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Hiroshima : 80 Ans Après, Les Victimes Coréennes Racontent

80 ans après Hiroshima, les survivants coréens brisent le silence sur leur douleur et leur stigmatisation. Quels secrets ont-ils gardés ? Lisez leur histoire...

Le 6 août 1945, une lumière aveuglante déchira le ciel d’Hiroshima, marquant à jamais l’histoire de l’humanité. Parmi les victimes de ce drame, des dizaines de milliers de Coréens, souvent oubliés, ont porté un fardeau double : celui des blessures physiques et celui d’une stigmatisation sociale qui les a poursuivis toute leur vie. Aujourd’hui, 80 ans après, leurs voix s’élèvent pour raconter une histoire de résilience, de silence et de reconnaissance tardive.

Une Tragédie aux Multiples Visages

Le bombardement atomique d’Hiroshima, suivi de celui de Nagasaki, a laissé une cicatrice indélébile dans l’histoire mondiale. Environ 740 000 personnes ont été tuées ou blessées lors de ces attaques, dont plus de 10 % étaient des Coréens. Ces chiffres, bien que glaçants, ne racontent qu’une partie de l’histoire. Beaucoup de ces Coréens se trouvaient à Hiroshima en tant que travailleurs forcés, recrutés sous la contrainte par l’administration coloniale japonaise. Leur présence dans la ville ce jour-là n’était pas un choix, mais une conséquence d’une politique d’oppression.

Pour ces survivants, le traumatisme ne s’est pas arrêté aux blessures physiques. La société, tant au Japon qu’en Corée, leur a imposé une discrimination supplémentaire, les marginalisant en raison de leur statut de hibakusha (survivants des bombardements atomiques) et de leur origine coréenne. Cette double peine a forcé beaucoup d’entre eux à cacher leur passé, parfois même à leurs proches.

Bae Kyung-mi : Un Silence de Toute une Vie

À l’âge de cinq ans, Bae Kyung-mi jouait innocemment dans sa maison à Hiroshima lorsque le ciel s’est embrasé. Elle se souvient encore des avions bourdonnant au-dessus de sa tête, un souvenir qui précède l’effondrement de son monde. Ensevelie sous les décombres, elle a survécu, mais son oncle et sa tante n’ont pas eu cette chance.

« J’ai crié à ma mère en japonais : Maman, il y a des avions ! Il y a des avions ! »

Bae Kyung-mi, survivante du bombardement

Les radiations ont laissé des marques indélébiles sur son corps. Bae Kyung-mi a dû subir l’ablation des ovaires et d’un sein en raison d’un risque élevé de cancer. Mais au-delà des séquelles physiques, c’est le poids du silence qui a marqué sa vie. Par peur du jugement, elle n’a jamais révélé à son mari qu’elle était une survivante d’Hiroshima. À l’époque, épouser une personne exposée aux radiations était perçu comme une erreur, un tabou social profondément ancré.

Ce n’est que bien plus tard, lorsqu’elle s’est inscrite dans un centre pour les victimes à Hapcheon, en Corée du Sud, que ses deux fils ont découvert son passé. Cette révélation tardive illustre à quel point la stigmatisation a poussé les survivants à enfouir leur histoire, même au sein de leur propre famille.

Kim Hwa-ja : Une Fuite dans la Terreur

Kim Hwa-ja, alors âgée de quatre ans, a vécu un cauchemar similaire. Elle se souvient d’une fuite précipitée dans une charrette tirée par des chevaux, alors que la ville était enveloppée de fumée et de flammes. Sa mère lui criait de se cacher sous une couverture pour ne pas voir l’horreur qui les entourait.

Comme beaucoup de Coréens présents à Hiroshima, Kim Hwa-ja faisait partie des dizaines de milliers de travailleurs forcés employés sur des sites militaires japonais. Leur présence dans la ville, loin de leur pays natal, était le fruit d’une politique coloniale brutale qui les privait même de leur identité : l’utilisation de noms coréens était interdite, rendant leur recensement dans les registres encore plus complexe.

Les survivants coréens ont souvent été réduits à des ombres dans les archives, leurs noms effacés par une bureaucratie coloniale impitoyable.

Une Double Discrimination

Pour les Coréens restés au Japon après la guerre, la vie était un combat constant contre une double discrimination. En tant que hibakusha, ils étaient souvent perçus comme porteurs de maladies ou de malchance. En tant que Coréens, ils faisaient face à un racisme institutionnalisé dans une société japonaise encore marquée par son passé colonial.

Ce n’est qu’à la fin des années 1990 qu’un premier pas vers la reconnaissance a été franchi avec l’érection d’un monument funéraire dédié aux victimes coréennes dans le Parc du Mémorial de la Paix à Hiroshima. Ce geste, bien que symbolique, a marqué un tournant, donnant enfin une place à ces victimes dans l’histoire officielle.

Le Retour en Corée : Une Nouvelle Stigmatisation

Pour les survivants qui sont rentrés en Corée du Sud après l’indépendance du pays en 1945, l’espoir d’un nouveau départ s’est heurté à une réalité cruelle. Les rumeurs, infondées mais tenaces, selon lesquelles les radiations pouvaient être contagieuses, ont alimenté une méfiance généralisée. Beaucoup ont choisi de taire leur passé pour éviter le rejet social.

« À l’époque, des rumeurs infondées circulaient selon lesquelles l’exposition aux radiations pouvait être contagieuse. »

Jeong Soo-won, directeur du Centre des victimes de la bombe atomique

À Hapcheon, un centre dédié aux victimes organise chaque année une cérémonie de commémoration le 6 août. Aujourd’hui, environ 1 600 survivants sud-coréens sont encore en vie, dont 82 résident dans ce centre. Ces chiffres, bien que modestes, témoignent de la persistance de cette communauté à faire entendre sa voix.

Une Reconnaissance Tardive mais Limitée

En 2016, la Corée du Sud a adopté une loi spéciale pour soutenir les survivants, leur offrant une allocation mensuelle d’environ 62 euros. Cependant, cette aide reste modeste et ne prend pas en compte les descendants des victimes, dont beaucoup souffrent de maladies congénitales liées aux radiations. Cette omission est une source de frustration pour des familles qui continuent de porter les conséquences du drame.

Jeong Soo-won, directeur du centre de Hapcheon, insiste sur la nécessité d’une reconnaissance plus large :

« Beaucoup de descendants ont été touchés par les bombardements et souffrent de maladies congénitales. Une disposition doit être prévue pour eux. »

Jeong Soo-won

Ce combat pour la reconnaissance ne se limite pas à la Corée. Au Japon, un groupe de survivants a reçu le prix Nobel de la paix en 2024, une distinction qui a ravivé l’espoir d’une prise de conscience mondiale. Pourtant, pour beaucoup, cette reconnaissance arrive trop tard.

Un Monde Qui Oublie ses Leçons

Quatre-vingts ans après les bombardements, les survivants, qu’ils soient japonais ou coréens, s’inquiètent de voir l’histoire se répéter. Les récentes déclarations de responsables politiques comparant des frappes militaires modernes aux attaques d’Hiroshima et de Nagasaki ont ravivé les craintes d’un retour à la banalisation de l’arme nucléaire.

Pour les survivants, ces paroles sont une insulte à leur souffrance. Elles rappellent que le monde n’a pas pleinement tiré les leçons de l’horreur d’août 1945. Leur message est clair : la mémoire de ces événements doit rester vivante pour éviter que de telles tragédies ne se reproduisent.

Statistiques Clés Détails
Nombre total de victimes Environ 740 000 (Hiroshima et Nagasaki)
Pourcentage de victimes coréennes Plus de 10 %
Survivants sud-coréens encore en vie Environ 1 600
Allocation mensuelle Environ 62 euros

Vers un Devoir de Mémoire

Les histoires de Bae Kyung-mi, Kim Hwa-ja et des autres survivants coréens d’Hiroshima rappellent l’importance de préserver la mémoire de ces événements. Leur courage face à la douleur physique et à l’exclusion sociale est une leçon d’humanité. À Hapcheon, les cérémonies annuelles du 6 août continuent de rassembler les survivants et leurs familles, un moment de recueillement mais aussi de lutte pour la reconnaissance.

Leur message résonne au-delà des frontières : il est temps de reconnaître pleinement les souffrances des victimes coréennes, d’inclure leurs descendants dans les efforts de soutien et de s’assurer que l’histoire d’Hiroshima ne soit jamais oubliée. Car, comme le montrent ces témoignages, la paix reste une quête fragile, qui demande vigilance et mémoire.

« La mémoire d’Hiroshima est un appel à la paix, un rappel que l’humanité doit apprendre de ses erreurs. »

En racontant leurs histoires, les survivants coréens ne demandent pas seulement justice pour eux-mêmes, mais pour toutes les générations futures. Leur résilience face à l’adversité est une source d’inspiration, un rappel que même dans les moments les plus sombres, l’espoir peut perdurer.

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