Dans un pays déjà marqué par des décennies de chaos, la Somalie fait face à une nouvelle tempête. Les récents affrontements entre l’armée nationale et les forces régionales du Jubaland ne sont pas qu’un simple conflit local : ils révèlent les fractures profondes d’un système fédéral fragile. Pire encore, ces divisions offrent une opportunité en or aux shebab, ce groupe insurgé lié à Al-Qaïda, qui exploite chaque faille pour regagner du terrain. À l’approche des élections prévues en 2026, ces tensions pourraient redessiner l’avenir d’un pays en quête de stabilité.
Une fédération au bord de l’implosion
La Somalie, État de la Corne de l’Afrique, fonctionne comme une fédération d’États semi-autonomes. Si ce modèle visait à apaiser les rivalités historiques entre régions, il semble aujourd’hui à bout de souffle. Le Jubaland, région stratégique frontalière du Kenya et de l’Éthiopie, incarne ces tensions. Les relations entre son administration et le gouvernement central de Mogadiscio sont depuis longtemps marquées par la méfiance. Les récents combats, qui ont coûté la vie à deux militaires de l’armée nationale la semaine dernière, ne font qu’aggraver une situation déjà explosive.
Ces affrontements ne sont pas isolés. En juillet, cinq soldats avaient déjà péri dans des violences similaires. Le Jubaland accuse Mogadiscio de provocations délibérées, tandis que le gouvernement central cherche à renforcer son autorité avant les élections de 2026. Mais cette quête de contrôle pourrait coûter cher : chaque conflit interne détourne l’attention de la lutte contre les shebab, permettant à ces derniers de s’infiltrer dans les brèches sécuritaires.
Les shebab : des opportunistes dans l’ombre
Depuis le milieu des années 2000, les shebab mènent une insurrection brutale contre le gouvernement somalien. Malgré une offensive militaire d’envergure en 2022-2023, qui avait permis de reprendre du terrain, leurs récents succès montrent leur résilience. Depuis le début de l’année, ils ont reconquis des dizaines de villes et villages, effaçant presque tous les progrès réalisés. Comment ? En exploitant les divisions internes.
« Une fois que l’attention s’est déplacée de la lutte contre les shebab vers la politique, nous avons constaté des pertes et des revers sur le champ de bataille », explique Samira Gaid, analyste pour un centre de réflexion régional.
Les shebab ne se contentent pas de profiter du chaos : ils en font une arme. Les luttes de pouvoir entre Mogadiscio et les régions, comme le Jubaland ou le Puntland au nord, servent de campagne de recrutement. Les jeunes, désabusés par l’instabilité et les rivalités politiques, sont des proies faciles pour les promesses des insurgés.
Le Jubaland, épicentre des tensions
Au cœur de cette crise, le Jubaland se distingue par sa position stratégique et ses relations tumultueuses avec Mogadiscio. La réélection d’Ahmed Madobe à la tête de la région en 2024, pour un troisième mandat, a jeté de l’huile sur le feu. Mogadiscio juge ce scrutin illégal, la Constitution somalienne limitant les mandats à deux. Un mandat d’arrêt a même été émis contre Madobe, une décision qui a exacerbé les tensions.
Les combats récents se concentrent dans la région de Gedo, où les deux camps cherchent à asseoir leur contrôle. Le président somalien, Hassan Sheikh Mohamud, a nommé un ancien ministre influent, Abdirashid Hassan Abdinur, surnommé Janan, pour gérer la région. Cette nomination, perçue comme une tentative de reprendre la main, a provoqué des violences, notamment la prise de la ville clé de Beled Hawo par les forces pro-Janan.
Fait marquant : Depuis juin, 38 000 personnes ont fui les violences dans le Jubaland, et 10 200 autres ont trouvé refuge au Kenya, selon des chiffres officiels.
Un système fédéral à l’épreuve
Le fédéralisme somalien, instauré en 2012, devait permettre une gouvernance décentralisée. Mais les experts s’accordent à dire que l’accord politique initial était bancal. « Les tensions constantes au sein du modèle fédéral découlent d’un manque de consensus clair lors de sa création », explique Omar Mahmood, spécialiste de la région pour un groupe de réflexion international. Ce système, censé unir, divise.
Le Jubaland, par exemple, a rompu ses relations avec Mogadiscio en 2024, refusant de reconnaître l’autorité centrale. Cette fracture s’est aggravée avec les préparatifs des élections de 2026. Mohamud pousse pour un scrutin au suffrage universel direct, une première dans l’histoire du pays. Mais Madobe, fidèle à un système indirect, s’y oppose farouchement.
Les élections 2026 : un tournant à risque
À l’approche des élections, les enjeux sont immenses. Le contrôle de régions comme le Gedo devient un levier politique crucial. « Madobe et Mohamud veulent tous deux dominer cette zone pour influencer le processus électoral », note un analyste. Cette lutte de pouvoir ne fait qu’affaiblir les efforts pour sécuriser le pays.
Les violences ont des conséquences humaines dramatiques. Les déplacements massifs de populations, combinés à l’insécurité croissante, aggravent une situation humanitaire déjà précaire. Les shebab, quant à eux, prospèrent dans ce chaos, utilisant chaque affrontement comme une opportunité pour étendre leur influence.
Région | Conflit | Impact |
---|---|---|
Jubaland | Combats armée/forces régionales | 38 000 déplacés internes, 10 200 réfugiés au Kenya |
Gedo | Prise de Beled Hawo | Renforcement des tensions électorales |
Une population prise en otage
Les civils somaliens paient le prix fort de ces luttes intestines. Les déplacements forcés, la peur des violences et l’instabilité politique plongent des milliers de familles dans l’incertitude. « Nous entendons dire que le gouvernement veut annexer le Gedo pour imposer son administration. Cela ne marchera pas », déclare un chef traditionnel local, fervent soutien de Madobe.
Les accusations de violations des droits humains, notamment contre des figures comme Janan, compliquent encore la situation. L’ONU a déjà pointé du doigt ce dernier pour des exactions graves, ce qui ternit l’image du gouvernement central dans sa tentative de reprendre le contrôle.
Quel avenir pour la Somalie ?
La Somalie se trouve à un carrefour. Les élections de 2026 pourraient être une chance de renforcer l’unité nationale, mais les tensions actuelles suggèrent un chemin semé d’embûches. Si le gouvernement central et les régions comme le Jubaland ne trouvent pas un terrain d’entente, les shebab continueront de tirer profit du chaos.
Pour sortir de cette spirale, il faudrait un dialogue politique inclusif, capable de réconcilier les ambitions régionales et nationales. Mais à mesure que les violences s’intensifient et que les échéances électorales approchent, le temps presse. La Somalie peut-elle surmonter ses divisions avant qu’il ne soit trop tard ?
Points clés à retenir :
- Les affrontements entre l’armée nationale et le Jubaland fragilisent la Somalie.
- Les shebab exploitent ces divisions pour regagner du terrain.
- Les tensions électorales exacerbent les conflits régionaux.
- 38 000 déplacés internes et 10 200 réfugiés au Kenya depuis juin.