Dans les rues d’Erevan, la capitale arménienne, l’atmosphère est tendue. Un archevêque, figure de proue de l’opposition, se retrouve derrière les barreaux, accusé d’un crime aussi grave que spectaculaire : une tentative de coup d’État. Cette affaire, qui secoue le pays, mêle politique, religion et rivalités historiques, dans un contexte où l’Arménie peine à trouver un équilibre après des années de conflits et de bouleversements. Que se passe-t-il réellement dans ce petit État du Caucase, où les passions s’enflamment aussi vite que les accusations ?
Une arrestation qui fait des vagues
Jeudi, un tribunal d’Erevan a décidé de placer en détention provisoire, pour deux mois, une figure emblématique de l’opposition arménienne. Cet homme, un archevêque de l’Église apostolique arménienne, est accusé par les autorités d’avoir orchestré un plan visant à renverser le gouvernement en place. Cette arrestation, survenue dans le cadre d’un vaste coup de filet impliquant 15 suspects, a immédiatement suscité des réactions passionnées, tant parmi les partisans de l’opposant que chez ses détracteurs.
Le mouvement qu’il dirige, baptisé Srbazan Paykar (Lutte Sacrée), est au cœur de cette tempête politique. Ce groupe, qui combine ferveur religieuse et revendications nationalistes, s’oppose farouchement au Premier ministre Nikol Pachinian. Les accusations portées contre l’archevêque incluent la préparation d’actes terroristes et la tentative de prise de pouvoir par des moyens illégaux, selon le Comité d’enquête arménien.
« Les autorités cherchent à museler l’opposition par des accusations infondées », a dénoncé un avocat de la défense devant la presse.
Qui est cet archevêque controversé ?
À 54 ans, l’archevêque Bagrat Galstanian est une figure respectée et controversée. Membre influent de l’Église apostolique arménienne, il incarne un mélange unique de spiritualité et d’engagement politique. En 2024, il s’est imposé comme le leader d’un mouvement de contestation contre Nikol Pachinian, reprochant à ce dernier d’avoir cédé des territoires à l’Azerbaïdjan, ennemi historique de l’Arménie. Ces manifestations, qui ont rassemblé des milliers de personnes, ont ravivé les tensions dans un pays marqué par des décennies de conflits.
L’Église apostolique arménienne, forte de son statut constitutionnel spécial, joue un rôle central dans la société. Première nation à avoir adopté le christianisme comme religion d’État au IVe siècle, l’Arménie accorde à cette institution une influence considérable, tant sur le plan spirituel que politique. Bagrat Galstanian, en s’appuyant sur ce prestige, a su mobiliser une partie de la population, notamment les nationalistes et les déçus du gouvernement actuel.
Le saviez-vous ? L’Église apostolique arménienne est un pilier de l’identité nationale, influençant les débats politiques et sociaux depuis des siècles.
Les accusations : un complot d’envergure ?
Les autorités arméniennes n’ont pas mâché leurs mots. Selon elles, l’archevêque et ses partisans auraient acquis des moyens pour mener des actes terroristes dans le but de déstabiliser le pays et de s’emparer du pouvoir. Le Premier ministre Nikol Pachinian a lui-même qualifié ce plan de « sinistre » sur les réseaux sociaux, pointant du doigt un « clergé criminel oligarchique ». Ces déclarations choc ont divisé l’opinion publique, certains y voyant une tentative d’intimidation contre l’opposition, d’autres une réponse légitime à une menace réelle.
Pour les avocats de Bagrat Galstanian, ces accusations relèvent de la persécution politique. Ils dénoncent un gouvernement qui chercherait à museler toute voix dissidente, dans un contexte où la popularité de Pachinian est en chute libre. La semaine précédant l’arrestation, d’autres opposants, notamment issus du parti nationaliste Dashnaktsutyun, avaient déjà été arrêtés, alimentant les soupçons de répression ciblée.
Un contexte politique explosif
L’Arménie traverse une période de turbulences depuis plusieurs années. Le conflit avec l’Azerbaïdjan autour du Karabakh, une région historiquement disputée, a laissé des cicatrices profondes. Après la victoire éclair de Bakou en septembre 2023, qui a permis à l’Azerbaïdjan de reprendre le contrôle total de cette enclave, des dizaines de milliers d’Arméniens ont fui la région. Ce revers militaire a été perçu comme une humiliation nationale, et Nikol Pachinian, au pouvoir depuis 2018, en a payé le prix en termes de popularité.
Arrivé à la tête du gouvernement à la faveur d’un mouvement populaire, Pachinian, ancien journaliste et figure de l’opposition, avait incarné l’espoir d’un renouveau démocratique. Mais ses décisions, notamment la cession de territoires à l’Azerbaïdjan dans le cadre d’accords de paix, ont suscité la colère d’une partie de la population. Bagrat Galstanian a su capitaliser sur ce mécontentement, appelant à la démission du Premier ministre lors de manifestations massives.
« Les Arméniens ont le sentiment d’avoir perdu plus qu’un territoire : c’est leur fierté nationale qui est en jeu », explique un observateur local.
Le rôle de l’Église dans la crise
Dans un pays où la religion et l’identité nationale sont étroitement liées, l’implication de l’Église apostolique arménienne dans cette affaire n’est pas anodine. En soutenant des figures comme Bagrat Galstanian, l’Église se positionne comme un acteur politique de poids, capable de mobiliser les foules. Cette influence, bien que profondément ancrée dans l’histoire arménienne, suscite des débats : jusqu’où une institution religieuse doit-elle s’impliquer dans les affaires de l’État ?
Pour certains, l’archevêque incarne une résistance face à un gouvernement perçu comme affaibli. Pour d’autres, son mouvement, teinté de nationalisme, risque d’aggraver les divisions dans un pays déjà fragilisé par des années de conflits et de crises économiques.
Événement | Date | Impact |
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Arrestation de Bagrat Galstanian | Juin 2025 | Tensions accrues entre gouvernement et opposition |
Reprise du Karabakh par l’Azerbaïdjan | Septembre 2023 | Fuite massive des Arméniens, crise politique |
Arrivée au pouvoir de Pachinian | 2018 | Espoir de réformes, mais mécontentement croissant |
Les enjeux pour l’avenir
Cette crise met en lumière les fractures profondes qui traversent l’Arménie. D’un côté, un gouvernement qui cherche à consolider son pouvoir face à des accusations de répression. De l’autre, une opposition galvanisée par des figures charismatiques comme Bagrat Galstanian, qui s’appuie sur l’héritage religieux et nationaliste pour mobiliser. Entre ces deux camps, la société arménienne se trouve à un carrefour, tiraillée entre le désir de stabilité et l’aspiration à un renouveau.
Les prochaines semaines seront cruciales. Les décisions du tribunal, les réactions des manifestants et les prises de position internationales pourraient redessiner le paysage politique arménien. Une chose est sûre : dans ce pays où l’histoire, la religion et la politique s’entremêlent, chaque événement a des répercussions profondes.
En résumé : Une arrestation choc, des accusations de coup d’État et une société divisée. L’Arménie est à un tournant de son histoire.
Alors que l’Arménie fait face à cette nouvelle crise, les regards se tournent vers Erevan. L’archevêque Bagrat Galstanian, derrière les barreaux, reste une figure centrale de cette bataille pour le pouvoir. Mais au-delà de son sort, c’est l’avenir d’un pays tout entier qui se joue. Quels seront les prochains rebondissements dans cette saga politique ?