En Thaïlande, une dynastie politique tremble. Ce vendredi, un verdict très attendu pourrait redéfinir l’avenir de Thaksin Shinawatra, figure emblématique du pays. Accusé de lèse-majesté, un crime grave dans ce royaume où la monarchie est intouchable, il risque jusqu’à 15 ans de prison. Mais que signifie ce procès pour la Thaïlande et pour l’héritage des Shinawatra, qui dominent la scène politique depuis plus de deux décennies ?
Un Procès aux Enjeux Colossaux
Le verdict, prévu à 10h00 heure locale, concerne des propos tenus par Thaksin en 2015 lors d’une interview avec un média sud-coréen. Ces déclarations, liées au coup d’État militaire de 2014 qui a renversé sa sœur Yingluck Shinawatra, alors Première ministre, sont aujourd’hui au cœur de l’accusation. La loi thaïlandaise, particulièrement stricte, interdit toute critique du roi Maha Vajiralongkorn ou de sa famille, rendant ce procès ultrasensible.
Ce n’est pas seulement Thaksin qui est dans le viseur. Sa fille, Paetongtarn Shinawatra, récemment suspendue de ses fonctions de Première ministre, fait également face à un procès en destitution prévu le 29 août. Les deux affaires, si elles aboutissent à des condamnations, pourraient ébranler la dynastie Shinawatra, qui a façonné la politique thaïlandaise moderne.
Thaksin Shinawatra : Une Figure Clivante
Thaksin, âgé de 76 ans, est une figure incontournable. Premier ministre au début des années 2000, il a marqué le pays par ses politiques populistes, séduisant les classes populaires tout en s’attirant l’hostilité des élites conservatrices, proches de l’armée et de la monarchie. Renversé en 2006 par un coup d’État, il a passé des années en exil avant de revenir en Thaïlande en août 2023.
« Thaksin a toujours été un symbole de division : rouge pour ses partisans, jaune pour ses adversaires liés à la royauté. »
Son retour a coïncidé avec une alliance surprenante : son parti, le Pheu Thai, a formé une coalition avec d’anciens adversaires conservateurs. Mais ce retour a aussi ravivé les tensions, notamment avec cette accusation de lèse-majesté, un chef d’inculpation redouté en Thaïlande.
La Loi de Lèse-Majesté : Une Arme Politique ?
L’article 112 du code pénal thaïlandais, qui régit les crimes de lèse-majesté, est l’un des textes les plus controversés du pays. Il punit de jusqu’à 15 ans de prison toute personne qui « diffame, insulte ou menace » la monarchie. Depuis les manifestations antigouvernementales de 2020, son application s’est intensifiée, avec plus de 280 poursuites en cinq ans, selon un collectif d’avocats pour les droits humains.
Les critiques de cette loi, souvent des organisations de défense des droits, dénoncent une interprétation de plus en plus large, utilisée pour museler les voix dissidentes. Dans le cas de Thaksin, les propos incriminés, tenus à l’étranger, soulèvent des questions sur la portée extraterritoriale de cette législation.
L’article 112 est devenu un outil pour régler des comptes politiques, transformant les critiques en parias.
Une Dynastie sous Pression
La famille Shinawatra a donné trois Premiers ministres à la Thaïlande : Thaksin, Yingluck et Paetongtarn. Leur influence, portée par le parti Pheu Thai, repose sur un soutien populaire massif, notamment dans les régions rurales. Pourtant, chaque membre de la famille a dû affronter des obstacles majeurs : coups d’État, exils, accusations judiciaires.
Le procès de Paetongtarn, centré sur sa gestion des relations avec le Cambodge, ajoute une couche de complexité. Une destitution, combinée à une condamnation de Thaksin, pourrait affaiblir durablement leur emprise politique, au profit des conservateurs traditionnellement alignés avec la monarchie et l’armée.
Un Passé Judiciaire Chargé
Thaksin n’en est pas à son premier démêlé avec la justice. En 2023, à son retour d’exil, il a été condamné à huit ans de prison pour corruption et abus de pouvoir liés à son mandat de Premier ministre. Cependant, sa peine a été écourtée : il a purgé une partie de sa sentence dans un hôpital policier en raison de problèmes de santé, avant d’être libéré en février 2024 en raison de son âge.
Cette clémence a suscité des soupçons de traitement de faveur, alimentant de nouvelles poursuites contre lui. Ces accusations, combinées au procès pour lèse-majesté, dressent le portrait d’un homme toujours dans le collimateur des autorités.
Rouge Contre Jaune : Une Société Divisée
La Thaïlande est profondément divisée. Les partisans de Thaksin, souvent vêtus de rouge, s’opposent aux royalistes en jaune, symboles de la monarchie. Cette fracture, visible dans les manifestations et les débats publics, reflète des visions opposées de l’avenir du pays : un État populiste et inclusif contre une société hiérarchique centrée sur la monarchie.
Le verdict de ce vendredi pourrait exacerber ces tensions. Une condamnation de Thaksin risquerait de galvaniser ses soutiens, tandis qu’une relaxe pourrait être perçue comme une provocation par les conservateurs.
Événement | Date | Conséquence |
---|---|---|
Coup d’État contre Thaksin | 2006 | Exil de Thaksin |
Coup d’État contre Yingluck | 2014 | Chute du gouvernement |
Retour de Thaksin | 2023 | Condamnation et libération |
Quel Avenir pour les Shinawatra ?
L’issue de ces procès pourrait redessiner le paysage politique thaïlandais. Si Thaksin et Paetongtarn sont écartés, le Pheu Thai pourrait perdre de son influence, ouvrant la voie à une domination accrue des conservateurs. Cependant, la popularité des Shinawatra, ancrée dans les classes populaires, reste un atout majeur.
Les semaines à venir seront cruciales. Le verdict de Thaksin, suivi de celui de Paetongtarn, pourrait soit consolider leur héritage, soit marquer la fin d’une ère. Une chose est sûre : la Thaïlande retient son souffle.
La dynastie Shinawatra, entre résilience et fragilité, incarne les contradictions d’une nation en quête de son identité.
En attendant, les regards se tournent vers la justice thaïlandaise, dont les décisions pourraient non seulement sceller le destin de Thaksin, mais aussi redéfinir les équilibres de pouvoir dans le royaume. Le rouge et le jaune, symboles d’une lutte de longue date, continueront-ils à diviser le pays, ou une nouvelle voie émergera-t-elle ?