Dans une ville où l’histoire murmure à chaque coin de rue, Berlin a choisi de tourner une page controversée. Ce samedi, une artère centrale, autrefois appelée « rue des Maures », a été officiellement renommée en l’honneur d’Anton Wilhelm Amo, un philosophe africain du 18e siècle. Ce changement, loin d’être anodin, s’inscrit dans une démarche de reconnaissance et de réparation face à un passé colonial douloureux. Mais pourquoi ce nom suscitait-il tant de débats, et que signifie ce geste pour la société berlinoise d’aujourd’hui ?
Un Changement Historique pour Berlin
Le renommage de la rue des Maures marque une étape majeure dans les efforts de Berlin pour confronter son passé et promouvoir une société plus inclusive. Pendant des décennies, ce nom, attesté dès le début du 18e siècle, a suscité des controverses. Pour certains, il évoquait une période sombre marquée par la traite des esclaves ; pour d’autres, son origine restait floue, oscillant entre des récits d’anciens esclaves installés dans le quartier et une possible délégation africaine de passage. Quoi qu’il en soit, le terme « Maure » était devenu un symbole problématique, perçu comme discriminatoire par de nombreux militants antiracistes.
La décision de renommer la rue en l’honneur d’Anton Wilhelm Amo, premier philosophe et juriste noir connu dans les universités allemandes, n’est pas seulement un acte symbolique. Elle reflète une volonté de réécrire l’histoire urbaine en mettant en lumière des figures oubliées de la diaspora africaine. Ce choix, porté par la mairie de l’arrondissement de Mitte, s’accompagne d’un changement similaire pour la station de métro attenante, désormais alignée sur ce nouvel hommage.
Anton Wilhelm Amo : Une Figure des Lumières
Qui était Anton Wilhelm Amo, et pourquoi son nom résonne-t-il si puissamment aujourd’hui ? Né au début du 18e siècle dans l’actuel Ghana, Amo fut réduit en esclavage et envoyé en Europe dès son plus jeune âge. Pourtant, son destin exceptionnel l’a conduit à s’émanciper par l’éducation, jusqu’à enseigner la philosophie dans des universités prestigieuses comme Wittenberg, Halle et Iéna. Figure des Lumières allemandes, il a marqué son époque par ses travaux intellectuels et sa résilience face aux préjugés.
« Avec Anton Wilhelm Amo, la rue porte désormais un nom symbole de la résistance, l’affirmation de soi et le savoir de la diaspora africaine. »
Decolonize Berlin
Son parcours, qui l’a mené des chaînes de l’esclavage aux amphithéâtres universitaires, incarne un message universel de détermination. En choisissant son nom, Berlin ne se contente pas de remplacer une appellation controversée ; la ville célèbre une figure qui a défié les normes de son temps et dont l’héritage inspire encore aujourd’hui.
Un Débat de Longue Date
Le changement de nom n’a pas été une décision facile. Dès les années 1990, le comité Decolonize Berlin militait pour abandonner l’appellation « rue des Maures ». Pour ses membres, ce terme, ancré dans une période où l’Europe profitait de la traite transatlantique, était intrinsèquement raciste. Tahir Della, l’un des représentants du comité, résume cette position avec clarté :
« Il est essentiel d’écouter les personnes touchées par le racisme au lieu de décider à leur place. »
Tahir Della
Pourtant, la transition n’a pas été sans obstacles. En 2020, lorsque l’assemblée de l’arrondissement de Mitte a voté pour le renommage, des habitants ont contesté cette décision en justice, arguant que le nom faisait partie du patrimoine local. Ces oppositions, portées notamment par l’Initiative citoyenne Pro Mohrenstrasse, ont retardé le processus. Ce n’est qu’en juillet 2025 que le tribunal administratif a validé le changement, rejetant une dernière tentative d’urgence pour le bloquer.
Pourquoi le Terme « Maure » Pose Problème
Le mot « Maure » renvoie à une histoire complexe. Utilisé à l’origine pour désigner les populations d’Afrique du Nord, il a souvent été employé de manière péjorative en Europe, notamment à l’époque coloniale. Dans le contexte de la rue des Maures, son usage est perçu comme un vestige d’une période où les stéréotypes raciaux étaient monnaie courante. Tahir Della insiste sur un point clé : l’impact d’un terme compte davantage que l’intention initiale.
Ce débat s’inscrit dans une réflexion plus large sur la toponymie urbaine. Les noms des rues, places et monuments ne sont pas neutres ; ils reflètent les valeurs d’une société à un moment donné. En renommant cette rue, Berlin reconnaît que les appellations héritées du passé peuvent perpetuer des blessures, même involontairement.
Quelques faits sur la controverse :
- Le nom « rue des Maures » date du 18e siècle, période de la traite transatlantique.
- Plusieurs théories existent sur son origine, mais aucune n’est confirmée.
- Le comité Decolonize Berlin milite depuis plus de 30 ans pour ce changement.
- La décision finale a été validée par un tribunal en juillet 2025.
Un Symbole pour l’Avenir
Le renommage de la rue des Maures n’est pas un simple changement administratif. Il s’agit d’un acte de justice symbolique, qui donne une voix à ceux qui ont été marginalisés par l’histoire. En honorant Anton Wilhelm Amo, Berlin envoie un message clair : les contributions des personnes issues de la diaspora africaine méritent d’être célébrées. Ce geste s’inscrit dans un mouvement global de décolonisation des espaces publics, où des villes à travers le monde réévaluent leurs monuments et toponymes.
Pour les militants comme ceux de Decolonize Berlin, cette victoire est le fruit de décennies de lutte. Les festivités organisées ce samedi dans la nouvelle rue Anton Wilhelm Amo témoignent de l’enthousiasme suscité par ce changement. Des habitants, des artistes et des activistes se sont réunis pour célébrer non seulement un nouveau nom, mais aussi une nouvelle vision de la ville.
Un Contexte Européen Plus Large
Berlin n’est pas la seule ville à repenser ses espaces publics. Partout en Europe, des débats similaires émergent. À Bruxelles, des statues de figures coloniales ont été retirées ou contextualisées. À Londres, des plaques de rue controversées font l’objet de discussions. Ces initiatives reflètent une prise de conscience croissante : les noms et symboles qui façonnent nos villes doivent évoluer avec les valeurs contemporaines.
Dans ce contexte, le choix d’Anton Wilhelm Amo comme nouvelle appellation est particulièrement significatif. Il ne s’agit pas seulement de remplacer un nom par un autre, mais de redonner une place à ceux qui ont été effacés des récits historiques. Ce renommage invite à réfléchir sur la manière dont les villes peuvent devenir des espaces de dialogue et d’inclusion.
Les Défis du Changement
Malgré l’enthousiasme, le renommage de la rue n’a pas fait l’unanimité. Certains habitants, attachés à l’ancien nom, y voyaient une part de l’histoire locale. D’autres ont critiqué le coût ou la complexité administrative du changement. Ces tensions soulignent une réalité : réécrire l’histoire urbaine est un processus délicat, qui nécessite d’équilibrer mémoire collective et justice sociale.
Pourtant, les défenseurs du renommage estiment que ces défis sont nécessaires. Ils rappellent que l’histoire n’est pas figée ; elle doit être revisitée pour refléter les aspirations d’une société diverse. En ce sens, la rue Anton Wilhelm Amo devient un symbole d’espoir, mais aussi un rappel des luttes encore à mener.
| Étape | Description |
|---|---|
| Années 1990 | Début de la campagne de Decolonize Berlin pour changer le nom. |
| Août 2020 | Vote de l’arrondissement de Mitte pour renommer la rue. |
| Juillet 2025 | Validation judiciaire du changement de nom. |
| Août 2025 | Cérémonie officielle et festivités dans la rue Anton Wilhelm Amo. |
Vers une Mémoire Inclusive
En renommant la rue des Maures, Berlin fait un pas vers une mémoire plus inclusive. Ce geste ne se limite pas à une plaque de rue ; il invite à repenser la manière dont les villes racontent leur histoire. Anton Wilhelm Amo, par son parcours exceptionnel, incarne cette possibilité de réécriture. Sa vie, marquée par la lutte et le triomphe intellectuel, est un rappel que l’histoire n’appartient pas qu’aux puissants.
Pour les générations futures, la rue Anton Wilhelm Amo sera plus qu’un nom sur une carte. Elle sera un symbole de résistance, un hommage à la diaspora africaine et une invitation à construire une société où chacun a sa place. Alors que Berlin célèbre ce changement, une question demeure : quelles autres rues, dans quelles autres villes, suivront cet exemple ?
Ce renommage est une victoire pour les militants, mais aussi un défi pour l’avenir. Il rappelle que le travail de décolonisation est loin d’être terminé. À travers cet acte, Berlin montre qu’il est possible de conjuguer histoire et justice, mémoire et progrès.
