Imaginez une ville entière vibrant au son d’une musique qui divise, où des dizaines de milliers de personnes convergent pour un événement à la fois festif et controversé. À Zagreb, ce samedi, un concert d’une ampleur exceptionnelle promet de rassembler près d’un demi-million de spectateurs autour d’une figure emblématique et clivante de la scène croate : Marko Perkovic, plus connu sous le nom de Thompson. Cet artiste, adulé pour ses chansons patriotiques, est aussi critiqué pour ses références au régime Oustachi, un passé sombre de l’histoire croate. Alors, comment un chanteur peut-il à la fois fédérer une nation et susciter une telle polémique ?
Un Concert Hors Norme à Zagreb
Ce week-end, la capitale croate se prépare à accueillir un événement d’une ampleur rarement vue. Avec environ 450 000 billets vendus, soit plus de la moitié de la population de Zagreb, le concert de Thompson s’annonce comme un moment clé pour la Croatie. Prévu à l’hippodrome de la ville à partir de 21h00, cet événement est décrit par les autorités comme l’opération de sécurité publique la plus complexe jamais organisée dans le pays. Pour gérer cette foule massive, un hôpital de campagne de 200 lits sera installé à proximité, et la police recommande aux touristes d’éviter la capitale pour limiter les perturbations.
Les organisateurs, conscients des tensions potentielles, ont mis en place des règles strictes. Sur leur application officielle, ils précisent que tout symbole ou insigne promouvant la haine, l’intolérance, le racisme ou les idéologies extrémistes est strictement interdit. Mais ces mesures suffiront-elles à apaiser les controverses entourant l’artiste ?
Thompson : Une Icône Controversée
Marko Perkovic, alias Thompson, est une figure incontournable du folk-rock croate. Dans un pays de 3,8 millions d’habitants, il incarne pour beaucoup un patriotisme ardent, chantant l’amour de la Croatie, de la famille et de la religion. Pourtant, son image est ternie par ses références répétées au régime Oustachi, un régime fasciste instauré en Croatie pendant la Seconde Guerre mondiale sous l’égide d’Hitler et Mussolini. Ces références, parfois subtiles, parfois explicites, ont valu à Thompson des interdictions de concerts dans plusieurs pays européens.
“Je veux raconter une histoire de la Croatie positive, pleine d’amour pour nos valeurs : l’amour de Dieu, de la famille et de la patrie.”
Marko Perkovic, alias Thompson, dans une interview télévisée.
Ses concerts sont souvent marqués par des gestes provocateurs. Lors de l’interprétation de sa chanson phare, Bojna Cavoglave, Thompson entonne parfois le slogan “Za Dom – Spremni”, un cri de ralliement utilisé par les Oustachis. Ce geste, accompagné de saluts fascistes de certains fans, alimente les critiques. Pourtant, pour une large partie de son public, ces éléments sont secondaires face à l’émotion brute de ses chansons.
Un Public Jeune et Diversifié
Ce qui frappe dans cet événement, c’est la diversité du public attendu. Selon la plateforme de billetterie Entrio, environ un tiers des spectateurs aura moins de 28 ans. Pour beaucoup de jeunes Croates, Thompson représente une figure de résistance culturelle et de fierté nationale, loin des connotations historiques polémiques. Un étudiant de 22 ans, Nikola, explique ainsi son enthousiasme :
“Les gens l’adorent pour son amour de la Croatie et ses chansons patriotiques. C’est une chanson écrite en temps de guerre, je n’étais même pas né quand elle est sortie.”
Nikola, étudiant en géodésie.
Pour ces jeunes, les chansons de Thompson évoquent un sentiment d’appartenance et d’histoire, sans nécessairement endosser les idéologies extrémistes. Cette dualité reflète une société croate complexe, où les sensibilités historiques coexistent avec un désir de célébration nationale.
Une Société Croate Partagée
La popularité de Thompson soulève des questions sur la place du nationalisme dans la Croatie contemporaine. Selon l’historien Hrvoje Klasic, la société croate penche traditionnellement à droite, mais elle n’adhère pas majoritairement aux idéologies pro-Oustachi ou d’extrême droite. Les résultats électoraux le confirment : les partis ouvertement nationalistes, comme le Mouvement de la patrie (DP), restent marginaux, même si ce dernier a récemment intégré le gouvernement dans une coalition.
Pour Klasic, Thompson incarne des valeurs perçues comme traditionnelles par ses fans :
“La grande majorité des fans perçoivent Thompson comme un patriote, présentant des valeurs traditionnelles telles que la patrie, la religion, la famille.”
Hrvoje Klasic, historien.
Cette perception explique pourquoi des centaines de milliers de personnes, dont beaucoup de jeunes, se pressent pour assister à ses concerts, malgré les controverses. Mais elle met aussi en lumière une tension : comment concilier l’amour de la patrie avec des références à un passé fasciste ?
Un Défi Logistique et Symbolique
L’organisation d’un tel événement représente un défi logistique colossal. Les autorités croates ont mobilisé des ressources exceptionnelles pour assurer la sécurité des spectateurs et des habitants de Zagreb. Voici un aperçu des mesures mises en place :
- Hôpital de campagne de 200 lits pour les urgences médicales.
- Interdiction des symboles extrémistes pour limiter les tensions.
- Recommandation aux touristes d’éviter la capitale ce week-end.
- Coordination renforcée entre la police et les organisateurs.
Mais au-delà de la logistique, c’est le symbolisme de cet événement qui interroge. Le concert de Thompson n’est pas seulement un spectacle musical ; il est un miroir des divisions et des aspirations de la société croate. Pour certains, il célèbre l’identité nationale ; pour d’autres, il ravive des blessures historiques.
Thompson et l’Héritage Oustachi
Le régime Oustachi, instauré en 1941, reste une page sombre de l’histoire croate. Allié aux puissances de l’Axe, il fut responsable de persécutions et de crimes contre les Serbes, les Juifs, les Roms et les opposants politiques. Les références de Thompson à ce régime, qu’il s’agisse de slogans ou de symboles, sont perçues comme une provocation par une partie de la population et par la communauté internationale.
Pourtant, Thompson se défend en affirmant que ses chansons visent à promouvoir un patriotisme positif. Cette ambivalence est au cœur de sa popularité : il parvient à rassembler des foules en jouant sur l’émotion nationale, tout en flirtant avec des références controversées. Cette stratégie, volontaire ou non, fait de lui une figure à la fois adorée et détestée.
Un Événement aux Répercussions Internationales
Le concert de Zagreb ne passe pas inaperçu à l’échelle internationale. Les interdictions de concerts de Thompson dans plusieurs pays européens témoignent de la sensibilité des références Oustachi en dehors de la Croatie. En Allemagne, en Autriche ou aux Pays-Bas, ses performances ont été annulées en raison de préoccupations liées à la promotion d’idéologies extrémistes.
Ce concert pourrait donc raviver les débats sur la manière dont la Croatie gère son passé historique. Dans un contexte où l’Union européenne scrute de près les dérives nationalistes, l’événement pourrait attirer l’attention des observateurs internationaux. Comment Zagreb parviendra-t-elle à gérer cet équilibre délicat entre liberté d’expression et responsabilité historique ?
Une Croatie en Quête d’Identité
Le phénomène Thompson dépasse la simple question d’un concert. Il reflète les tensions d’une société en quête d’identité, partagée entre la fierté nationale et le poids de son histoire. Pour beaucoup de Croates, les chansons de Thompson sont un moyen de se reconnecter à leurs racines, surtout dans un pays marqué par les conflits des années 1990. Mais cette quête d’identité ne peut ignorer les cicatrices du passé.
La popularité de Thompson, malgré les controverses, montre que les Croates sont prêts à embrasser des figures qui incarnent leurs valeurs, même si elles sont ambiguës. Cela soulève une question essentielle : peut-on célébrer la patrie sans glorifier ses aspects les plus sombres ?
Conclusion : Un Concert, Mille Questions
Ce samedi, l’hippodrome de Zagreb vibrera au son des chansons de Thompson, dans une ambiance à la fois festive et tendue. Cet événement, par son ampleur et sa portée symbolique, dépasse le cadre d’un simple concert. Il met en lumière les contradictions d’une nation qui cherche à se définir, entre mémoire collective et aspirations modernes.
Alors que 450 000 personnes se réuniront pour chanter, danser et célébrer, une question persiste : comment la Croatie peut-elle honorer son passé tout en se tournant vers un avenir inclusif ? Le concert de Thompson, avec ses foules immenses et ses controverses, n’apporte pas de réponse claire, mais il invite à une réflexion profonde sur l’identité, la mémoire et la responsabilité.
