Dans les rues de Lomé, la capitale togolaise, l’air vibre d’une tension palpable. Depuis le début du mois de juin, des voix s’élèvent, des barricades s’érigent, et des appels à la résistance résonnent sur les réseaux sociaux. Au cœur de cette agitation, le Mouvement du 6 Juin, ou M66, porté par des artistes et blogueurs, défie le pouvoir en place. Mais face à cette vague de contestation, les autorités répondent par la répression, émettant des mandats d’arrêt contre ces figures influentes. Que se passe-t-il au Togo, et pourquoi cette crise politique et sociale prend-elle une ampleur aussi dramatique ?
Une Contestation Portée par la Jeunesse
Le Togo traverse une période de troubles sans précédent depuis plusieurs années. Les manifestations, bien que rares depuis leur interdiction en 2022, ont repris avec une intensité nouvelle. Les jeunes, en particulier, se mobilisent pour exprimer leur mécontentement face à un système qu’ils jugent oppressif. Le Mouvement du 6 Juin, baptisé en référence à une première vague de protestations le 6 juin 2025, incarne cette révolte. Ce mouvement, largement relayé sur des plateformes comme TikTok, a su galvaniser une population lassée par des décennies de gouvernance autoritaire.
Les raisons de cette colère sont multiples. Les manifestants dénoncent la hausse des prix de l’électricité, qui pèse lourdement sur le quotidien des Togolais. Ils s’opposent également à une réforme constitutionnelle controversée, adoptée en avril 2024, qui a transformé le Togo en un régime parlementaire. Cette réforme, perçue comme un moyen pour le président Faure Gnassingbé de consolider son pouvoir, supprime les limites de mandats présidentiels et élimine le suffrage universel direct pour l’élection du chef de l’État. Enfin, les arrestations de figures critiques, comme celle du rappeur Aamron, ont jeté de l’huile sur le feu.
« Nous voulons le changement, car trop, c’est trop. »
Hélène, commerçante à Lomé
Mandats d’Arrêt : Une Répression Ciblée
Face à cette montée de la contestation, les autorités togolaises ont opté pour une réponse ferme. Le ministre de la Sécurité, le colonel Calixte Madjoulba, a annoncé l’émission de mandats d’arrêt contre des blogueurs et artistes du M66, accusés d’inciter à la violence. Ces figures, souvent actives sur les réseaux sociaux, sont devenues des cibles prioritaires pour le gouvernement, qui les accuse de déstabiliser le pays.
Le ministre a été catégorique : « Dans aucun pays au monde, on ne peut appeler à tuer à visage découvert. » Cette déclaration reflète la volonté des autorités de criminaliser les appels à manifester, qualifiés de « terrorisme » par le ministre de l’Administration territoriale, le colonel Hodabalo Awaté. Ces accusations graves soulèvent des questions sur la liberté d’expression dans un pays où les manifestations sont interdites depuis une attaque meurtrière au grand marché de Lomé en 2022.
Les chiffres clés de la crise :
- 7 morts selon l’opposition et la société civile
- 5 décès reconnus par le gouvernement, attribués à des « noyades »
- 50 arrestations lors des manifestations de début juin
- Nouvelles manifestations prévues les 16 et 17 juillet
Une Réforme Constitutionnelle Controversée
Le cœur de la contestation réside dans la réforme constitutionnelle de 2024. Adoptée sans référendum, elle a transformé le Togo en un régime parlementaire, où le président du Conseil, actuellement Faure Gnassingbé, détient l’essentiel des pouvoirs exécutifs. Cette réforme supprime les limites de mandats, permettant à Gnassingbé, au pouvoir depuis 2005, de se maintenir indéfiniment. Pour ses détracteurs, il s’agit d’un « coup constitutionnel » visant à perpétuer une dynastie au pouvoir depuis 1967, sous l’égide de son père, Gnassingbé Eyadéma.
Les autorités, elles, défendent cette réforme comme un moyen de « dépersonnaliser le pouvoir » et de renforcer l’unité nationale. Mais pour l’opposition et la société civile, ce changement limite les droits politiques des citoyens et s’inscrit dans une logique d’opacité législative. Le Front Touche pas à ma Constitution, regroupant partis d’opposition et organisations citoyennes, dénonce un « acte de haute trahison » contre le peuple togolais.
Les Réseaux Sociaux, Moteur de la Résistance
Dans un pays où les manifestations sont interdites, les réseaux sociaux sont devenus un espace de résistance incontournable. Des artistes et blogueurs, souvent issus de la diaspora, utilisent des plateformes comme TikTok pour mobiliser la jeunesse. Le rappeur Aamron, arrêté fin mai puis interné dans un hôpital psychiatrique, est devenu un symbole de cette lutte. Sa vidéo d’excuses, visiblement réalisée sous contrainte, a suscité une indignation massive, renforçant la détermination des manifestants.
Zaga Bambo, un autre artiste basé en France, est également une figure clé de cette mobilisation. Ses publications dénoncent la répression et appellent à la poursuite des manifestations. « Nous allons continuer jusqu’à ce que Faure Gnassingbé démissionne », a-t-il déclaré sur les réseaux. Cette dynamique en ligne a permis au M66 de coordonner des actions malgré les restrictions imposées par le gouvernement, qui a limité l’accès à certaines plateformes comme TikTok et Facebook lors des manifestations de fin juin.
« La jeunesse porte ce combat sur les réseaux sociaux, là où le pouvoir ne peut pas nous faire taire. »
Edem, activiste en ligne
Une Répression Violente et Controversée
Les manifestations de juin ont été marquées par une répression brutale. Selon l’opposition et des organisations de la société civile, sept personnes auraient perdu la vie, certaines retrouvées dans des cours d’eau à Lomé. Le collectif Front citoyen Togo debout pointe du doigt des « exactions commises par les forces de l’ordre et des miliciens ». Le gouvernement, de son côté, reconnaît cinq décès, qu’il attribue à des noyades, et dénonce des tentatives de manipulation.
Une enquête judiciaire a été ouverte pour éclaircir les circonstances de ces morts, mais l’opposition reste sceptique. « À chaque répression, des enquêtes sont annoncées, mais nous n’en voyons jamais les résultats », déplore Nathaniel Olympio, porte-parole du mouvement Touche pas à ma Constitution. Cette absence de transparence alimente la méfiance envers les institutions et renforce la détermination des manifestants.
Événement | Date | Conséquences |
---|---|---|
Manifestations du M66 | 6 juin 2025 | 50 arrestations, dispersion par gaz lacrymogène |
Nouvelles manifestations | 26-28 juin 2025 | 7 morts selon l’opposition, 60 interpellations |
Appel à manifester | 16-17 juillet 2025 | Mandats d’arrêt contre leaders du M66 |
Un Appel à la Résistance Pacifique
Face à cette répression, l’opposition et la société civile ne baissent pas les bras. Le Front citoyen Togo debout a annoncé une marche pacifique à Lomé, prévue pour rendre hommage aux victimes des manifestations. Cette marche, décrite comme « citoyenne et silencieuse », vise à rallier la population autour de la lagune de Bè, où des corps ont été retrouvés. Des journées de prières sont également prévues à partir du vendredi suivant les annonces, signe d’une mobilisation qui cherche à s’ancrer dans des valeurs de paix et de justice.
David Dosseh, porte-parole du collectif, incarne cette volonté de résistance non violente. « Nous voulons honorer ceux qui sont tombés pour la justice et la démocratie », a-t-il déclaré lors d’une conférence de presse. Cette initiative contraste avec les accusations du gouvernement, qui qualifie les manifestations de « tentatives de déstabilisation » et promet de poursuivre les organisateurs, où qu’ils se trouvent.
Un Contexte Politique Explosif
Le Togo, dirigé par la famille Gnassingbé depuis près de six décennies, est un pays où l’alternance politique reste une chimère. Faure Gnassingbé, au pouvoir depuis la mort de son père en 2005, a su consolider son emprise sur les institutions. L’adoption de la nouvelle Constitution en 2024, qui fait de lui le président du Conseil sans limitation de mandat, a exacerbé les tensions. Ce changement, perçu comme un moyen de pérenniser son pouvoir, a relancé les appels à la démission.
Les élections municipales prévues le 17 juillet 2025, coïncidant avec les nouvelles manifestations annoncées par le M66, risquent d’attiser encore davantage les tensions. Plusieurs partis d’opposition ont demandé leur report, arguant que le climat politique ne permet pas un scrutin équitable. L’annulation d’un rassemblement de soutien à Gnassingbé par son propre parti, sans explication, laisse planer un malaise au sein même du pouvoir.
Les Enjeux de la Liberté d’Expression
La répression des blogueurs et artistes soulève des questions cruciales sur la liberté d’expression au Togo. En ciblant les figures du M66, le gouvernement cherche à museler les voix dissidentes, particulièrement celles qui s’expriment en ligne. La suspension de médias internationaux, comme certains organes français pour trois mois, illustre cette volonté de contrôler le récit médiatique. Ces mesures, combinées aux restrictions d’accès à Internet lors des manifestations, montrent une stratégie visant à limiter la diffusion des idées contestataires.
Pourtant, la jeunesse togolaise semble déterminée à contourner ces obstacles. Les réseaux sociaux, malgré les restrictions, restent un espace où la contestation peut s’organiser. « Plus aucun président ne fera plus de 10 ans au Togo », a déclaré un influenceur dans une interview, reflétant l’aspiration à un changement profond.
Vers une Escalade ou un Dialogue ?
Alors que de nouvelles manifestations sont prévues les 16 et 17 juillet, le Togo se trouve à un carrefour. D’un côté, le gouvernement adopte une posture intransigeante, qualifiant les protestations d’actes de terrorisme et promettant de poursuivre les organisateurs à l’échelle internationale. De l’autre, l’opposition et la société civile appellent à une mobilisation pacifique, tout en exigeant une enquête internationale sur les violences.