Imaginez un royaume où le pouvoir change de mains en seulement trois jours, où une dynastie politique divise profondément la nation, et où l’ombre d’un coup d’État plane constamment. Bienvenue en Thaïlande, où une crise politique sans précédent secoue le pays en ce début de juillet 2025. Un nouveau Premier ministre intérimaire, le troisième en 72 heures, vient de prêter serment devant le roi, marquant un tournant dramatique dans une saga centrée sur la famille Shinawatra. Mais que se passe-t-il réellement dans ce pays d’Asie du Sud-Est, et quelles sont les forces qui alimentent cette instabilité ?
Une Crise Politique en Trois Actes
La Thaïlande, souvent célébrée pour ses plages paradisiaques et sa culture vibrante, est aussi connue pour son instabilité politique chronique. Depuis le début des années 2000, le royaume oscille entre périodes de calme relatif et crises soudaines, souvent marquées par des interventions judiciaires ou militaires. La dernière en date, début juillet 2025, a vu la suspension de la Première ministre Paetongtarn Shinawatra, remplacée par un intérim éclair de Suriya Jungrungreangkit, avant que Phumtham Wechayachai ne prenne les rênes. Ce ballet de dirigeants illustre une fracture profonde dans la société thaïlandaise, où les luttes de pouvoir entre progressistes et conservateurs ne cessent de s’intensifier.
La cérémonie d’assermentation, qui s’est déroulée dans la somptueuse salle du palais de Dusit à Bangkok, a réuni le roi Maha Vajiralongkorn, la reine Suthida, et un gouvernement remanié. Les ministres, vêtus d’un costume blanc immaculé, ont prêté serment sous les portraits des anciens monarques, un décor symbolique d’une nation fière de ses traditions mais en proie à des bouleversements modernes. Parmi eux, Paetongtarn Shinawatra, malgré sa suspension, a fait une apparition remarquée en tant que nouvelle ministre de la Culture, un poste stratégique qui lui permet de rester au cœur du jeu politique.
Paetongtarn Shinawatra : Une Dynastie Sous Pression
À seulement 38 ans, Paetongtarn Shinawatra, surnommée Ung Ing par les Thaïlandais, incarne la nouvelle génération de la dynastie Shinawatra. Fille de Thaksin Shinawatra, ancien Premier ministre controversé, elle est devenue en 2024 la plus jeune cheffe du gouvernement du royaume. Son ascension, portée par le parti Pheu Thai, a suscité à la fois espoir et méfiance. Si elle représente pour beaucoup une alternative au statu quo militaro-royaliste, ses détracteurs l’accusent d’être une marionnette de son père, dont l’influence reste omniprésente.
« J’accepte la décision de la Cour, mais je tiens à réaffirmer que j’ai toujours agi pour le bien de mon pays. »
Paetongtarn Shinawatra, après sa suspension
Sa suspension, prononcée le 1er juillet 2025 par la Cour constitutionnelle, découle d’une controverse autour d’un appel téléphonique avec Hun Sen, ancien Premier ministre cambodgien. Dans cet échange, enregistré à son insu et diffusé publiquement, Paetongtarn a utilisé un ton jugé trop familier en s’adressant à Hun Sen comme à un « oncle » et en qualifiant un général thaïlandais d’« opposant ». Ces propos, bien que visant à apaiser les tensions frontalières, ont été perçus comme une atteinte à l’éthique politique par les conservateurs, qui y ont vu une opportunité de l’écarter.
La décision de la Cour, votée à sept voix contre deux, a plongé le pays dans une incertitude prolongée. Les délibérations pourraient durer des semaines, voire des mois, laissant planer le risque d’une destitution définitive. Pourtant, Paetongtarn reste active en tant que ministre de la Culture, une position qui, bien que secondaire, lui permet de conserver une influence au sein du gouvernement. Mais sa présence à ce poste est-elle tenable face aux pressions judiciaires ?
Phumtham Wechayachai : Le Fidèle Lieutenant
Âgé de 71 ans, Phumtham Wechayachai, nouveau Premier ministre intérimaire, est un vétéran de la politique thaïlandaise. Proche de Thaksin Shinawatra, il est souvent décrit comme un « loyal lieutenant » de la dynastie. Son parcours, marqué par un engagement dans le mouvement étudiant communiste des années 1970, contraste avec son rôle actuel de ministre de l’Intérieur et de chef par intérim. Avant sa nomination, il occupait le poste de ministre de la Défense, où il n’a pas réussi à calmer les tensions avec le Cambodge, notamment après un incident frontalier en mai 2025 ayant causé la mort d’un soldat khmer.
Phumtham a publiquement défendu Paetongtarn, affirmant qu’elle « survivra à l’enquête ». Cette loyauté indéfectible envers les Shinawatra pourrait toutefois compliquer sa mission de stabiliser un gouvernement fragilisé. Avec une coalition en perte de vitesse et des défis économiques imminents, sa capacité à naviguer dans cette tempête politique sera cruciale.
Les défis de Phumtham Wechayachai :
- Gérer une coalition fragile après le départ d’un allié clé.
- Apaiser les tensions avec le Cambodge.
- Négocier avec les États-Unis pour éviter une surtaxe de 36 % sur les exportations.
- Prévenir un potentiel coup d’État militaire.
Thaksin et la Dynastie Shinawatra : Une Influence Persistante
Le nom Shinawatra est indissociable de la politique thaïlandaise depuis plus de deux décennies. Thaksin Shinawatra, magnat des télécommunications, a dirigé le pays de 2001 à 2006 avant d’être renversé par un coup d’État. Sa sœur, Yingluck, a suivi le même destin en 2014. Aujourd’hui, à 75 ans, Thaksin reste une figure centrale, bien que controversée, poursuivi pour lèse-majesté, un crime passible de 15 ans de prison. Son procès, entamé en juillet 2025, ajoute une couche d’incertitude à la crise actuelle.
La dynastie Shinawatra incarne pour beaucoup une alternative au pouvoir militaro-royaliste, mais elle est aussi accusée de populisme et de corruption par ses adversaires. Leur popularité, particulièrement dans les zones rurales, repose sur des politiques sociales audacieuses, mais leur style, mêlant libéralisme et autoritarisme, a profondément divisé le pays. Alors que Paetongtarn lutte pour maintenir son influence, certains analystes estiment que les déboires judiciaires de la famille pourraient marquer la fin de leur domination politique.
« Si elle reste au pouvoir, il y aura des manifestations. Je veux une nouvelle élection. »
Chatchai Summabut, employé thaïlandais
Une Coalition Fragile et des Enjeux Économiques
La crise politique actuelle est exacerbée par le départ du parti Bhumjaithai, principal allié de Pheu Thai, en protestation contre les propos de Paetongtarn. Ce retrait a fragilisé la majorité gouvernementale, au point qu’une poignée de défections supplémentaires pourrait faire tomber le cabinet. Dans ce contexte, le remaniement ministériel, officialisé le 3 juillet 2025, vise à consolider le pouvoir du Pheu Thai, mais les tensions internes persistent.
Sur le plan économique, la Thaïlande fait face à une menace imminente : une surtaxe de 36 % sur ses exportations vers les États-Unis, un marché crucial pour le royaume. Des émissaires thaïlandais doivent rencontrer des représentants de la Maison Blanche le 3 juillet pour négocier une issue. Cette situation, combinée à l’instabilité politique, pourrait dissuader les investisseurs étrangers, déjà méfiants face à l’histoire tumultueuse du pays.
Défi | Impact |
---|---|
Surtaxe américaine | Menace sur l’économie exportatrice |
Instabilité politique | Fuite des investisseurs |
Tensions avec le Cambodge | Risque de conflit régional |
Le Spectre des Coups d’État
La Thaïlande a une longue histoire de coups d’État, avec une douzaine de putschs réussis depuis la fin de la monarchie absolue en 1932. Le dernier en date, en 2014, a renversé Yingluck Shinawatra, sœur de Thaksin. Aujourd’hui, l’instabilité gouvernementale ravive les craintes d’une nouvelle intervention militaire. L’armée, qui observe de près les soubresauts politiques, pourrait saisir l’occasion pour reprendre le contrôle, surtout si les manifestations contre Paetongtarn s’intensifient.
Les tensions avec le Cambodge, exacerbées par l’incident frontalier de mai 2025, compliquent encore la situation. Le poste de ministre de la Défense, laissé vacant dans le nouveau cabinet, reflète les difficultés à gérer ce dossier sensible. Alors que le royaume cherche à apaiser les relations avec son voisin, l’absence d’un leadership fort dans ce domaine pourrait aggraver les tensions régionales.
Vers une Résolution ou une Escalade ?
La crise actuelle met en lumière les fractures profondes de la société thaïlandaise. D’un côté, les partisans des Shinawatra, souvent issus des classes populaires, défendent un projet de modernisation et de redistribution. De l’autre, l’élite militaro-royaliste s’accroche à un ordre traditionnel, voyant dans les Shinawatra une menace à la stabilité du royaume. Cette polarisation, qui a alimenté des décennies de troubles, semble loin de s’apaiser.
Pour Phumtham Wechayachai, la tâche est colossale : stabiliser un gouvernement fragilisé, négocier des enjeux économiques cruciaux, et éviter une escalade militaire, tout en soutenant une alliée en difficulté. La décision de la Cour constitutionnelle sur Paetongtarn sera déterminante. Si elle est destituée, le Pheu Thai pourrait perdre sa légitimité, ouvrant la voie à de nouvelles élections ou, pire, à une intervention de l’armée.
Les scénarios possibles :
- Destitution de Paetongtarn : Une décision judiciaire pourrait mettre fin à sa carrière politique.
- Nouvelles élections : Une dissolution du Parlement pourrait redonner la parole au peuple.
- Coup d’État : L’armée pourrait intervenir, comme en 2006 et 2014.
- Stabilisation temporaire : Phumtham pourrait apaiser les tensions, mais pour combien de temps ?
En attendant, la Thaïlande retient son souffle. La crise, loin d’être résolue, pourrait redessiner l’avenir politique du royaume. Paetongtarn survivra-t-elle à l’enquête ? Phumtham parviendra-t-il à maintenir l’unité ? Et surtout, le spectre d’un nouveau coup d’État se concrétisera-t-il ? Seule l’histoire nous le dira, mais une chose est sûre : la saga Shinawatra continue de captiver et de diviser.