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Slovaquie : La Presse Sous l’Emprise de Fico

En Slovaquie, Robert Fico musèle les médias. La chaîne Markiza cède-t-elle aux pressions ? Les journalistes résistent, mais jusqu'à quand ? Découvrez les dessous de cette censure douce...

En Slovaquie, une question taraude les observateurs : la liberté de la presse peut-elle survivre sous le règne de Robert Fico ? Depuis son retour au pouvoir en 2023, le Premier ministre nationaliste semble décidé à remodeler le paysage médiatique à son image. Les accusations de pressions politiques et de censure douce se multiplient, tandis que des journalistes intègres quittent leurs rédactions, dénonçant un climat délétère. Ce phénomène, qui rappelle les dérives autoritaires de la Hongrie voisine, met en lumière une lutte acharnée pour préserver l’indépendance des médias dans un pays où les voix critiques sont de plus en plus étouffées.

Une liberté de la presse en chute libre

La Slovaquie, autrefois perçue comme un modèle de démocratie en Europe centrale, traverse une crise médiatique sans précédent. Selon le classement de Reporters sans frontières (RSF), la liberté de la presse dans le pays a chuté de 21 places en seulement deux ans. Ce déclin spectaculaire s’explique par une série d’actions orchestrées par le gouvernement de Robert Fico, qui semble s’inspirer des méthodes de son allié hongrois, Viktor Orban. En ciblant les médias indépendants, Fico cherche à contrôler le récit public, marginalisant les voix qui osent critiquer sa coalition.

Ce n’est pas une censure brutale, marquée par des fermetures de rédactions ou des arrestations de journalistes. Non, ce que l’on observe en Slovaquie est bien plus insidieux : une censure douce, où les pressions s’exercent par des moyens indirects. Changements inexpliqués dans les programmations, marginalisation de sujets sensibles, incitations au départ des reporters les plus indépendants : autant de tactiques qui érodent peu à peu l’intégrité des médias.

Markiza : un symbole sous pression

Au cœur de cette bataille se trouve Markiza, une chaîne de télévision privée fondée en 1996 et propriété du groupe tchèque PPF. Historiquement reconnue pour son ton audacieux et son rôle de poil à gratter des gouvernements, Markiza était un bastion de l’indépendance journalistique. Mais depuis le retour de Fico, les choses ont changé. Des dizaines de journalistes de la chaîne ont dénoncé, dans des lettres ouvertes, des pressions internes et politiques visant à aligner la couverture médiatique sur les intérêts de la coalition au pouvoir.

“Désormais, je ne peux m’identifier avec les valeurs véhiculées, qui consistent à faire la promotion de certains partis politiques et à diffuser des platitudes.”

Gabriela Kajtarova, ancienne journaliste de Markiza

Gabriela Kajtarova, qui a quitté la chaîne après sept ans, incarne cette désillusion. Lorsqu’elle a rejoint Markiza, elle y voyait une rédaction avec “juste ce qu’il faut d’impertinence”. Aujourd’hui, elle déplore une dérive vers une ligne éditoriale servile, où certains sujets sont minimisés, voire ignorés. Par exemple, les manifestations antigouvernementales, qui mobilisent pourtant des milliers de Slovaques, sont reléguées en fin de journal télévisé, quand elles ne sont pas tout simplement passées sous silence.

Des départs en cascade

Les démissions se succèdent à Markiza, illustrant le malaise grandissant au sein de la rédaction. Un présentateur vedette a claqué la porte en mai dernier après avoir été écarté de son poste, suivi par trois autres journalistes. Parmi eux, Adel Ghannam, parti dès 2024, raconte comment les ingérences ont commencé peu après le retour de Fico. “On nous incitait à couvrir le moins possible les manifestations antigouvernementales”, confie-t-il, soulignant une volonté claire de contrôler l’information.

Ces départs ne sont pas anodins. Ils reflètent une stratégie plus large visant à décourager les journalistes indépendants, ceux qui refusent de plier face aux pressions. En parallèle, le gouvernement adopte un ton agressif envers les médias critiques, usant d’insultes et de menaces voilées, comme la perte de contrats publicitaires ou des poursuites judiciaires. Cette atmosphère toxique fragilise encore davantage un secteur déjà vulnérable.

Les chiffres alarmants de la liberté de la presse

  • Chute de 21 places dans le classement RSF en deux ans.
  • Markiza : des dizaines de journalistes dénoncent des pressions.
  • STVR : médias publics sous contrôle étatique depuis 2024.

Une censure douce, mais efficace

Contrairement à une censure ouverte, la stratégie slovaque repose sur des méthodes subtiles mais redoutablement efficaces. Pavol Szalai, responsable régional de RSF, décrit ce phénomène comme une censure douce. Pas de suppressions brutales de contenus, mais des ajustements discrets : des sujets sensibles relégués en arrière-plan, des changements de programmation inexpliqués, ou encore des pressions pour pousser les journalistes les plus intègres vers la sortie. Cette approche permet au gouvernement de contrôler le récit sans provoquer un tollé international.

La direction de Markiza, quant à elle, nie toute partialité. Dans une déclaration officielle, elle affirme offrir une couverture “totalement impartiale et équilibrée” et rejette l’idée d’être un outil au service du pouvoir. Pourtant, les témoignages des anciens employés racontent une tout autre histoire. Pour beaucoup, la chaîne, autrefois fer de lance de l’indépendance médiatique, s’est progressivement alignée sur les attentes du gouvernement.

Un écho hongrois inquiétant

Les parallèles avec la Hongrie de Viktor Orban sont troublants. Comme son allié magyar, Fico semble déterminé à façonner un paysage médiatique docile. En Hongrie, les médias indépendants ont été progressivement rachetés ou marginalisés, tandis que les organes publics sont devenus des relais de la propagande gouvernementale. En Slovaquie, la réforme de 2024, qui a regroupé les médias audiovisuels publics sous une entité unique, la STVR, marque une étape clé dans ce processus. Dirigée par Martina Flasikova, proche du parti Smer de Fico, cette institution est désormais sous le contrôle direct de l’État.

“Il est essentiel que les actionnaires résistent aux tentatives visant à éliminer la critique.”

Veclav Stetka, expert en médias à l’université de Loughborough

Pour Veclav Stetka, spécialiste des médias à l’université britannique de Loughborough, la situation est critique. Il souligne que les actionnaires des grands groupes médiatiques, comme PPF, propriétaire de Markiza, jouent un rôle clé dans la préservation de l’indépendance. Mais leur implication dans des secteurs réglementés, comme les télécommunications, les rend vulnérables aux pressions gouvernementales. En quête de bonnes relations avec le pouvoir, ces groupes pourraient hésiter à s’opposer frontalement à Fico.

La menace sur le droit à l’information

Ce qui se joue en Slovaquie dépasse la simple question des médias. C’est le droit des citoyens à une information fiable qui est en péril. Avec la mainmise croissante de l’État sur les médias publics et les pressions exercées sur les chaînes privées, les Slovaques risquent de se retrouver privés de sources d’information objectives. La nomination de Martina Flasikova à la tête de la STVR illustre cette dérive : fille d’un membre fondateur du parti Smer, elle prône un élargissement de l’espace médiatique à “différentes vérités”, une formule qui ouvre la porte à la désinformation.

Dans un contexte où le gouvernement affiche ouvertement son soutien à des figures comme Donald Trump, certains craignent une normalisation des récits alternatifs, y compris des théories complotistes. L’idée de donner autant de poids à des affirmations non scientifiques qu’à des faits établis menace de brouiller encore davantage les repères des citoyens.

Problème Conséquence
Pressions sur les journalistes Départs en cascade, perte d’indépendance
Contrôle des médias publics Mainmise étatique sur l’information
Censure douce Marginalisation des sujets critiques

Un combat pour l’indépendance

Face à cette offensive, certains journalistes refusent de baisser les bras. Les lettres ouvertes publiées par les employés de Markiza témoignent d’une volonté de résister, même au prix de leur carrière. Ces actes de courage rappellent que le journalisme, en Slovaquie comme ailleurs, reste un rempart essentiel contre les dérives autoritaires. Mais sans un soutien fort des actionnaires et de la société civile, leur combat risque de s’essouffler.

Dans la région, la Slovaquie n’est pas un cas isolé. Partout en Europe centrale et orientale, les gouvernements nationalistes testent les limites de la démocratie en s’attaquant à la presse. Ce qui se passe à Bratislava pourrait donc servir de baromètre pour l’avenir des médias dans l’Union européenne. Si la Slovaquie continue sur cette voie, elle risque de devenir un nouvel exemple de démocratie fragilisée, où l’information devient une arme au service du pouvoir.

Quel avenir pour les médias slovaques ?

L’avenir des médias slovaques dépend de plusieurs facteurs. D’abord, la capacité des rédactions à maintenir leur intégrité face aux pressions. Ensuite, la volonté des propriétaires, comme le groupe PPF, de défendre l’indépendance de leurs médias, même au risque de froisser le gouvernement. Enfin, la mobilisation des citoyens, qui doivent exiger une information libre et fiable.

Pour l’instant, le tableau est sombre. La Slovaquie, qui accuse le plus fort recul de la liberté de la presse au sein de l’UE ces deux dernières années, semble s’enfoncer dans une spirale inquiétante. Mais les démissions courageuses de journalistes comme Gabriela Kajtarova ou Adel Ghannam montrent que la résistance est encore possible. Reste à savoir si elle suffira à enrayer la machine autoritaire de Robert Fico.

“Le journalisme est attaqué partout dans la région. Résister, c’est préserver la démocratie.”

— Veclav Stetka

En définitive, la Slovaquie se trouve à un carrefour. Laisser les médias glisser sous le contrôle du pouvoir, c’est prendre le risque de voir la démocratie s’éroder davantage. Mais en soutenant les journalistes qui se battent pour leur indépendance, le pays peut encore inverser la tendance. Une chose est sûre : dans ce combat, chaque voix compte.

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