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Une Retraitée Russe Devient « Terroriste » : Son Histoire

Une retraitée russe, autrefois pro-Poutine, est condamnée à 5 ans de prison pour ses posts anti-guerre. Comment a-t-elle changé ? Découvrez son histoire…

Imaginez une femme de 72 ans, autrefois fervente admiratrice d’un régime puissant, aujourd’hui assise sur le banc des accusés, la main sur le cœur, un regard mêlant choc et reproche. Cette femme, Evguénia Maïboroda, est une retraitée russe dont l’histoire illustre les paradoxes d’une société sous tension. Condamnée à cinq ans et demi de prison pour avoir dénoncé l’invasion de l’Ukraine, son parcours révèle comment une citoyenne lambda peut basculer de l’adhésion patriotique à la rébellion, dans un pays où la liberté d’expression est un luxe dangereux.

De l’Admiration à la Révolte : Une Transformation Inattendue

Evguénia Maïboroda n’a pas toujours été une dissidente. Née en 1951 dans une petite ville près de Chakhty, dans le sud de la Russie, elle incarnait autrefois l’idéal soviétique. Avec son mari Nikolaï, elle travaillait dans une mine de charbon, un secteur prestigieux à l’époque. Leur vie, marquée par des privilèges et des voyages dans le bloc communiste, semblait stable. Mais l’effondrement de l’URSS en 1991 a bouleversé leur existence, les plongeant dans une précarité économique et symbolique.

La tragédie personnelle a accentué ce déclassement. En 1997, leur fils unique, Sergueï, décède dans un accident de voiture à seulement 25 ans. Ce drame marque un tournant pour Evguénia, qui perd une partie de son monde. Quelques années plus tard, en 2011, son mari succombe à une maladie fulgurante. Seule, elle se tourne vers la religion et les réseaux sociaux pour combler le vide.

Un Soutien Inconditionnel à Poutine

En 2017, Evguénia découvre VK, l’équivalent russe de Facebook, et y partage des contenus variés : images de chats, citations religieuses, mais aussi des messages politiques. À cette époque, elle est une fervente partisane de Vladimir Poutine. Ses publications exaltent la grandeur retrouvée de la Russie, notamment après l’annexion de la Crimée en 2014. Elle partage des montages moquant les dirigeants occidentaux et ukrainiens, célébrant Poutine comme le garant de la stabilité nationale.

“Poutine rendra la Crimée à l’Ukraine quand les États-Unis rendront le Texas au Mexique !”

Une publication d’Evguénia Maïboroda, 2018

Son discours reflète alors celui de nombreux Russes marqués par la crise des années 1990, séduits par la rhétorique d’un pouvoir fort. Mais ce patriotisme va bientôt s’effriter face à des réalités plus dures.

Le Tournant de 2018 : Une Désillusion Croissante

L’été 2018 marque un virage dans le parcours d’Evguénia. La Russie est secouée par des protestations contre une réforme des retraites impopulaire, augmentant l’âge de départ à la retraite. Pour la première fois, Poutine, habituellement perçu comme un protecteur du peuple, défend une mesure jugée antisociale. Cette décision ébranle la confiance de nombreux citoyens, y compris Evguénia.

Ses publications sur VK changent de ton. Elle commence à dénoncer la pauvreté dans son pays, un contraste frappant avec les richesses naturelles de la Russie. Vivant dans le village de Maïski, gangréné par le chômage et les problèmes environnementaux, elle exprime sa frustration face à un système qui semble abandonner ses citoyens.

Le village de Maïski, où vit Evguénia, est décrit comme “se noyant dans les décharges d’ordures”, un symbole des difficultés quotidiennes des habitants.

En 2020, son opposition se durcit. Elle critique la révision constitutionnelle permettant à Poutine de rester au pouvoir jusqu’en 2036, dénonçant “un Poutine éternel” et la corruption endémique. Ce basculement, d’une admiration aveugle à une critique acerbe, illustre un réveil politique inattendu.

L’Invasion de l’Ukraine : Le Point de Rupture

L’invasion de l’Ukraine en février 2022 précipite Evguénia dans une opposition ouverte. Sur VK, elle condamne l’agression russe et soutient publiquement le régiment ukrainien Azov, devenu un symbole de résistance malgré ses origines controversées. Ce choix est risqué : en Russie, toute critique de la guerre ou soutien aux forces ukrainiennes est sévèrement réprimée.

En février 2023, son domicile est perquisitionné. Elle écope d’une amende et d’une courte peine de prison, mais une affaire criminelle plus grave est ouverte. Elle est accusée d’avoir partagé deux contenus illégaux : un message dénonçant les victimes du siège de Marioupol et une vidéo troublante, publiée par un compte pro-Kremlin, montrant une fillette appelant à la violence contre les Russes devant un symbole nazi.

“C’est arrivé par accident, c’était stupide.”

Evguénia Maïboroda, expliquant le partage de la vidéo controversée

Cette vidéo, selon des sources ukrainiennes, faisait partie d’une campagne de désinformation visant à discréditer l’Ukraine. Evguénia, en la partageant, est accusée de promouvoir le nazisme, une charge qu’une source proche du dossier réfute catégoriquement. Son lien personnel avec l’Ukraine, où elle a de la famille, renforce son opposition à la guerre : un cousin a été blessé dans un bombardement russe à Dnipro.

Une Condamnation Sévère : La Répression en Action

Le 29 janvier 2024, Evguénia est condamnée à cinq ans et demi de prison pour “propagation de fausses informations” sur l’armée russe et “appel à des activités extrémistes”. Avant même le verdict, elle est inscrite sur la liste des “terroristes et extrémistes” de la Russie, une mesure qui stigmatise et isole. Lors du procès, un témoin raconte qu’elle saigne du nez sous le choc du verdict, un détail poignant qui humanise sa détresse.

Événement Date Conséquence
Perquisition domicile Février 2023 Amende et courte peine
Inscription liste terroristes Avril 2023 Stigmatisation officielle
Condamnation Janvier 2024 5,5 ans de prison

Son cas illustre l’intensité de la répression en Russie, où des centaines de personnes ont été emprisonnées pour des publications en ligne. Les organisations de défense des droits humains, comme Memorial, la reconnaissent comme une prisonnière politique, soulignant l’absurdité de son accusation de “terrorisme”.

La Foi Comme Refuge

En prison, Evguénia, désormais âgée de 74 ans, trouve du réconfort dans sa foi. Lors d’un appel téléphonique en juin 2025, elle confie à un intermédiaire que la privation de liberté est son plus grand défi, mais que ses prières l’aident à tenir. Sa voix, décrite comme énergique malgré les épreuves, témoigne de sa résilience.

“Je suis croyante. Tu ne tueras point. Pourquoi tout ça ? Moi, je n’ai pas compris.”

Evguénia Maïboroda, sur son opposition à la guerre

Ses conditions de détention, bien que difficiles, sont meilleures que celles des prisonniers ukrainiens. Elle peut recevoir des lettres, censurées, et passer occasionnellement des appels. Pourtant, ses proches la décrivent parfois comme déprimée, marquée par l’isolement.

Un Symbole de Résistance et de Confusion

L’histoire d’Evguénia Maïboroda dépasse le cadre d’un simple fait divers. Elle incarne les contradictions d’une société russe où la désinformation et la répression brouillent les consciences. Selon la sociologue Karine Clément, le Kremlin cultive un “brouillage des consciences” pour décourager les mouvements d’opposition. Le récit officiel, qui présente l’invasion de l’Ukraine comme une lutte contre le “nazisme”, sème la confusion dans une population déjà désorientée par les bouleversements post-soviétiques.

Evguénia, avec son passé pro-Poutine et son basculement vers la dissidence, illustre ce chaos. Son militantisme maladroit sur les réseaux sociaux, comme le partage d’une vidéo controversée, montre à quel point il est difficile de naviguer dans la sphère publique russe. Pourtant, son courage, même involontaire, fait d’elle un symbole pour ceux qui dénoncent l’autoritarisme.

Résumé des faits marquants :

  • 2017 : Découverte des réseaux sociaux et soutien à Poutine.
  • 2018 : Désillusion face à la réforme des retraites.
  • 2020 : Opposition à la révision constitutionnelle.
  • 2022 : Condamnation de l’invasion de l’Ukraine.
  • 2023-2024 : Perquisition, inscription sur la liste des terroristes, condamnation.

Une Société Sous Pression

Le cas d’Evguénia Maïboroda reflète une Russie où exprimer une opinion divergente est un acte de bravoure, mais aussi de péril. La répression, qui touche des citoyens ordinaires comme elle, vise à étouffer toute velléité de contestation. Pourtant, son histoire montre que la soif de justice et de vérité peut émerger, même chez ceux qui ont autrefois soutenu le régime.

Dans un pays où la propagande et la censure règnent, Evguénia incarne une forme de résistance, maladroite mais sincère. Son parcours, marqué par la perte, la désillusion et la foi, invite à réfléchir sur les dynamiques d’une société où l’individu, face à l’État, paie souvent un prix élevé pour ses convictions.

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