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Déminage en Ukraine : Un Combat pour la Terre

En Ukraine, des agriculteurs déminent leurs champs au râteau, risquant leur vie. Des drones à l’IA révolutionnent le déminage. Comment redonnent-ils vie à la terre ?

Imaginez un champ d’un noir profond, si fertile qu’il semble murmurer des promesses de récoltes abondantes. Maintenant, visualisez ce même champ, jonché de mines et d’obus, vestiges d’une guerre qui a transformé le grenier de l’Europe en un piège mortel. En Ukraine, depuis le 24 février 2022, des agriculteurs comme Larissa et Viktor Syssenko risquent leur vie pour redonner à leurs terres leur vocation première : nourrir. Armés de simples râteaux ou de technologies de pointe comme les drones dopés à l’intelligence artificielle, ils mènent un combat titanesque contre un ennemi invisible enfoui dans le sol. Cet article vous plonge dans cette lutte où courage humain et innovation technologique se croisent pour reconquérir la terre ukrainienne.

Un Sol Fertile Transformé en Champ de Mines

L’Ukraine, avec son tchernoziom, cette terre noire gorgée d’humus, était autrefois un symbole de prospérité agricole. Avant la guerre, le pays produisait 84 millions de tonnes de céréales par an, alimentant les marchés mondiaux. Mais depuis l’invasion de 2022, ce sol fertile est devenu l’un des plus contaminés au monde. Les experts estiment qu’environ 123 000 km², soit l’équivalent de la superficie de la Grèce, sont potentiellement jonchés de mines et d’obus non explosés. Ce chiffre, bien que difficile à vérifier en temps de guerre, illustre l’ampleur du défi.

Le conflit a laissé derrière lui un déluge d’artillerie sans précédent depuis la Seconde Guerre mondiale. Des mines antipersonnel, comme la PFM-1, surnommée “pétale” pour sa forme sournoise, se fondent dans les champs et les forêts, prêtes à exploser sous une simple pression de cinq kilos. Interdites par la Convention d’Ottawa de 1997, ces armes continuent de semer la terreur, en particulier pour les enfants. Face à cette menace, les agriculteurs ukrainiens, souvent livrés à eux-mêmes, prennent des risques inouïs pour sauver leurs terres.

Le Courage des Agriculteurs : Déminer à la Main

Dans l’est de l’Ukraine, à une trentaine de kilomètres de la ligne de front, Larissa Syssenko raconte avec une simplicité déconcertante comment elle et son mari Viktor ont déminé leur ferme de Kamianka. Après l’occupation russe de mars à septembre 2022, ils sont revenus sur leurs terres dévastées. Pas d’eau, pas d’électricité, une maison en ruines et une cour marquée par une potence installée par l’ennemi. Pourtant, ils se sont attelés à la tâche, arrachant les herbes folles et déterrant des caisses de munitions abandonnées.

“Tout doucement, pas à pas. J’arrachais les hautes herbes. En un an sans présence humaine, la nature avait repris ses droits.”

Larissa Syssenko, agricultrice

Viktor, fort de son expérience dans l’artillerie à l’époque soviétique, identifie les calibres 152 mm laissés par les forces russes. Mais ce ne sont pas seulement les obus qui menacent. En 2023, une équipe de la Fondation suisse de déminage (FDS) découvre 54 mines PFM-1 dans leur champ, vestiges d’un canon automoteur russe. Ces agriculteurs, comme beaucoup d’autres, n’ont pas attendu les professionnels. “Tout le monde démine par soi-même”, confie Igor Kniazev, un fermier voisin, qui a nettoyé 10 hectares à l’aide d’un simple détecteur de métaux.

Les risques du déminage artisanal :

  • Exposition directe aux explosions.
  • Absence de formation professionnelle.
  • Manque d’équipements de protection adaptés.
  • Risques accrus pour les communautés locales, notamment les enfants.

Ce courage n’est pas sans conséquences. Igor, par exemple, a survécu à une explosion après que son tracteur a heurté une mine antichar. “J’ai eu de la chance”, dit-il, mais d’autres n’ont pas eu ce luxe. Dans les villages voisins, des dizaines de personnes ont été blessées ou tuées par des mines, souvent des pétales ou des mines sauteuses OZM, qui projettent des fragments à 40 mètres à la ronde.

Une Course Contre la Montre pour l’Agriculture

Le déminage n’est pas seulement une question de sécurité, c’est une nécessité économique. L’Ukraine a vu sa production céréalière chuter de 84 millions de tonnes en 2021 à 56 millions en 2024, soit une baisse d’un tiers. Cette chute a provoqué une flambée des prix des céréales à l’échelle mondiale, affectant les marchés alimentaires. Sur les 42 millions d’hectares de terres agricoles du pays, seuls 24 millions sont aujourd’hui cultivables, les autres étant occupés ou contaminés.

Pour les agriculteurs, entretenir leurs champs est vital pour préserver leur capital. Mykola Pereverzev, un fermier de 49 ans près de Kharkiv, a conçu un tracteur télécommandé pour déminer 200 hectares en deux mois. “Il a sauté trois fois”, raconte-t-il, mais cela ne l’a pas arrêté. Ce printemps, il a pu semer des tournesols, signe que la vie agricole reprend, même au milieu des ruines.

Année Production céréalière (millions de tonnes)
2021 84
2024 56

Technologie au Service du Déminage

Si le courage des agriculteurs force l’admiration, les innovations technologiques offrent une lueur d’espoir. Les drones, équipés d’intelligence artificielle, transforment le déminage. L’ONG HALO Trust, qui emploie 1 500 personnes en Ukraine, utilise 80 drones pour cartographier les zones minées et guider les excavateurs. Ces appareils permettent d’inspecter des terrains inaccessibles et de localiser les mines avec une précision croissante.

“Un jour, nous verrons des robots démineurs travailler 23 heures par jour, sans risque pour la vie humaine.”

Paul Heslop, expert de l’ONU

Près de Kiev, Volodymr Sydorouk, un jeune analyste, entraîne des algorithmes à reconnaître les mines à partir d’images de drones. Avec un taux de précision de 70 %, cette technologie promet de révolutionner le déminage. Dans cinq à dix ans, des robots autonomes pourraient prendre le relais, réduisant les risques pour les démineurs humains.

Avantages des drones dans le déminage :

  • Inspection des zones dangereuses sans risque humain.
  • Cartographie précise des mines.
  • Analyse en temps réel via l’intelligence artificielle.
  • Optimisation des opérations pour les équipes au sol.

Les Démineurs : Héros du Quotidien

Le déminage, c’est aussi l’histoire de personnes ordinaires devenues des héros. Viktoria Chynkar, 36 ans, a troqué ses ciseaux de coiffeuse pour un sécateur et un détecteur de mines. Employée par HALO Trust, elle gagne 1 000 euros par mois, un salaire attractif dans un pays en crise. Malgré le poids du gilet pare-balles et la rigueur du travail, elle préfère cette vie en plein air à son ancien métier. “Avant, je coupais des cheveux, maintenant de l’herbe”, dit-elle avec humour.

Andrii Ilkiv, lui, est un vétéran du déminage. Après avoir perdu une jambe en 2022 à cause d’une mine antipersonnel, il est revenu au travail quatre mois plus tard, refusant un poste de bureau. “Je suis habitué à ce travail, je l’aime”, confie-t-il. Ces histoires incarnent la résilience d’un peuple confronté à une menace invisible mais omniprésente.

Un Défi Colossal et des Obstacles Persistants

Le gouvernement ukrainien ambitionne de déminer 80 % du territoire d’ici 2033, mais les obstacles sont nombreux. La coordination entre les 80 entités impliquées – ONG, entreprises privées, agences gouvernementales – reste un défi. Des soupçons de corruption planent également, certains contrats semblant injustifiés. De plus, les territoires occupés et la ligne de front, longue de 1 000 km, restent inaccessibles, rendant impossible une évaluation précise de l’ampleur de la contamination.

Les experts estiment qu’entre 4 et 5 millions d’obus non explosés et 3 à 5 millions de mines polluent le sol ukrainien. Jusqu’à un tiers des munitions tirées, souvent des stocks obsolètes, n’explosent pas à l’impact, aggravant le danger. Les mines antichars, posées à la hâte en 2022, compliquent encore la tâche, car de nombreux plans de pose ont été perdus.

Vers un Avenir Plus Sûr

Malgré ces défis, l’Ukraine devient un laboratoire d’innovation pour le déminage. Les avancées technologiques, comme les drones et l’intelligence artificielle, offrent des perspectives encourageantes. Mais au-delà des machines, c’est la détermination des Ukrainiens qui impressionne. Des agriculteurs comme Igor, qui recycle des obus en canalisations, aux démineurs comme Viktoria et Andrii, tous partagent un même objectif : rendre la terre à nouveau hospitalière.

Le chemin sera long. Les villages comme Kamianka, où seuls 40 habitants sont revenus contre 1 200 avant la guerre, portent encore les stigmates du conflit. Mais chaque hectare déminé, chaque champ replanté, est une victoire. L’Ukraine, malgré la douleur, continue de cultiver l’espoir, un sillon à la fois.

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