Dans les vastes étendues arides du Sahel, une révolution silencieuse mais puissante redessine l’avenir des ressources naturelles. Les juntes militaires, désormais au pouvoir dans des pays comme le Mali, le Niger et le Burkina Faso, imposent des mesures radicales aux industries minières étrangères, souvent perçues comme des symboles d’une domination occidentale. Ces régimes, portés par un discours de souveraineté, cherchent à reprendre le contrôle de l’or, de l’uranium et d’autres richesses, longtemps exploitées à des conditions jugées inéquitables. Mais quelles sont les implications de ces bouleversements pour les populations locales, les investisseurs internationaux et la géopolitique régionale ?
Une Vague de Nationalisations au Sahel
Depuis 2020, les coups d’État successifs au Mali, au Niger et au Burkina Faso ont marqué un tournant dans la gestion des ressources minières. Les juntes, déterminées à rompre avec ce qu’elles qualifient d’exploitation coloniale, ont multiplié les initiatives pour reprendre la main sur leurs sous-sols riches en minerais. Cette volonté se traduit par des actions spectaculaires, comme la nationalisation de grandes entreprises minières ou la révision des cadres légaux, au grand dam des géants occidentaux.
Le Niger et la Bataille de l’Uranium
Le Niger, qui représente 4,7 % de la production mondiale d’uranium, est au cœur de cette lutte. La nationalisation de la Somaïr, une filiale d’un grand groupe français, illustre cette nouvelle dynamique. Après des mois de tensions, marquées par une perte progressive de contrôle opérationnel par l’entreprise, l’État nigérien a décidé de s’approprier cette ressource stratégique. Cette décision s’inscrit dans un contexte de rupture avec les anciennes puissances coloniales, notamment la France, et reflète une volonté de tirer profit d’un secteur clé pour l’économie nationale.
« Les juntes cherchent à rétablir leur souveraineté sur des ressources qu’elles estiment bradées, pour faire profiter les populations locales de ces richesses. »
Jérémie Taïeb, expert en conseil sur l’Afrique
Ce bras de fer n’est pas isolé. Il s’accompagne d’une montée en puissance des revendications populaires, qui soutiennent ces mesures perçues comme un acte de justice face à des décennies d’exploitation étrangère.
Le Mali : l’Or au Cœur du Conflit
Au Mali, l’or représente environ un quart du budget national. L’introduction d’un nouveau code minier en 2023 a bouleversé les relations avec les entreprises étrangères, notamment les géants canadiens. Une grande compagnie aurifère s’est vue réclamer des centaines de millions de dollars d’arriérés fiscaux, tandis que la mine de Loulo-Gounkoto, la plus importante du pays, est désormais sous la coupe d’un administrateur malien. Cette situation illustre la fermeté des autorités, qui n’hésitent pas à utiliser des mesures coercitives pour imposer leurs conditions.
Dans un autre cas, des employés d’une société australienne ont été arrêtés, avant d’être libérés après un accord financier de 160 millions de dollars. Ces actions montrent une stratégie claire : utiliser la pression pour renégocier les termes des contrats miniers et maximiser les revenus de l’État.
Burkina Faso : Réquisition pour « Nécessité Publique »
Le Burkina Faso, où l’or constitue 14 % des recettes nationales, suit une trajectoire similaire. En 2023, les autorités ont réquisitionné 200 kg d’or produit par une filiale d’un groupe canadien, invoquant une « nécessité publique ». Ce geste, spectaculaire, s’inscrit dans une logique de souveraineté économique, renforcée par l’adoption d’un nouveau code minier en 2024. Ces mesures visent à rééquilibrer les bénéfices tirés des ressources au profit de l’État et des populations.
Les juntes sahéliennes ne se contentent pas de réviser les contrats : elles envoient un message clair aux investisseurs étrangers, tout en consolidant leur légitimité auprès des populations.
Un Discours de Souveraineté Populaire
Les régimes militaires s’appuient sur un discours populiste, accusant les gouvernements précédents d’avoir « bradé » les ressources nationales. Ce narratif trouve un écho favorable auprès des populations, qui y voient une forme d’émancipation face aux influences étrangères. Selon un analyste, ce rejet des anciennes puissances permet aux juntes de « satisfaire l’opinion publique tout en consolidant leur pouvoir ».
Les trois pays, réunis au sein de l’Alliance des États du Sahel (AES), partagent une vision commune : rompre avec les institutions régionales comme la Cedeao et s’affranchir des partenariats jugés déséquilibrés avec l’Occident. Cette dynamique sovereigniste s’accompagne d’un contexte sécuritaire tendu, marqué par des violences jihadistes qui accentuent la pression sur les budgets nationaux.
Les Défis des Investisseurs Étrangers
Face à ces mesures, les entreprises minières se retrouvent dans une position délicate. Certaines, comme un grand groupe canadien, ont entamé des procédures d’arbitrage international auprès d’organisations comme le CIRDI. D’autres dénoncent une « politique systématique de spoliation », accusant les juntes de violer les accords existants. Cependant, les investissements miniers, par leur nature lourde et à long terme, obligent souvent ces compagnies à négocier avec les autorités, malgré l’instabilité juridique.
Pour certains experts, cette situation pourrait détourner les investisseurs vers des pays offrant un cadre plus stable. Pourtant, la richesse des gisements sahéliens reste un attrait puissant, incitant les entreprises à s’adapter, même dans un climat hostile.
Nouveaux Acteurs : la Russie et la Chine
Le vide laissé par les partenaires occidentaux est rapidement comblé par de nouveaux acteurs. La Russie, notamment via son groupe paramilitaire Africa Corps, renforce sa présence au Mali en échange de minerais. De son côté, la Chine investit dans des infrastructures, consolidant ainsi son influence. Un exemple récent : le lancement d’une raffinerie d’or à Bamako, fruit d’un partenariat entre le Mali et la Russie.
« Pour les Russes, c’est minerais contre armement. Pour les Chinois, c’est minerais contre infrastructures. »
Jérémie Taïeb, analyste
Ces alliances redessinent la géopolitique régionale, avec des partenaires comme la Turquie, la Chine et la Russie qui gagnent du terrain face à un Occident en recul.
Les Enjeux Économiques et Sécuritaires
Les juntes justifient leurs actions par la nécessité de financer la lutte contre le terrorisme et de répondre aux attentes des populations. Les sanctions économiques imposées par la Cedeao, combinées aux besoins budgétaires croissants, poussent ces régimes à maximiser les revenus tirés des mines. Cependant, cette stratégie comporte des risques : l’instabilité juridique pourrait décourager les investisseurs à long terme, tandis que les tensions avec les partenaires traditionnels compliquent l’accès aux marchés internationaux.
Pays | Ressource Principale | Mesure Récente |
---|---|---|
Niger | Uranium | Nationalisation de la Somaïr |
Mali | Or | Nouveau code minier, réclamation d’arriérés fiscaux |
Burkina Faso | Or | Réquisition de 200 kg d’or |
Un Avenir Incertain
L’avenir des industries minières au Sahel reste flou. Si les juntes parviennent à mobiliser des ressources pour financer leurs priorités, elles risquent également d’isoler leurs pays sur la scène internationale. Les nouveaux partenariats avec la Russie et la Chine offrent des opportunités, mais ils s’accompagnent de dépendances potentiellement coûteuses. Pour les populations, l’espoir d’une meilleure redistribution des richesses minières reste vif, mais les défis sécuritaires et économiques pourraient freiner ces ambitions.
En somme, les juntes sahéliennes redéfinissent les règles du jeu minier, avec des conséquences qui pourraient transformer la région. Entre souveraineté retrouvée et incertitudes économiques, le Sahel se trouve à un carrefour décisif.