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L’Afrique indifférente face à l’extrême droite française

L'Afrique semble étonnamment indifférente face à la perspective de voir l'extrême droite arriver au pouvoir en France. Malgré des liens historiques forts, les Africains semblent davantage préoccupés par...

En ce mois de juin 2024, l’actualité politique française est digne des plus grandes séries Netflix. Pourtant, sur le continent africain, l’intérêt pour ce feuilleton hexagonal semble bien faible. Ni les opinions publiques, ni la majorité des dirigeants ne semblent s’alarmer outre mesure de la possibilité de voir l’extrême droite, incarnée par le Rassemblement National, héritier de Jean-Marie Le Pen, prendre les rênes du prochain gouvernement français.

Une indifférence marquée malgré les liens historiques

Cette relative indifférence peut surprendre quand on connaît les liens historiques, culturels, économiques et politiques qui unissent la France à de nombreux pays africains, en particulier ceux appartenant à son ancien empire colonial. Pendant des décennies, Paris a cultivé et entretenu jalousement ce “pré carré” africain, tissant des relations souvent ambiguës avec les élites locales.

Mais si l’Élysée scrute toujours avec attention l’évolution politique de ses anciennes possessions, la réciproque n’est plus vraiment de mise. Certes, une partie de l’opinion publique africaine, notamment les plus âgés ou les plus francophiles, continue de suivre avec un certain intérêt les soubresauts de la vie politique française. Mais pour la majorité, et en particulier les jeunes générations, d’autres préoccupations dominent.

Le football avant la politique

Preuve de cette indifférence, les “bookmakers” africains semblent davantage intéressés par la cote de l’équipe de France à l’Euro 2024 que par celle des différents partis en lice pour les prochaines législatives françaises. Le ballon rond passionne les foules plus que les urnes hexagonales.

La page du passé colonial se tourne

Cette diminution de l’intérêt pour la politique française témoigne aussi d’un changement profond des mentalités sur le continent. Près de 60 ans après les indépendances, la page du passé colonial est en train de se tourner. Les nouvelles générations africaines aspirent à écrire leur propre histoire, loin de l’ombre tutélaire de l’ancienne puissance coloniale.

Pour nous les jeunes, la France c’est le passé. On veut construire notre avenir en comptant d’abord sur nos propres forces.

Amadou, étudiant sénégalais de 22 ans

L’extrême droite française, un épouvantail qui ne fait plus peur

Même la perspective de voir l’extrême droite diriger la France ne semble plus faire trembler outre mesure les opinions et les chancelleries africaines. Pendant longtemps, l’arrivée au pouvoir du Front National de Jean-Marie Le Pen a joué le rôle d’un épouvantail sur le continent. Mais son héritière Marine Le Pen, malgré des positions toujours très dures sur l’immigration, apparaît moins comme une menace.

Certains y voient le signe d’une “normalisation” du parti lepéniste, dont le discours serait moins ouvertement raciste qu’autrefois. D’autres y lisent surtout le reflet d’un rapport de force géopolitique qui a changé. L’époque où un ministre français de la coopération pouvait faire et défaire les régimes africains d’un claquement de doigt est révolue.

Un pragmatisme africain dicté par les intérêts économiques

Cette relative sérénité face à une possible victoire de l’extrême droite française témoigne aussi du pragmatisme des dirigeants africains. Soucieux avant tout de préserver les intérêts économiques de leur pays, ils sont prêts à composer avec n’importe quel locataire de l’Élysée, fut-il mariniste.

Comme le confie sous couvert d’anonymat un diplomate ivoirien :

Que ce soit Macron, Le Pen ou Mélenchon, l’essentiel c’est que les affaires continuent. La France a besoin de l’Afrique autant que l’Afrique a besoin de la France.

Un diplomate ivoirien

L’émergence de nouvelles puissances change la donne

Ce flegme africain face aux turpitudes françaises s’explique enfin par la multiplication des partenaires et l’émergence de nouvelles puissances sur le continent. De la Chine à la Turquie en passant par l’Inde, la Russie ou les pays du Golfe, l’Afrique séduit de nombreux prétendants qui viennent concurrencer une présence française autrefois hégémonique.

Cette nouvelle donne géopolitique conforte les dirigeants africains dans l’idée qu’ils peuvent se passer d’une “relation spéciale” souvent perçue comme infantilisante et paternaliste avec Paris. À tort ou à raison, ils estiment avoir désormais les moyens de parler d’égal à égal avec l’ancienne puissance coloniale, quelle que soit la couleur politique de ses dirigeants.

Vers une relation France-Afrique décomplexée ?

Cette indifférence africaine face aux péripéties politiques françaises, y compris les plus extrêmes, est finalement peut-être le signe d’une relation franco-africaine en train de se “décomplexer”. Débarrassés des oripeaux du passé colonial et forts de nouveaux partenariats, nombre de pays africains aspirent aujourd’hui à traiter d’égal à égal avec une France qui n’est plus perçue ni comme un gendarme, ni comme un guichet.

Reste à voir si cette relative indifférence résistera à l’épreuve du pouvoir si jamais l’extrême droite venait effectivement s’installer à l’Élysée. Une politique française ouvertement hostile à l’immigration et empreinte de relents néo-coloniaux pourrait rapidement réveiller de vieilles rancœurs. Et prouver que le destin de l’Afrique et de la France reste, en dépit de tout, profondément lié.

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