Le Niger, riche en uranium, est-il en train de redéfinir les règles du jeu géopolitique en Afrique ? Depuis l’annonce de la nationalisation de la Somaïr, une filiale majeure du géant français Orano, les tensions entre Niamey et Paris s’intensifient. Ce bras de fer, loin d’être un simple différend économique, révèle des enjeux complexes mêlant ressources stratégiques, souveraineté nationale et rivalités internationales. Alors que le régime militaire nigérien accuse la France de comportements hostiles, quelles sont les implications de cette décision pour l’avenir de l’uranium et des relations diplomatiques ?
Un Conflit aux Racines Profondes
Le différend entre le Niger et Orano ne date pas d’aujourd’hui. Depuis le coup d’État de 2023, qui a porté la junte militaire au pouvoir à Niamey, les relations avec la France, ancienne puissance coloniale, se sont détériorées. La décision de nationaliser la Somaïr, annoncée en juin 2025 par la télévision nationale nigérienne, marque un tournant. Cette entreprise, spécialisée dans l’exploitation de l’uranium, est au cœur d’un partenariat historique entre le Niger et la France, où Orano détient plus de 60 % des parts. Mais pour le régime nigérien, cette nationalisation est une affirmation de souveraineté face à un acteur étranger jugé « irresponsable » et « déloyal ».
Orano, de son côté, dénonce une expropriation qu’il juge contraire aux accords établis. Dans un communiqué, le groupe français a exprimé son indignation face à ce qu’il qualifie de « spoliation systématique » de ses actifs miniers. Cette bataille juridique et diplomatique s’inscrit dans un contexte où le Niger cherche à diversifier ses partenaires, se tournant notamment vers la Russie et l’Iran, au grand dam de Paris.
L’Uranium, un Enjeu Stratégique Mondial
L’uranium est bien plus qu’une ressource minière : c’est un levier stratégique dans l’économie mondiale. Le Niger, avec des réserves estimées à 200 000 tonnes pour le seul gisement d’Imouraren, est l’un des plus grands producteurs mondiaux. Ce métal, essentiel pour l’énergie nucléaire, alimente les réacteurs de nombreux pays, dont la France, qui dépend fortement de l’uranium nigérien pour sa production énergétique. La nationalisation de la Somaïr pourrait donc bouleverser les chaînes d’approvisionnement mondiales.
« Face au comportement irresponsable, illégal et déloyal d’Orano, l’Etat du Niger décide en toute souveraineté de nationaliser la Somaïr. »
Communiqué officiel du gouvernement nigérien, juin 2025
Cette annonce, relayée par les médias nationaux, reflète la volonté du Niger de reprendre le contrôle de ses ressources. Mais elle soulève aussi des questions : le pays dispose-t-il des capacités techniques et financières pour gérer seul une industrie aussi complexe ? La fermeture de la mine de Cominak en 2021, autre site géré par Orano, avait déjà montré les défis logistiques et économiques auxquels le Niger doit faire face.
Une Crise aux Répercussions Locales
Si le conflit se joue à un niveau géopolitique, ses conséquences touchent directement les populations locales. Les filiales d’Orano au Niger emploient des milliers de personnes, et la nationalisation pourrait menacer des emplois. Orano a exprimé son « profond regret » face à l’impact sur ses salariés et les communautés avoisinantes, qui dépendent économiquement des activités minières.
Quelques chiffres clés sur l’uranium au Niger :
- Réserves d’Imouraren : 200 000 tonnes, l’un des plus grands gisements mondiaux.
- Production annuelle : Environ 2 000 tonnes d’uranium par an pour la Somaïr.
- Part d’Orano : Plus de 60 % dans les filiales nigériennes.
Ces chiffres rappellent l’importance stratégique de l’uranium pour le Niger, mais aussi les défis posés par la transition vers une gestion nationale. Les infrastructures minières nécessitent des investissements massifs, et l’expertise technique d’Orano pourrait manquer au Niger dans un avenir proche.
Un Bras de Fer Juridique et Diplomatique
Face à la perte progressive de contrôle de ses actifs, Orano ne reste pas les bras croisés. Le groupe a engagé plusieurs procédures d’arbitrage international pour défendre ses droits. Depuis décembre 2024, il conteste notamment la perte d’exploitation du gisement d’Imouraren, dont le permis lui a été retiré en juin 2024. Orano réclame une compensation pour le préjudice subi et souhaite faire valoir ses droits sur les stocks d’uranium produits par la Somaïr.
Ce recours à l’arbitrage illustre la complexité des relations économiques internationales. Les accords signés entre Orano et l’État nigérien, qui garantissaient une certaine stabilité, sont aujourd’hui remis en cause. Mais au-delà du cadre juridique, c’est la détérioration des relations entre la France et le Niger qui alimente ce conflit.
Un Contexte Géopolitique Explosif
La nationalisation de la Somaïr s’inscrit dans un contexte de tensions croissantes entre Niamey et Paris. Le régime militaire nigérien accuse régulièrement la France de chercher à déstabiliser le pays, allant jusqu’à évoquer un soutien aux groupes terroristes, sans toutefois fournir de preuves concrètes. Ces accusations s’accompagnent d’un rapprochement avec des puissances comme la Russie et l’Iran, perçues comme des alternatives à l’influence occidentale.
Ce repositionnement géopolitique n’est pas sans risques. Si la Russie et l’China ont montré un intérêt croissant pour les ressources africaines, leur implication dans l’exploitation de l’uranium nigérien reste incertaine. Le Niger, en quête d’autonomie, pourrait se retrouver dans une nouvelle forme de dépendance vis-à-vis de ces nouveaux partenaires.
Quelles Perspectives pour l’Avenir ?
La nationalisation de la Somaïr soulève des questions cruciales pour l’avenir du Niger et de ses relations avec la France. Parmi les enjeux majeurs :
- Stabilité économique : Le Niger pourra-t-il maintenir la production d’uranium sans l’expertise d’Orano ?
- Impact social : Quelles conséquences pour les emplois et les communautés locales ?
- Géopolitique : Le rapprochement avec la Russie et l’Iran redessinera-t-il les alliances africaines ?
- Compensation : Orano obtiendra-t-il gain de cause dans ses démarches d’arbitrage ?
Pour l’heure, le Niger semble déterminé à affirmer sa souveraineté sur ses ressources. Mais cette décision pourrait avoir des répercussions à long terme, tant sur le plan économique que diplomatique. La France, de son côté, devra peut-être repenser sa stratégie en Afrique, où son influence est de plus en plus contestée.
En conclusion, la nationalisation de la Somaïr est bien plus qu’une simple affaire économique. Elle incarne les luttes pour le contrôle des ressources, les tensions postcoloniales et les ambitions d’un continent en quête d’autonomie. Alors que le Niger trace sa propre voie, le monde observe avec attention : ce conflit pourrait redéfinir les équilibres géopolitiques en Afrique. Et si c’était le début d’une nouvelle ère pour l’uranium mondial ?