Dans les rues animées de Bangkok, les couleurs racontent une histoire. Le rouge des partisans de la famille Shinawatra s’oppose au jaune des défenseurs de la monarchie, dans un royaume où la politique est un champ de bataille. Depuis les années 2000, les Shinawatra, menés par le magnat Thaksin, divisent la Thaïlande entre réformes audacieuses et accusations de corruption. Leur saga, marquée par des victoires électorales, des coups d’État et des exils, continue de captiver et de polariser. Plongeons dans l’histoire de cette dynastie qui façonne le destin d’un pays.
Une Famille au Cœur de la Tempête Thaïlandaise
La famille Shinawatra n’est pas seulement une dynastie politique ; elle est un symbole. Depuis l’ascension de Thaksin Shinawatra en 2001, ce clan a redéfini les contours de la politique thaïlandaise. Leur influence, portée par des succès électoraux et des réformes sociales, s’est heurtée à l’opposition farouche des élites traditionnelles, fidèles à la monarchie et à l’armée. Ce conflit, toujours vif, a engendré des crises majeures, des manifestations sanglantes et des bouleversements institutionnels.
Thaksin Shinawatra : Le Visionnaire Controversé
Thaksin Shinawatra, ancien officier de police devenu magnat des télécommunications, a marqué un tournant en 2001. Son parti, Thai Rak Thai, a remporté une victoire écrasante, portée par un programme audacieux. Il promettait une Thaïlande moderne, libérée des séquelles de la crise financière asiatique de 1997. Avec des mesures comme une sécurité sociale accessible et des aides aux agriculteurs, il a conquis les campagnes, où il est encore adulé.
« Thaksin a donné une voix aux ruraux, mais son style autoritaire a effrayé les élites. »
Surnommé le « Berlusconi d’Asie« , Thaksin a brisé les codes. Son charisme et ses réformes économiques ont séduit, mais ses détracteurs l’accusaient de corruption et de dérives autoritaires. Réélu en 2005, il n’a pas pu résister à la pression des élites royalo-militaristes. Un coup d’État en 2006 l’a chassé du pouvoir, marquant le début d’une longue bataille judiciaire.
Un Exil et une Influence Persistante
En 2008, Thaksin s’exile pour échapper à des condamnations pour corruption, qu’il juge politiquement motivées. Pourtant, son ombre plane sur la Thaïlande. Depuis l’étranger, il conserve une influence considérable, notamment via son parti et sa famille. Entre 2007 et 2008, il a même possédé le club de football anglais Manchester City, renforçant son image d’homme d’affaires international.
Points clés de l’exil de Thaksin :
- Condamnations pour corruption et abus de pouvoir.
- Dissolution de deux partis politiques liés à son clan.
- Maintien d’une influence via des alliés politiques.
Son retour en 2023, après 15 ans d’exil, a été un moment clé. Accueilli par une grâce royale réduisant sa peine de huit ans à un an, Thaksin a prouvé que son réseau d’influence restait intact. Mais ce retour a aussi ravivé les tensions avec ses adversaires.
Yingluck : L’Héritière Contestée
De 2011 à 2014, Yingluck Shinawatra, sœur de Thaksin, prend les rênes du gouvernement. Première femme Première ministre de Thaïlande, elle tente de se démarquer de l’image de « clone » de son frère, comme il l’avait surnommée. Son style modeste et son approche mesurée séduisent, mais elle reste dans l’ombre de Thaksin.
Son mandat est marqué par une tentative d’amnistie politique, perçue comme un moyen de ramener Thaksin. Cette décision déclenche une vague de protestations, culminant avec un nouveau coup d’État en 2014. Yingluck s’exile en 2017, juste avant une condamnation pour négligence. Son départ laisse le clan Shinawatra affaibli, mais pas vaincu.
Paetongtarn : La Nouvelle Génération
En août 2024, Paetongtarn Shinawatra, fille de Thaksin, devient Première ministre. Novice en politique, elle incarne le renouveau du clan. Mais son ascension est fragile. Accusée de manquements éthiques, elle est suspendue de ses fonctions, dans l’attente d’une décision de la Cour constitutionnelle. Son avenir, comme celui de la dynastie, reste incertain.
« Paetongtarn représente l’espoir du clan, mais aussi son fardeau. »
Le parti Pheu Thai, bastion des Shinawatra, a dû s’allier à d’anciens rivaux militaires pour former un gouvernement en 2023. Cette alliance, vue comme une trahison par certains partisans, illustre la complexité des équilibres politiques thaïlandais.
Rouge Contre Jaune : Une Société Divisée
La rivalité entre les « chemises rouges » (partisans des Shinawatra) et les « chemises jaunes » (royalistes) est au cœur des tensions thaïlandaises. Ces affrontements ont entraîné des manifestations massives, parfois réprimées dans le sang, comme en 2010. La polarisation entre réformateurs et conservateurs reste une fracture profonde.
| Camp | Couleur | Soutiens |
|---|---|---|
| Shinawatra | Rouge | Ruraux, réformateurs |
| Royalistes | Jaune | Élite, armée |
Cette division reflète des visions opposées : d’un côté, une Thaïlande moderne et égalitaire ; de l’autre, une société attachée à ses traditions monarchiques. Les Shinawatra, avec leurs réformes, incarnent le premier camp, mais leur style a souvent alimenté les critiques.
Les Défis Judiciaires : Une Épée de Damoclès
Les Shinawatra vivent sous la menace constante de la justice. Thaksin, récemment acquitté d’une accusation de lèse-majesté, risquait 15 ans de prison. Paetongtarn, elle, attend un verdict crucial. Ces procès, souvent perçus comme politisés, maintiennent la famille dans une position précaire.
La loi sur le lèse-majesté, l’une des plus strictes au monde, est une arme redoutable pour les opposants des Shinawatra. Elle illustre les tensions entre la monarchie et les réformateurs, dans un pays où critiquer le roi est tabou.
Un Avenir Incertain pour la Dynastie
Quel avenir pour les Shinawatra ? Leur capacité à rebondir, malgré les exils et les condamnations, témoigne de leur résilience. Mais les alliances fragiles, les procès en cours et la polarisation persistante fragilisent leur position. Paetongtarn, en tant que nouvelle figure, devra naviguer dans un paysage politique miné.
Les enjeux pour les Shinawatra :
- Maintenir l’unité du parti Pheu Thai.
- Gérer les accusations judiciaires.
- Reconquérir la confiance des partisans déçus.
La dynastie Shinawatra reste un acteur incontournable de la politique thaïlandaise. Leur histoire, mêlant ambition, controverse et résilience, continue de fasciner. Mais dans un royaume divisé, leur avenir dépendra de leur capacité à surmonter les obstacles judiciaires et politiques.
En Thaïlande, le rouge et le jaune continuent de s’affronter, et les Shinawatra, qu’on les aime ou qu’on les déteste, restent au centre de cette lutte. Leur saga est loin d’être terminée.
