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Pétanque à Addis-Abeba : Un Club Menacé par l’Urbanisation

Un club de pétanque légendaire au cœur d'Addis-Abeba lutte pour survivre face aux grues et à l'urbanisation galopante. Quel avenir pour ce lieu de lien social ?

Dans un coin animé d’Addis-Abeba, où le bruit des boules de pétanque résonne sous un toit de tôle, une communauté passionnée se réunit chaque jour. Ce lieu, niché près de la célèbre place Meskel, est bien plus qu’un simple terrain de jeu : c’est un refuge, un héritage, un espace où se tissent des liens. Mais au loin, les grues s’élèvent, symboles d’une ville en pleine mutation. Ce club, emblème d’une tradition importée par les Français au siècle dernier, est aujourd’hui menacé par une urbanisation effrénée. Que deviendra ce bastion de convivialité ?

Un Club au Cœur de l’Histoire Éthiopienne

Le club de pétanque d’Addis-Abeba, surnommé le Club des cheminots, n’est pas un simple lieu de loisir. Il porte en lui l’histoire d’une connexion franco-éthiopienne née à l’époque de l’empereur Menelik II. Entre 1897 et 1917, la France construit une ligne de chemin de fer reliant Djibouti à la capitale éthiopienne, un projet ambitieux qui a laissé des traces durables. Avec cette infrastructure est arrivée la pétanque, un jeu importé par les Français et adopté par les locaux, qui ont fait vivre cette tradition bien après la fermeture de la ligne en 2008.

Aujourd’hui, ce club réunit environ 150 membres, dont beaucoup sont d’anciens cheminots. Sous un toit en tôle, quatre pistes soigneusement entretenues accueillent des parties animées, où les boules s’entrechoquent et où les éclats de voix rythment l’ambiance. Le sable, importé de Dire Dawa, à 350 kilomètres de la capitale, témoigne du soin apporté à ce lieu unique.

« J’ai commencé à jouer lorsque les Français étaient en charge. Ils ont quitté l’Éthiopie, mais nous avons repris le flambeau et perpétué ce jeu. »

Assefaw Geremew, bouliste et ancien cheminot

Une Communauté Vivante et Engagée

Chaque jour, des dizaines de joueurs, principalement des retraités, se retrouvent sur les terrains. L’ambiance est à la fois compétitive et chaleureuse. Les accusations de tricherie fusent, suivies de rires et de cris de gobez, l’équivalent amharique de « bien joué ». Autour des pistes, des tables en plastique accueillent des parties de dominos, des discussions animées et des moments de détente autour d’une bière. La musique locale, diffusée par des enceintes, ajoute une touche festive à ce tableau vivant.

Pour beaucoup, le club est bien plus qu’un loisir. Il représente un espace de sociabilité, un lieu où les générations se croisent. Assefaw Geremew, un bouliste de 68 ans, incarne cet attachement. Cet ancien cheminot, casquette vissée sur la tête, sort chaque jour ses boules d’un casier usé par le temps, un rituel qui le relie à des décennies de souvenirs. Pour lui, la pétanque est une manière de rester actif et connecté.

Le club, c’est aussi une question d’accessibilité. Avec une cotisation mensuelle de seulement 6 birrs (environ 0,04 euro) pour les retraités, il est ouvert à tous, favor personallyé un sentiment d’inclusion.

La Menace de l’Urbanisation

Autour du club, le paysage d’Addis-Abeba change à une vitesse fulgurante. Les grues dominent l’horizon, et les immeubles modernes remplacent peu à peu les bâtiments historiques. Ce développement, porté par le Premier ministre Abiy Ahmed depuis 2018, vise à moderniser la capitale de ce pays de 130 millions d’habitants. Mais cette transformation a un coût. Le Buffet de la gare, un hôtel-restaurant emblématique construit en 1924, a été démoli en 2019 pour laisser place à un immeuble résidentiel. Beaucoup craignent que le club de pétanque subisse le même sort.

Daniel Bewektu, un habitué de 38 ans, exprime son inquiétude : « On nous a annoncé que la zone serait démolie et que tout le quartier serait relocalisé. » Pour lui, la disparition du club serait synonyme de la fin de la pétanque à Addis-Abeba. Sans alternative viable, ce lieu de rencontre risque de n’être plus qu’un souvenir.

« Si on enlève ce lieu, la pétanque va disparaître. »

Daniel Bewektu, bouliste régulier

Un Héritage Culturel à Préserver

Le club de pétanque n’est pas seulement un espace de jeu, c’est aussi un symbole de l’influence française en Éthiopie. La ligne de chemin de fer, gérée par la Compagnie du chemin de fer franco-éthiopien jusqu’en 1977, a introduit non seulement la pétanque, mais aussi des éléments de la langue et de la culture françaises. Ce mélange unique d’influences continue de vivre à travers les membres du club, qui perpétuent cette tradition avec fierté.

Pour Alemneh Abebe, président de l’association de pétanque depuis sept ans, l’enjeu est clair. Il appelle les autorités à trouver une solution : un nouvel espace pour accueillir les boulistes. Mais les espoirs sont minces. La modernisation de la ville, avec ses routes élargies et ses nouveaux immeubles, semble reléguer ce type de lieu au second plan.

Éléments Clés Détails
Fondation Début du 20e siècle, par des Français
Membres Environ 150, principalement des retraités
Cotisation 6 birrs/mois pour les retraités (0,04 euro)
Menace Démolition pour urbanisation

Un Lieu de Lien Social

Pour les retraités comme Assefaw, le club est une bouffée d’oxygène. « Ici, on peut rester aussi longtemps qu’on veut. On joue, on discute, on rencontre de nouvelles personnes », explique-t-il. Ce lieu, accessible à tous grâce à sa cotisation dérisoire, permet de maintenir une communauté soudée. Les retraités, souvent isolés dans une ville en constante évolution, y trouvent un espace pour se retrouver.

La pétanque, avec ses règles simples mais son potentiel stratégique, favorise les échanges. Les disputes sur un point contesté ou les félicitations pour un lancer réussi rythment les journées. Ce sont ces moments qui font du club un lieu irremplaçable.

Quel Avenir pour le Club ?

Face à l’incertitude, les membres du club oscillent entre espoir et résignation. Alemneh, le président, plaide pour un nouvel espace, mais les priorités du gouvernement semblent ailleurs. La modernisation d’Addis-Abeba, avec ses immeubles flambant neufs et ses infrastructures modernes, laisse peu de place aux lieux comme le Club des cheminots.

Pourtant, la perte de ce club serait plus qu’une simple fermeture. Ce serait la disparition d’un pan de l’histoire éthiopienne, d’un lien avec le passé colonial et d’un espace de vie pour une communauté. Les boulistes, eux, continuent de jouer, comme pour défier le temps et les grues qui s’approchent.

En résumé, le club de pétanque d’Addis-Abeba est un symbole de résilience culturelle, mais son avenir reste incertain face à l’urbanisation galopante. Ses membres espèrent encore un sursis.

Ce lieu, où les boules s’entrechoquent et les rires fusent, incarne une Éthiopie en transition, tiraillée entre tradition et modernité. Alors que les grues redessinent la ville, la question demeure : la pétanque survivra-t-elle à cette vague de changement ?

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