Imaginez un champ fertile, autrefois grenier du monde, aujourd’hui parsemé de mines mortelles. En Ukraine, depuis le début du conflit en février 2022, des agriculteurs comme Larissa et Viktor Syssenko risquent leur vie pour redonner vie à leurs terres. Armés de simples râteaux ou de technologies de pointe comme des drones, ils affrontent un défi titanesque : nettoyer un sol pollué par des millions d’explosifs. Cet article plonge dans leur combat, entre courage humain et innovations technologiques, pour sauver l’tchernoziom, ce sol noir d’une richesse inégalée.
Un Sol Meurtri par la Guerre
Avant février 2022, l’Ukraine était un pilier de l’agriculture mondiale. Ses terres, riches en tchernoziom, produisaient des millions de tonnes de céréales chaque année. Mais le conflit a transformé ces champs en champs de mines. Selon les estimations, environ 123 000 km² de terres agricoles – une superficie équivalente à la Grèce – sont potentiellement contaminés par des obus non explosés et des mines. Ce désastre a réduit la production céréalière de 84 millions de tonnes en 2021 à 56 millions en 2024, soit une chute d’un tiers, impactant les marchés mondiaux.
Les sols ukrainiens, autrefois symboles de fertilité, sont aujourd’hui parmi les plus pollués au monde. Experts et ONG estiment qu’entre 4 et 5 millions d’obus non explosés et 3 à 5 millions de mines dorment sous la terre. Ce niveau de contamination, sans précédent depuis la Seconde Guerre mondiale, rend le déminage aussi urgent que complexe.
Des Agriculteurs en Première Ligne
Dans les régions rurales, les agriculteurs n’attendent pas les équipes professionnelles. À Kamianka, Larissa Syssenko, 54 ans, raconte comment elle et son mari Viktor ont repris leur ferme après l’occupation russe. Sans eau ni électricité, ils ont commencé par nettoyer leur maison, puis leur champ. « J’arrachais les hautes herbes, doucement, pas à pas », confie Larissa. Leur courage est partagé par d’autres, comme Igor Kniazev, qui affirme que dans son village, « tout le monde démine par soi-même ».
« J’ai servi dans l’artillerie à l’époque soviétique, alors je m’y connais un peu », sourit Viktor Syssenko, pointant les caisses de munitions abandonnées par les forces russes.
Leur méthode ? Souvent rudimentaire. Certains, comme Igor, utilisent des détecteurs de métaux ou des tracteurs modifiés. D’autres, comme Mykola Pereverzev, contrôlent des tracteurs à distance pour limiter les risques. Pourtant, ces initiatives ne sont pas sans danger. Igor a survécu à une explosion de mine antichar, mais d’autres n’ont pas eu cette chance. Les mines PFM-1, surnommées lepestok (pétale) pour leur forme, sont particulièrement redoutables, se fondant dans les champs et explosant sous une pression de seulement cinq kilos.
Les Mines : Une Menace Invisible
Les mines antipersonnel, comme la PFM-1, sont interdites par la Convention d’Ottawa de 1997, que la Russie n’a jamais signée. Ces engins, de la taille d’un pétale, se camouflent dans les herbes et menacent particulièrement les enfants. À Kamianka, une équipe de la Fondation suisse de déminage (FDS) a découvert 54 de ces mines sur une seule parcelle. Leur détection est un travail lent et dangereux, souvent perturbé par la forte contamination métallique des sols, qui rend les détecteurs inefficaces.
Les mines antichars, posées à la hâte lors des premiers jours du conflit, posent un autre problème. Beaucoup de leurs emplacements ont été perdus, rendant leur localisation encore plus ardue. À cela s’ajoutent les obus non explosés, parfois issus de stocks soviétiques ou nord-coréens, dont jusqu’à un tiers n’explose pas à l’impact, restant enfouis comme des bombes à retardement.
Chiffres clés de la contamination en Ukraine :
- 123 000 km² de terres potentiellement contaminées
- 4 à 5 millions d’obus non explosés estimés
- 3 à 5 millions de mines disséminées
- Chute de la production céréalière : de 84 à 56 millions de tonnes
Innovations Technologiques : Les Drones à la Rescousse
Face à l’ampleur du défi, la technologie joue un rôle croissant. Les drones, déjà omniprésents sur le front, révolutionnent le déminage. Ils survolent des zones inaccessibles, cartographient les emplacements des mines et guident les excavateurs. L’ONG HALO Trust utilise 80 drones en Ukraine, analysant les images pour identifier les explosifs. Près de Kiev, des data-analystes comme Volodymr Sydorouk entraînent des algorithmes d’intelligence artificielle pour reconnaître les mines avec une précision atteignant 70 %.
« Dans cinq ou dix ans, des robots démineurs travailleront 23 heures par jour, sans risque pour la vie humaine », prédit Paul Heslop, expert de l’ONU.
Ces avancées technologiques contrastent avec les méthodes artisanales des agriculteurs. Les drones, combinés à l’intelligence artificielle, permettent de localiser les mines plus rapidement et en toute sécurité. Cependant, leur déploiement reste limité par les coûts et la nécessité de formations spécialisées. Malgré ces progrès, le déminage reste une tâche titanesque, entravée par la guerre en cours et l’accès limité à certaines zones.
Les Héros du Quotidien
Derrière les machines, il y a des hommes et des femmes. À Mykolaïv, Viktoria Chynkar, 36 ans, a troqué ses ciseaux de coiffeuse pour un sécateur et un détecteur de métaux. Employée par HALO Trust, elle gagne 1 000 euros par mois, un salaire attractif dans un pays en crise. « Avant, je coupais des cheveux, maintenant de l’herbe », plaisante-t-elle, malgré le poids de son gilet pare-balles.
Andrii Ilkiv, démineur professionnel, incarne lui aussi ce courage. Amputé d’une jambe après une explosion en 2022, il est retourné au travail quatre mois plus tard. « Rester dans un bureau, très peu pour moi », affirme-t-il. Ces démineurs, qu’ils soient amateurs ou professionnels, partagent un même objectif : rendre la terre à nouveau cultivable, malgré les risques.
Un Défi Économique et Humanitaire
Le déminage en Ukraine ne se limite pas à la sécurité. Il s’agit aussi de préserver l’économie agricole, pilier du pays. Sur les 42 millions d’hectares de terres agricoles, seuls 24 millions sont aujourd’hui exploitables. Cette perte menace non seulement les revenus des fermiers, mais aussi l’approvisionnement mondial en céréales. Le ministre de la Politique agraire, Vitalii Koval, souligne que la restauration des terres est essentielle pour éviter une dégradation irréversible du tchernoziom.
La communauté internationale a mobilisé un milliard de dollars pour soutenir ces efforts, impliquant plus de 80 organisations, dont des ONG comme HALO Trust et la Fondation suisse de déminage. Pourtant, des défis persistent : coordination inefficace, soupçons de corruption et l’immense échelle de la tâche. Le gouvernement ukrainien ambitionne de nettoyer 80 % du territoire d’ici 2033, un objectif ambitieux mais incertain.
Type de menace | Description | Danger |
---|---|---|
Mine PFM-1 | Mine antipersonnel en forme de pétale, explose sous 5 kg de pression. | Mortelle, surtout pour les enfants. |
Mine antichar | Posée à la hâte, souvent sans plan précis. | Détruit véhicules et équipements agricoles. |
Obus non explosés | Jusqu’à un tiers des obus n’explosent pas à l’impact. | Risque d’explosion imprévisible. |
Vers un Avenir Plus Sûr ?
Le déminage en Ukraine est un marathon, pas un sprint. Les progrès technologiques, comme les drones et l’intelligence artificielle, offrent un espoir tangible. Dans cinq à dix ans, des robots pourraient travailler sans relâche, réduisant les risques humains. Mais pour l’instant, le courage des agriculteurs et des démineurs reste le moteur principal de cette lutte.
À Kamianka, les Syssenko ont repris la culture du blé et du tournesol, malgré les maisons éventrées et les villages fantômes. À Korobtchyné, Mykola Pereverzev a nettoyé 200 hectares en deux mois, prouvant que la persévérance paie. Ces efforts individuels, combinés aux initiatives internationales, tracent la voie vers une Ukraine libérée de ses mines.
Pourtant, le chemin est encore long. Les zones proches du front et les territoires occupés restent inaccessibles. Les accidents continuent, et chaque explosion rappelle la menace invisible qui hante les champs. En attendant un avenir plus sûr, les Ukrainiens, qu’ils soient fermiers ou démineurs, continuent de travailler, râteau ou drone en main, pour redonner vie à leur terre.