révolution, à la croisée de l’écologie et de la justice sociale, pourrait bien inspirer le monde entier.
Pourquoi ça compte :
- Réduction des déchets électroniques, un enjeu environnemental majeur.
- Promotion des logiciels libres pour une technologie accessible.
- Solidarité envers les populations défavorisées via la redistribution.
En conclusion, les cybercirujas argentins ne se contentent pas de recycler : ils réinventent notre rapport à la technologie. Leur mouvement, porté par une vision à la fois écologique et solidaire, nous invite à repenser nos habitudes de consommation. Alors que les déchets électroniques s’accumulent, leur exemple pourrait-il devenir un modèle pour le reste du monde ?