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Italie : La Gauche en Crise Face à Meloni

En Italie, la gauche s'effrite face à la popularité de Meloni. Divisions et déconnexion minent l'opposition. Peut-elle se relever ?

En juin dernier, les rues de Rome vibraient d’une énergie contestataire. Des foules immenses, des pancartes brandies pour la Palestine, des drapeaux arc-en-ciel de la marche des fiertés : l’Italie semblait bouillonner d’opposition au gouvernement. Pourtant, malgré ces élans, une question persiste : pourquoi la gauche italienne, autrefois pilier de la politique européenne, peine-t-elle à s’imposer face à une figure aussi clivante que Giorgia Meloni ? Cet article plonge au cœur d’une gauche fracturée, d’une société désabusée et d’un paysage politique en pleine mutation.

Une Gauche en Quête d’Identité

Depuis son arrivée au pouvoir il y a près de trois ans, Giorgia Meloni, leader de Fratelli d’Italia, domine la scène politique italienne. Une enquête récente place son parti d’extrême droite à 29 % des intentions de vote, un score supérieur à celui qui l’a propulsée à la tête du gouvernement. Cette longévité, rare dans un pays habitué aux gouvernements éphémères, témoigne de sa popularité. Mais qu’en est-il de l’opposition ?

Les principaux partis d’opposition, le Parti Démocrate (PD, centre-gauche) et le Mouvement 5 étoiles (M5S), peinent à convaincre. Avec respectivement 22 % et 13 % des intentions de vote, ils restent loin derrière. Ce décalage s’explique par une crise profonde : la gauche italienne, jadis portée par le puissant Parti communiste, semble avoir perdu le contact avec les classes populaires. Selon Paolo Borioni, professeur à l’université La Sapienza, « la gauche a coupé ses liens historiques avec les classes populaires », un phénomène qui n’est pas propre à l’Italie mais qui s’observe à travers l’Europe.

Une Déconnexion Historique

Comment la gauche en est-elle arrivée là ? Pendant ses années au pouvoir, le PD a promu des réformes libérales, comme la flexibilisation du marché du travail, et des politiques d’austérité. Résultat : une hémorragie d’électeurs. Depuis sa dernière victoire en 2013, le parti a perdu plus de 3 millions de voix. Cette désaffection reflète un sentiment de trahison parmi les classes populaires, qui se sentent abandonnées par un parti autrefois perçu comme leur défenseur.

« Les partis de gauche ont abandonné leur rôle de défenseurs des travailleurs », déplore Francesca Ciuffi, une syndicaliste de 27 ans, à l’origine de grèves dans le secteur textile.

Le M5S, quant à lui, avait suscité un immense espoir en 2018 en promettant de balayer l’élite politique. Mais ses alliances avec des partis qu’il dénonçait autrefois ont terni son image. Aujourd’hui, il tente de se repositionner sur des mesures sociales, comme le soutien à un salaire minimum ou un revenu de base, mais sa crédibilité reste entamée.

Meloni : Une Droite Opportuniste ?

Face à cette opposition affaiblie, Giorgia Meloni tire son épingle du jeu. Son discours, qui prétend défendre le « peuple », trouve un écho dans un pays où les salaires stagnent depuis deux décennies et où 10 % de la population vit sous le seuil de pauvreté. Pourtant, certains observateurs critiquent son positionnement. Riccardo Ricciardi, député du M5S, accuse :

« Meloni prétend défendre le peuple, mais elle protège les grands fonds spéculatifs, les banques et les assurances. »

Ce contraste entre rhétorique populiste et politiques économiques conservatrices pourrait être une faille. Cependant, la gauche peine à l’exploiter. Les Italiens, selon une enquête du Parlement européen, se préoccupent davantage du pouvoir d’achat que de l’immigration, un thème pourtant central dans le discours de Meloni. Cela offre une opportunité à l’opposition, mais encore faut-il qu’elle sache la saisir.

Des Propositions Progressistes, mais un Manque de Cohésion

Depuis 2022, le PD a opéré un virage à gauche avec l’élection d’Elly Schlein à sa tête. Cette jeune dirigeante défend des mesures audacieuses : un salaire minimum, inexistant en Italie, et des investissements accrus dans l’éducation et la santé. Ces propositions résonnent avec les préoccupations des Italiens, mais le parti reste divisé. Par exemple, sur la question du réarmement européen, certains eurodéputés du PD ont soutenu le plan ReArm Europe, tandis que d’autres s’y opposent, reflétant un manque de clarté stratégique.

Le M5S, de son côté, adopte une posture antimilitariste, s’opposant à l’envoi d’armes en Ukraine. Cette position, selon Marc Lazar, professeur à Sciences-Po Paris, pourrait embarrasser Meloni dans un pays où la paix est une valeur forte. Mais les dissensions internes et les alliances passées du M5S limitent son impact.

Résumé des défis de la gauche italienne :

  • Déconnexion populaire : Perte de confiance des classes populaires.
  • Divisions internes : Manque d’unité sur des questions clés comme le réarmement.
  • Passif politique : Réformes libérales et alliances controversées.
  • Abstention massive : Près de 50 % des électeurs se désintéressent des urnes.

L’Abstention, Symptôme d’un Désenchantement

Un chiffre frappe : lors des dernières élections européennes et régionales, près d’un électeur sur deux s’est abstenu. Ce désintérêt reflète une désillusion générale, non pas un virage à droite de la population, comme le souligne Paolo Borioni. « La gauche est en crise, et les électeurs déçus préfèrent l’abstention à un vote pour l’extrême droite », explique-t-il. Cette abstention massive est un défi, mais aussi une opportunité pour une opposition capable de remobiliser ces électeurs.

Pourtant, tout n’est pas perdu. Des alliances locales entre le PD et le M5S ont permis des victoires en 2024, notamment en Émilie-Romagne, en Ombrie et à Gênes. Elly Schlein reste optimiste :

« Nous laissons les sondages à la droite, nous gagnons les élections. »

Ces succès locaux montrent qu’une gauche unie peut encore peser. Mais pour reconquérir le cœur des Italiens, elle devra surmonter ses divisions et renouer avec les préoccupations quotidiennes des citoyens.

Les Mobilisations Locales : Une Lueur d’Espoir

Si les partis peinent, les initiatives citoyennes, elles, ne manquent pas de dynamisme. Francesca Ciuffi, par exemple, organise des grèves dans le secteur textile, où les conditions de travail sont parfois inhumaines : des semaines de 84 heures pour un salaire dérisoire de 3 euros de l’heure. Ces mobilisations locales, souvent portées par des syndicats ou des associations, montrent que l’envie de changement reste vive.

Pour Arianna D’Archivio, une étudiante de 23 ans, la gauche manque de courage, notamment sur des questions internationales comme la Palestine. « Ne pas prendre position immédiatement a été une erreur », confie-t-elle. Ce sentiment d’inaction alimente la méfiance envers les partis traditionnels.

Parti Intentions de vote Positionnement clé
Fratelli d’Italia 29 % Extrême droite, discours populiste
Parti Démocrate 22 % Centre-gauche, salaire minimum
Mouvement 5 étoiles 13 % Mesures sociales, antimilitarisme

Un Avenir Incertain

La gauche italienne se trouve à un carrefour. Pour redevenir une alternative crédible, elle devra surmonter plusieurs obstacles :

  • Reconquérir les classes populaires : En se concentrant sur des enjeux comme le pouvoir d’achat et les conditions de travail.
  • Clarifier son message : Une ligne politique cohérente, notamment sur les questions internationales.
  • Renforcer les alliances : Les succès locaux montrent que l’union fait la force.
  • Combattre l’abstention : Remobiliser les électeurs désabusés par des propositions concrètes.

Dans un pays où la pauvreté touche une personne sur dix et où les salaires stagnent, la gauche a une carte à jouer. Mais pour l’emporter, elle devra retrouver son audace et renouer avec ceux qu’elle prétend défendre. Les manifestations de Rome, vibrantes et pleines d’espoir, rappellent que le peuple italien n’a pas renoncé à se faire entendre. Reste à savoir si la gauche saura être à la hauteur de cet élan.

En attendant, Giorgia Meloni continue de dominer, surfant sur une popularité que peu auraient prédite il y a trois ans. La gauche, elle, doit relever un défi de taille : transformer la colère des rues en une force politique capable de changer la donne. Le chemin est long, mais l’histoire italienne, riche en rebondissements, montre que rien n’est jamais joué.

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