Dans les étendues arides du Sahel, une question brûlante émerge : un groupe jihadiste peut-il se transformer en acteur politique légitime ? Le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM), affilié à Al-Qaïda, semble répondre par l’affirmative. Entre attaques armées et distribution de vivres, ce groupe, qualifié par l’ONU comme la menace la plus importante de la région, redéfinit son rôle. Mais comment passe-t-on du jihad armé à une ambition de gouvernance ? Cet article explore les stratégies politiques du GSIM, ses méthodes de contrôle des populations et ses aspirations à modeler l’avenir du Sahel.
Une Menace aux Multiples Visages
Le GSIM ne se contente plus de mener des attaques spectaculaires. Ses récentes actions montrent une volonté de s’imposer comme une alternative aux gouvernements sahéliens, souvent perçus comme défaillants. En combinant des opérations militaires avec une propagande ciblée, le groupe cherche à gagner le soutien des populations locales. Mais cette mutation est-elle sincère, ou s’agit-il d’une tactique pour asseoir un pouvoir par la peur ?
Une Propagande au Service des Marginalisés
Le GSIM a perfectionné l’art de la communication pour séduire les communautés marginalisées. En dénonçant les exactions des armées nationales et de leurs alliés, le groupe se positionne comme un défenseur des opprimés. Par exemple, il a publiquement condamné le massacre de plus de 130 civils peuls près de Solenzo, au Burkina Faso, en mars dernier. Dans une vidéo soigneusement orchestrée, des membres du GSIM ont distribué des vivres aux rescapés, un geste symbolique destiné à montrer leur compassion.
Le GSIM oriente sa propagande vers la défense des populations marginalisées, publiant des vidéos d’actes de violence pour légitimer son discours.
Rapport onusien, février 2025
Cette stratégie n’est pas anodine. En se présentant comme un protecteur, le GSIM cherche à délégitimer les États sahéliens, souvent absents ou incapables d’assurer la sécurité des populations rurales. Cette approche contraste avec leurs actions violentes, comme l’attaque de représailles contre un camp militaire à Diapaga, dans l’est du Burkina Faso, où plus de 30 soldats et supplétifs ont été tués.
Gouverner par des Accords Locaux
Contrairement à une organisation visant à conquérir des capitales, le GSIM se concentre sur le contrôle des zones rurales. Grâce à des accords locaux, le groupe impose son autorité dans des villages isolés. Ces accords, souvent négociés avec des notables locaux, permettent au GSIM d’instaurer la charia, d’interdire toute collaboration avec les armées nationales et de collecter une taxe islamique.
Un exemple frappant est la levée du blocus de la ville de Boni, au Mali, après près de deux ans. En mars 2025, un accord avec des leaders locaux a permis de rouvrir l’axe routier reliant Boni à Douentza et Gao. Ce compromis, validé par le gouvernement malien, montre comment le GSIM exploite l’absence de l’État pour s’imposer comme une autorité de substitution.
Les clés des accords locaux :
- Imposition de la loi islamique dans les villages.
- Interdiction de coopérer avec les armées nationales.
- Collecte d’une taxe pour financer les activités du GSIM.
- Levée des embargos en échange de soumission.
Ces arrangements ne sont pas toujours pacifiques. Dans certains cas, le GSIM impose des embargos ou des massacres pour forcer les communautés à céder. Comme l’explique un analyste, les populations locales, face à l’absence de l’État, acceptent souvent des compromis pour survivre
. Ce pragmatisme des communautés renforce l’influence du GSIM dans les zones où l’État est quasi inexistant.
GSIM vs État Islamique : Une Rivalité Stratégique
Si le GSIM adopte une approche mêlant coercition et séduction, son rival, l’État islamique au Sahel (EIS), privilégie une stratégie brutale. En juin 2025, l’EIS a massacré 71 civils à Manda, au Niger, et 44 autres à Fambita en mars. Cette violence indiscriminée vise à instaurer un contrôle par la terreur, une méthode qui contraste avec la stratégie plus nuancée du GSIM.
Groupe | Stratégie | Exemple |
---|---|---|
GSIM | Mélange de coercition et séduction (accords locaux, propagande) | Levée du blocus de Boni |
EIS | Contrôle par la terreur | Massacres à Manda et Fambita |
Cette rivalité reflète des divergences doctrinales profondes. Alors que l’EIS impose sa domination par la force brute, le GSIM cherche à construire une légitimité, même fragile, auprès des populations. Cette différence stratégique pourrait déterminer lequel des deux groupes dominera à long terme.
Une Inspiration Venue d’Ailleurs ?
Le GSIM semble s’inspirer de modèles extérieurs, notamment celui du Hayat Tahrir al-Sham (HTS) en Syrie. Ce dernier, après s’être détaché d’Al-Qaïda, a réussi à établir un contrôle politique sur certaines régions grâce à un soutien populaire et un appui extérieur, notamment de la Turquie. Le GSIM, toujours affilié à Al-Qaïda, pourrait envisager une trajectoire similaire, mais ses défis sont nombreux.
Le GSIM est certainement inspiré par le HTS en Syrie, mais il manque de soutiens extérieurs et dépend de ses propres ressources.
Liam Karr, analyste
Récemment, le GSIM s’est rapproché des rebelles touaregs du Front de libération de l’Azawad (FLA) au Mali. Cette alliance rappelle les stratégies du GSIM en 2012, lorsqu’il avait tenté de contrôler le nord du Mali. Cependant, son financement limité, sa dépendance aux armes saisies et sa composition majoritairement issue de groupes minoritaires comme les Peuls et les Touaregs freinent ses ambitions.
Un Modèle Taliban ou un Rêve Syriain ?
Pour certains experts, la stratégie du GSIM s’apparente davantage à celle des Talibans en Afghanistan, qui ont combiné combat armé et gouvernance locale pour reprendre le pouvoir. Cependant, l’hypothèse d’un modèle à la HTS reste séduisante. Pour y parvenir, le GSIM devrait se détacher d’Al-Qaïda, modifier ses méthodes d’attaque et investir dans une gouvernance plus structurée.
Un tel changement prendrait des années. Comme le souligne un spécialiste, le GSIM s’inspire des Talibans, mais le modèle HTS pourrait fonctionner à condition d’un virage stratégique majeur
. Pour l’heure, le groupe reste ancré dans une logique de contrôle local, loin de pouvoir rivaliser avec les États sahéliens sur le plan national.
Les obstacles à l’ambition du GSIM :
- Affiliation persistante à Al-Qaïda.
- Manque de soutiens extérieurs significatifs.
- Financement limité, dépendance aux taxes locales.
- Composition ethnique minoritaire (Peuls, Touaregs).
Un Futur Incertain pour le Sahel
Le GSIM est à la croisée des chemins. D’un côté, ses actions violentes rappellent son passé jihadiste ; de l’autre, ses efforts pour gagner la confiance des populations laissent entrevoir une ambition politique. Mais cette transformation est semée d’embûches. Les États sahéliens, bien que fragilisés, restent des acteurs centraux, et la rivalité avec l’EIS complique encore la donne.
Le Sahel, déjà marqué par l’instabilité, pourrait voir l’influence du GSIM croître si les gouvernements ne répondent pas aux besoins des populations rurales. En attendant, le groupe continue de tisser sa toile, entre violence et pragmatisme, dans l’espoir de redessiner l’avenir de la région. Mais jusqu’où ira cette ambition ?