Imaginez une scène où des milliers de spectateurs, cachés derrière leurs écrans, assistent à un drame en temps réel. Dans la nuit du 17 au 18 août 2025, un homme de 46 ans, connu sous le pseudonyme de Jean Pormanove, s’éteint en direct sur la plateforme de streaming Kick. Ce n’était pas un simple accident, mais l’aboutissement d’un calvaire médiatisé, où violences et humiliations étaient devenues un spectacle. Ce drame a secoué la France, relançant le débat sur la responsabilité des plateformes numériques et la moralité du streaming.
Un Drame Annoncé en Direct
Jean Pormanove, de son vrai nom Raphaël Graven, était une figure du streaming français. Avec plus de 500 000 abonnés sur diverses plateformes, il s’était fait connaître pour ses réactions explosives sur des jeux vidéo comme Fortnite ou GTA. Mais au fil des années, son contenu a pris une tournure bien plus sombre. Associé au collectif Lokal TV, il est devenu la cible de violences physiques et psychologiques orchestrées par deux autres streameurs, surnommés Naruto et Safine. Gifles, jets d’eau, étranglements, insultes : ces actes, diffusés en direct, attiraient jusqu’à 15 000 spectateurs, certains encourageant les abus via des dons financiers.
Ce qui rend cette affaire encore plus troublante, c’est l’absence d’intervention immédiate. Malgré des alertes répétées, notamment un article d’investigation publié fin 2024, les agissements se sont poursuivis. La mort de Jean Pormanove, survenue après plus de 12 jours de streaming ininterrompu, a mis un coup de projecteur sur ces dérives. Mais comment en est-on arrivé là ?
Une Vidéo Accablante Refait Surface
Quelques jours après le décès, une vidéo a resurgi sur les réseaux sociaux, jetant une lumière crue sur l’état d’esprit des protagonistes. Dans cet extrait, Naruto, l’un des streameurs impliqués, se filme en train de minimiser ses actes. Ses propos sont glaçants :
Si demain il meurt en plein live, c’est dû à son état de santé de merde et pas à nous. Dis devant la caméra que c’est pas notre responsabilité si tu meurs.
Naruto, dans un live antérieur
Face à ces mots, Jean Pormanove, visiblement résigné, répond : « Ce n’est pas grave, du moment qu’en live on voit que tu m’as porté secours. » Cette séquence, largement partagée, a choqué par son cynisme. Elle montre une dynamique d’emprise psychologique, où la victime semble accepter son sort pour continuer à exister dans cet univers toxique.
La vidéo révèle aussi une réalité dérangeante : les spectateurs, loin d’être passifs, jouaient un rôle actif. Par leurs dons et leurs commentaires, ils encourageaient les streameurs à aller plus loin. Ce mécanisme, où l’audience devient complice, soulève des questions éthiques profondes sur la consommation de contenus violents.
Kick : Une Plateforme Controversée
Lancée en 2022, la plateforme Kick s’est imposée comme une alternative à Twitch, séduisant les créateurs avec une politique de rémunération avantageuse : 95 % des revenus pour les streameurs, contre seulement 5 % pour la plateforme. Mais ce modèle économique a un revers. Avec une modération quasi inexistante, Kick est devenue un refuge pour des contenus extrêmes, souvent bannis ailleurs. Jeux d’argent, provocations à caractère sexuel, violences : tout semble permis, tant que cela attire des spectateurs.
Dans le cas de Jean Pormanove, Kick a permis la diffusion de vidéos où il était humilié et maltraité pendant des heures. Malgré des signalements, la chaîne Lokal TV a continué à fonctionner, même après une suspension temporaire en décembre 2024. Ce laxisme a conduit à une vague d’indignation après le drame, avec des appels à une régulation plus stricte.
La plateforme Kick a annoncé le bannissement des streameurs impliqués dans l’attente des résultats de l’enquête, promettant une « révision complète » de ses contenus en français. Mais cette réaction, jugée tardive, suffira-t-elle à apaiser les critiques ?
Une Enquête pour Faire la Lumière
Le parquet de Nice a ouvert une enquête pour « recherche des causes de la mort ». Une autopsie, réalisée le 21 août 2025, doit déterminer si les violences subies par Jean Pormanove ont joué un rôle dans son décès. Les investigations, confiées à la police judiciaire, incluent l’analyse de nombreuses vidéos et matériels saisis. Pour l’instant, aucune piste n’est écartée, qu’il s’agisse d’un arrêt cardiaque, d’épuisement ou d’un lien direct avec les abus subis.
Les deux streameurs impliqués, Naruto et Safine, ont été bannis de Kick dans l’attente des conclusions. Naruto, visé par une campagne de cyberharcèlement, a annoncé son intention de porter plainte via son avocat. Ce dernier a déclaré :
Nous attendons les résultats de l’enquête pour établir les responsabilités de chacun.
Avocat de Naruto
Pourtant, des témoignages troublants émergent. La sœur de Jean Pormanove a affirmé qu’il est mort « d’épuisement », dénonçant des conditions « inacceptables ». Ce drame soulève une question cruciale : jusqu’où une plateforme peut-elle se dédouaner de la responsabilité des contenus qu’elle héberge ?
Un Système qui Alimente la Violence
Le cas de Jean Pormanove n’est pas isolé. Il met en lumière un système où la quête d’audience prime sur la dignité humaine. Sur Kick, les spectateurs peuvent interagir en direct, verser des dons et influencer le contenu. Dans le cas de Lokal TV, ces dons, parfois de plusieurs milliers d’euros, incitaient à des actes toujours plus extrêmes. Voici les éléments clés de ce mécanisme :
- Interactions en direct : Les spectateurs envoient des messages ou des dons pour encourager des comportements violents.
- Rémunération attractive : Les streameurs gagnent jusqu’à 95 % des revenus, ce qui motive la production de contenus choquants.
- Modération laxiste : Contrairement à d’autres plateformes, Kick tolère des contenus extrêmes sans intervention rapide.
- Emprise psychologique : Les victimes, comme Jean Pormanove, semblent accepter les abus pour rester dans le système.
Ce modèle, qualifié par certains d’économie du sordide, repose sur l’exploitation de la vulnérabilité. Jean Pormanove, ancien militaire, n’était pas une personne fragile au sens classique, mais il semblait pris dans un engrenage où sa notoriété dépendait de son rôle de souffre-douleur.
La Réaction des Autorités
Face à l’ampleur du scandale, les autorités françaises ont réagi. La ministre déléguée au Numérique, Clara Chappaz, a qualifié les violences subies par Jean Pormanove d’« horreur absolue ». Elle a saisi l’Arcom (Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique) et effectué un signalement sur la plateforme Pharos, dédiée à la lutte contre les contenus illicites en ligne. Ces démarches visent à examiner la responsabilité de Kick dans la diffusion de ces vidéos.
Cependant, des critiques pointent du doigt l’inaction passée. Dès décembre 2024, des signalements avaient été faits, sans suites concrètes. L’Arcom, souvent accusée de laxisme, a publié un communiqué défendant ses actions et promettant une vigilance accrue. Mais pour beaucoup, ces mesures arrivent trop tard.
Événement | Date | Détails |
---|---|---|
Signalement initial | Décembre 2024 | Article d’investigation dénonçant les violences sur Lokal TV. |
Garde à vue | Janvier 2025 | Naruto et Safine interrogés, puis relâchés. |
Décès de Jean Pormanove | 18 août 2025 | Mort en direct après 12 jours de streaming. |
Autopsie | 21 août 2025 | Enquête pour déterminer les causes du décès. |
Un Débat Sociétal plus Large
Ce drame dépasse le cadre d’un simple fait divers. Il interroge notre rapport à la consommation de contenus en ligne. Pourquoi des milliers de personnes regardent-elles des vidéos où des individus sont humiliés ? Qu’est-ce que cela dit de notre société ? La réponse réside peut-être dans une fascination malsaine pour le sensationnel, amplifiée par des algorithmes qui récompensent l’extrême.
Les streameurs, eux, sont pris dans une course à l’audience. Pour rester pertinents, ils repoussent les limites, parfois au mépris de l’éthique. Jean Pormanove, malgré les abus, affirmait dans des auditions antérieures que tout était « scénarisé » pour « faire le buzz ». Cette déclaration, probablement dictée par la pression, montre à quel point il était difficile pour lui de sortir de ce système.
Vers une Régulation plus Stricte ?
Le drame de Jean Pormanove pourrait marquer un tournant. En Europe, le Digital Services Act impose aux plateformes de retirer rapidement les contenus illicites. Pourtant, Kick semble avoir contourné ces obligations, profitant de son siège en Australie. Des experts, comme l’avocat Alexandre Archambault, soulignent que sans plaintes directes des victimes, il est difficile d’agir. Mais ce vide juridique ne peut plus durer.
Des propositions émergent pour renforcer la régulation. Parmi elles :
- Contrôles d’âge stricts : Empêcher les mineurs d’accéder à des contenus violents.
- Modération proactive : Obliger les plateformes à surveiller les contenus en temps réel.
- Sanctions financières : Pénaliser les plateformes qui tolèrent des abus.
- Soutien aux victimes : Mettre en place des mécanismes pour signaler les emprises psychologiques.
Pour l’instant, Kick a promis des réformes, mais le scepticisme domine. Le public, lui, oscille entre indignation et fascination, tandis que les proches de Jean Pormanove pleurent un homme décrit comme « droit, avec le cœur sur la main ».
Un Héritage Tragique
Jean Pormanove n’était pas seulement un streameur. Ancien militaire, il avait su capter l’attention par sa spontanéité et son énergie. Mais son parcours, marqué par une quête de reconnaissance, l’a conduit dans un piège numérique. Sa mort, diffusée en direct, est un rappel brutal des dangers d’un internet sans garde-fous.
Ce drame doit servir de signal d’alarme. Il nous pousse à réfléchir à notre responsabilité collective : spectateurs, créateurs, plateformes, régulateurs. Combien de Jean Pormanove faudra-t-il pour que le système change ? La réponse, pour l’instant, reste en suspens.