Imaginez avoir survécu à des années dans un camp de détention, loin de chez vous, pour finalement rentrer dans votre pays et devoir renier vos propres enfants pour espérer reconstruire une vie. C’est le douloureux destin de milliers d’Irakiens rapatriés du camp d’al-Hol, en Syrie, où environ 37 000 personnes, dont des proches de jihadistes présumés, sont détenues dans des conditions extrêmes. Ces rapatriés, souvent des femmes et des enfants, reviennent en Irak avec l’espoir d’un nouveau départ, mais se heurtent à des obstacles qui semblent insurmontables : stigmatisation, difficultés administratives et pressions sociales. Leur histoire, c’est celle d’une lutte pour retrouver une place dans une société qui les rejette.
Le Camp d’al-Hol : Un Passé Qui Colle à la Peau
Le camp d’al-Hol, situé dans le nord-est de la Syrie, est devenu un symbole de l’après-guerre contre le groupe État islamique. Ce lieu abrite des jihadistes présumés, leurs familles, mais aussi des déplacés et des réfugiés. Pour beaucoup, y séjourner équivaut à porter une étiquette indélébile de « terroriste » ou de « complice ». Les rapatriés irakiens, dont beaucoup n’ont jamais été impliqués dans des activités violentes, doivent affronter ce poids lorsqu’ils rentrent chez eux. Leur passé dans ce camp, même involontaire, devient une barrière à leur réintégration.
Les chiffres sont éloquents : environ 17 000 Irakiens, majoritairement des femmes et des enfants, ont été rapatriés d’al-Hol par les autorités de Bagdad. Mais ce retour, loin d’être un soulagement, marque le début d’un parcours semé d’embûches. Les témoignages recueillis auprès de ces rapatriés révèlent un sentiment d’abandon, aggravé par des politiques locales qui compliquent leur réinsertion.
Renier Ses Proches : Un Prix Cruel pour la Liberté
Pour beaucoup de rapatriés, le retour en Irak s’accompagne d’une exigence déchirante : renier officiellement des membres de leur famille soupçonnés d’appartenance à l’État islamique. Cette pratique, bien que jugée illégale par un haut responsable irakien, est imposée par certaines autorités locales. Ibrahim, un homme de 64 ans, en est un exemple poignant. Après des années à al-Hol, il a dû rédiger une déclaration reniant ses deux fils pour pouvoir retourner dans sa province de Salaheddine. « Sinon, comment aurais-je pu cultiver mes terres et subvenir aux besoins de ma famille ? » confie-t-il, la voix lourde de regret.
« Tout ce que je voulais, c’était rentrer en Irak. Mais j’ai dû renier mes fils, ma maison n’existe plus et je repars de zéro. »
Ibrahim, rapatrié de 64 ans
Cette obligation, assimilée par un avocat à une « plainte d’un membre de la famille contre un autre », place les rapatriés dans une position intenable. Refuser de signer pourrait les priver de documents officiels essentiels, comme les cartes d’identité, nécessaires pour accéder aux soins, à l’éducation ou à l’emploi. Pourtant, céder à cette exigence signifie trahir des liens familiaux, souvent sans preuve concrète de l’implication des proches dans des activités jihadistes.
La Stigmatisation : Un Fardeau Quotidien
La société irakienne, encore marquée par les violences de l’État islamique, regarde souvent les rapatriés d’al-Hol avec suspicion. À Mossoul, une femme d’une trentaine d’années, dont le père et le mari sont détenus pour des liens présumés avec le groupe jihadiste, vit dans la peur d’être expulsée de la maison délabrée qu’elle occupe avec sa sœur et ses enfants. « Les gens nous regardent différemment, simplement parce que nous venons d’al-Hol », explique-t-elle. Cette stigmatisation sociale, omniprésente, empêche les rapatriés de se sentir chez eux, même dans leur propre pays.
Les défis des rapatriés en bref :
- Stigmatisation : Perception négative des communautés locales.
- Accès aux documents : Difficultés à obtenir des cartes d’identité.
- Pression sociale : Obligation de renier des proches pour être accepté.
- Précarité : Conditions de vie souvent instables et insalubres.
Ce rejet social a des conséquences concrètes. Sans documents officiels, les rapatriés peinent à accéder aux services de base. Une femme raconte son angoisse face à la nécessité d’obtenir une nouvelle carte d’identité pour ses enfants, craignant de devoir renier son mari pour y parvenir. Ces obstacles administratifs aggravent leur précarité et alimentent un cercle vicieux d’exclusion.
Les Efforts de Réintégration : Un Soutien Fragile
Face à ces défis, des initiatives locales et internationales tentent d’accompagner les rapatriés. Le Fonds mondial pour l’engagement communautaire et la résilience (GCERF), basé à Genève, soutient des centres communautaires en Irak qui ont aidé environ 6 000 rapatriés. Ces centres proposent des programmes de réinsertion, notamment des séances de soutien psychologique pour traiter la dépression, l’anxiété et les traumatismes liés à leur expérience dans le camp et à leur retour.
Rahaf, une jeune femme de 24 ans, incarne un espoir fragile. Après des années marquées par le traumatisme, elle a repris ses études grâce à l’aide d’un centre à Mossoul. « J’ai le sentiment d’avoir réussi, je veux devenir avocate ou enseignante », confie-t-elle. Pourtant, ces succès restent rares. La baisse des financements internationaux, comme le souligne Kevin Osborne, directeur adjoint du GCERF, menace la pérennité de ces programmes.
« La baisse des financements internationaux au moment où les retours s’accélèrent risque de freiner ces efforts. »
Kevin Osborne, directeur adjoint du GCERF
Les ONG locales, comme l’organisation irakienne IID, jouent également un rôle clé. Noran Mahmood, membre de cette organisation, explique que les rapatriés craignent d’être rejetés par une société qui associe al-Hol à la honte. Les centres offrent un espace où les rapatriés peuvent exprimer leurs angoisses et commencer à reconstruire leur vie, mais les ressources manquent cruellement.
Une Politique à Double Tranchant
Si Bagdad affiche une volonté de rapatrier ses ressortissants – contrairement à de nombreux pays qui refusent de récupérer leurs citoyens d’al-Hol – la politique irakienne soulève des questions. Thanassis Cambanis, directeur de l’institut Century International, critique la « punition collective » infligée aux familles des jihadistes présumés. Selon lui, priver les rapatriés de documents ou les forcer à renier leurs proches est non seulement une injustice, mais aussi une « faute morale ».
Plus inquiétant encore, cette marginalisation pourrait avoir des conséquences à long terme. Cambanis avertit que l’exclusion des rapatriés risque de créer un « terreau fertile » pour le recrutement par des groupes extrémistes. En d’autres termes, les politiques actuelles, loin de prévenir l’extrémisme, pourraient involontairement l’alimenter.
Défi | Impact | Solution Potentielle |
---|---|---|
Stigmatisation | Rejet par les communautés locales | Campagnes de sensibilisation |
Accès aux documents | Exclusion des services de base | Simplification des démarches administratives |
Précarité économique | Conditions de vie instables | Programmes d’aide financière |
Un Avenir Incertain pour les Rapatriés
Le chemin vers la réintégration est long et semé d’embûches. Les rapatriés, souvent dans des situations de grande précarité, doivent naviguer entre les exigences administratives, les pressions sociales et leurs propres traumatismes. Pourtant, des histoires comme celle de Rahaf montrent qu’un avenir meilleur est possible avec un soutien adéquat. Les initiatives des ONG, bien que limitées par les financements, offrent une lueur d’espoir.
Le défi pour l’Irak est de taille : comment réintégrer des milliers de personnes tout en évitant de perpetuer un cycle d’exclusion et de ressentiment ? Les autorités doivent trouver un équilibre entre la sécurité nationale et le respect des droits humains. Sans une approche plus inclusive, le risque est de voir une nouvelle génération marginalisée, vulnérable aux discours extrémistes.
En attendant, les rapatriés continuent de lutter pour leur dignité. Leur résilience, malgré les obstacles, est une leçon de courage. Mais pour qu’elle porte ses fruits, il faudra plus que des efforts individuels : un véritable engagement politique et social est nécessaire pour leur offrir une seconde chance.