Imaginez un territoire ravagé par plus de 600 jours de guerre, où la faim devient une arme et l’aide humanitaire un piège. À Gaza, un système inédit de distribution alimentaire, orchestré par la Fondation humanitaire de Gaza (GHF), fait scandale. Soutenue par les États-Unis et Israël, cette organisation privée promet de nourrir une population au bord de la famine, mais à quel prix ? Les ONG internationales s’alarment : des civils meurent sous les tirs, les principes humanitaires sont bafoués, et un modèle militarisé redéfinit l’aide humanitaire de manière inquiétante.
Un Modèle Humanitaire Controversé
Depuis son lancement fin mai 2025, la GHF, une organisation enregistrée aux États-Unis et en Suisse, a pris le contrôle de la distribution de l’aide alimentaire à Gaza, remplaçant un système autrefois géré par les Nations Unies. Cette initiative intervient après un blocus israélien de plus de deux mois, qui a plongé la population dans une crise alimentaire sans précédent. Mais loin de soulager, le modèle de la GHF suscite une vague de critiques. Pourquoi ? Parce qu’il repose sur des contractuels armés, opère en coordination avec l’armée israélienne et expose les civils à des dangers mortels.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes : selon l’ONU, plus de 500 Palestiniens ont perdu la vie près des sites de distribution de la GHF, souvent sous les tirs de l’armée ou de contractors privés. Ce système, qui centralise l’aide dans seulement quatre hubs sécurisés, oblige les civils à parcourir des distances dangereuses, parfois à travers des zones de combat, pour accéder à des rations alimentaires. Les plus vulnérables – personnes âgées, handicapées, enfants – sont souvent exclus, incapables d’effectuer ces trajets périlleux.
Ce n’est pas de l’aide humanitaire, c’est un piège mortel.
Survivants des incidents près des sites de la GHF
Une Instrumentalisation de l’Aide
Ce qui choque les ONG, c’est l’instrumentalisation de l’aide humanitaire. Historiquement, l’aide repose sur quatre piliers fondamentaux : humanité, neutralité, impartialité et indépendance. La GHF, en collaborant étroitement avec l’armée israélienne, viole ces principes. Les sites de distribution, situés à proximité de bases militaires, sont sécurisés par des contractors privés américains, comme Safe Reach Solutions, et parfois par des groupes armés locaux controversés. Cette militarisation transforme l’aide en un outil stratégique, loin de son objectif premier : sauver des vies sans distinction.
Adéa Guillot, de l’ONG Care, dénonce une remise en question des fondements mêmes de l’humanitaire : « On mélange tout, comme s’il n’y avait plus de morale ni de droit. » Les sites de distribution, qualifiés de « pièges mortels » par les survivants, placent les civils dans une position intenable : choisir entre la faim ou le risque d’être pris pour cible.
Les chiffres clés de la crise
- Plus de 600 jours de conflit à Gaza
- 613 morts près des sites GHF (au 27 juin 2025)
- 4 200 blessés dans des incidents liés à l’aide
- 4 sites de distribution contre 400 auparavant
- 2 millions de Palestiniens en insécurité alimentaire
Un Financement Opaque
Qui finance la GHF ? C’est une question qui reste sans réponse claire. Johnnie Moore, président de l’organisation et proche de l’administration Trump, affirme que les fonds proviennent de donateurs privés, d’ONG et de gouvernements anonymes. Pourtant, l’absence de transparence financière alimente les soupçons. Des rapports indiquent que les États-Unis ont alloué 30 millions de dollars à la GHF, dont 7 millions déjà versés. Cette opacité, couplée à des liens présumés avec des sociétés militaires privées comme UG Solutions, renforce l’idée d’une opération politisée.
La GHF revendique avoir distribué plus de 52 millions de repas en cinq semaines. Mais les critiques soulignent que ces chiffres masquent une réalité tragique : les rations, souvent composées de produits lyophilisés, sont inadaptées dans un contexte où l’accès à l’eau potable est limité. « À quoi sert de la nourriture lyophilisée sans eau ? » s’interroge Adéa Guillot. De plus, les distributions se limitent à des boîtes de conserves, de pâtes et d’huile, négligeant des besoins essentiels comme l’eau, les soins médicaux ou les abris.
La GHF est un ovni humanitaire, une expérimentation militarisée qui met en danger ceux qu’elle prétend aider.
Olivier Routeau, Première Urgence Internationale
Des Civils en Danger
Le système de la GHF oblige les civils à se rendre dans des zones militarisées pour obtenir de l’aide. Ces hubs, situés près de Rafah et dans le centre de Gaza, sont entourés de clôtures et surveillés par des drones et des caméras. Les témoignages décrivent des foules désespérées, des tirs de sommation et parfois des attaques directes. Un ancien contractor a révélé une culture d’impunité : « Si vous vous sentez menacé, tirez d’abord, posez des questions ensuite. » Ce climat de peur transforme les sites d’aide en zones de guerre.
Les ONG, comme Save the Children, dénoncent l’exclusion des plus vulnérables. Les personnes âgées, handicapées ou malades ne peuvent pas parcourir des kilomètres à travers des zones dangereuses. En outre, des incidents tragiques, comme des tirs de drones ou de chars sur des civils affamés, ont été rapportés. Médecins Sans Frontières parle de « massacres à la chaîne », une accusation grave qui met en lumière la violence inhérente à ce modèle.
Problèmes du système GHF | Conséquences |
---|---|
Militarisation des sites | Civils exposés à des tirs |
Réduction des points de distribution | Exclusion des plus vulnérables |
Manque de transparence financière | Soupçons de politisation |
Distribution inadaptée | Besoins essentiels non couverts |
Un Précédent Dangereux
La GHF n’est pas un cas isolé dans l’histoire des interventions humanitaires. Des précédents existent, comme les équipes provinciales de reconstruction en Afghanistan, où des militaires en civil menaient des actions humanitaires. Mais la GHF va plus loin. En remplaçant un système de 400 points de distribution par seulement quatre hubs militarisés, elle concentre les populations dans des zones sous contrôle militaire, alimentant les craintes d’une stratégie de déplacement forcé.
Pour Rony Brauman, ancien président de Médecins Sans Frontières, ce modèle rappelle une opération au Zaïre en 1996-97, où des distributions alimentaires servaient d’appât pour attirer des groupes armés dans des embuscades. À Gaza, la GHF semble reproduire cette logique, mais à une échelle plus vaste et sans s’appuyer sur des acteurs humanitaires établis. Cette « expérimentation militarisée » pourrait établir un précédent inquiétant pour l’avenir de l’aide humanitaire.
C’est immoral et inhumain que ceux qui affament prennent la responsabilité de nourrir.
Raji Sourani, Palestinian Centre for Human Rights
Les Critiques des ONG
Plus de 170 ONG, dont Oxfam et Save the Children, ont appelé à la fermeture immédiate du système GHF. Dans une déclaration conjointe publiée à Genève, elles dénoncent un modèle qui « viole les normes humanitaires » en forçant les civils à risquer leur vie pour de la nourriture. Ces organisations exigent le retour à un système coordonné par l’ONU, capable de distribuer l’aide de manière impartiale et sécurisée.
Amnesty International va plus loin, suggérant que la GHF pourrait être complice de crimes de guerre en raison de sa collaboration avec des forces militaires. Le Centre pour les droits constitutionnels a même adressé une mise en garde légale à l’organisation, soulignant sa potentielle responsabilité dans des violations du droit international. Ces accusations, graves, reflètent l’ampleur de la controverse.
Vers une Réforme de l’Aide ?
Face à ce scandale, la communauté internationale est à la croisée des chemins. Les ONG appellent à un retour aux principes humanitaires fondamentaux et à la levée du blocus israélien pour permettre une aide à grande échelle. La GHF, malgré ses promesses, ne parvient pas à répondre aux besoins massifs de la population, notamment en matière d’eau, de santé et d’abris. La situation à Gaza exige une réponse urgente et coordonnée, loin des expérimentations risquées.
En attendant, les civils de Gaza restent piégés entre la faim et la violence. Le modèle de la GHF, qualifié d’ovni humanitaire, soulève des questions éthiques et pratiques qui pourraient redéfinir l’avenir de l’aide humanitaire, non seulement à Gaza, mais dans tous les contextes de conflit. La communauté internationale doit-elle accepter ce précédent, ou exiger un retour à des pratiques plus justes et sécurisées ? La réponse reste en suspens.
Que faire pour améliorer la situation ?
- Rétablir un système d’aide coordonné par l’ONU
- Lever le blocus pour permettre l’entrée d’aide massive
- Garantir la sécurité des civils aux points de distribution
- Assurer la transparence financière des organisations humanitaires
- Respecter les principes d’humanité, neutralité et impartialité