En juillet 2023, un coup d’État au Niger a secoué la région du Sahel, faisant vaciller l’un des derniers bastions de stabilité en Afrique de l’Ouest. Deux ans plus tard, en juin 2025, la nationalisation de la Somaïr, une filiale du géant français de l’uranium, a ravivé les tensions entre Niamey et Paris. Ce bouleversement, loin d’être un simple conflit local, soulève des questions brûlantes : comment un pays riche en ressources comme l’uranium peut-il redéfinir ses alliances géopolitiques ? Quels sont les impacts pour la lutte contre le jihadisme, la gestion de l’immigration et les intérêts économiques occidentaux ? Cet article plonge au cœur de cette crise complexe, entre enjeux sécuritaires, économiques et diplomatiques.
Un Coup d’État aux Répercussions Mondiales
Le 26 juillet 2023, des militaires nigériens, menés par le général Abdourahamane Tiani, ont renversé le président démocratiquement élu, Mohamed Bazoum. Ce putsch, motivé par une dégradation de la situation sécuritaire, a marqué un tournant pour le Niger, jusque-là considéré comme un allié clé des Occidentaux dans une région minée par l’instabilité. En quelques heures, les frontières se sont fermées, les institutions suspendues, et un vent de défiance anti-française a balayé la capitale, Niamey.
Pourquoi ce coup d’État a-t-il tant inquiété les chancelleries européennes ? Le Niger, bien que pauvre, occupe une place stratégique dans le Sahel. Il est un carrefour pour les migrations, un acteur clé dans la lutte contre les groupes jihadistes et un fournisseur d’uranium vital pour l’industrie nucléaire. La prise de pouvoir par une junte militaire a non seulement fragilisé ces équilibres, mais elle a aussi ouvert la voie à de nouveaux acteurs, notamment la Russie.
La Nationalisation de l’Uranium : Un Symbole de Souveraineté
En juin 2025, le Niger a franchi un pas décisif en nationalisant la Somaïr, une société exploitant l’uranium, jusque-là contrôlée à 63,4 % par une entreprise française. Cette décision, annoncée lors d’un conseil des ministres présidé par Tiani, a été justifiée par des accusations de pratiques « irresponsables » et « déloyales » de la part de l’entreprise française. Niamey a dénoncé une attitude hostile de Paris, marquant une rupture définitive dans les relations bilatérales.
« L’État du Niger décide en toute souveraineté de nationaliser la Somaïr, face à un comportement illégal et déloyal. »
Extrait du conseil des ministres, juin 2025
Cette nationalisation n’est pas qu’un acte économique. Elle symbolise une volonté d’émancipation vis-à-vis des anciennes puissances coloniales. Depuis plus de 50 ans, l’exploitation de l’uranium nigérien a été dominée par des intérêts étrangers, laissant peu de bénéfices aux populations locales. En reprenant le contrôle de cette ressource stratégique, le Niger cherche à affirmer sa souveraineté économique et à redessiner ses partenariats internationaux.
Le Niger, Pivot de la Lutte Antiterroriste
Le Sahel est depuis des années un épicentre du jihadisme, avec des groupes affiliés à l’État islamique et à Al-Qaïda multipliant les attaques. Le Niger, jusqu’au coup d’État, était un allié stratégique pour la France dans cette lutte. Après la fin de l’opération Barkhane en 2022, Paris avait repositionné 1 500 militaires à Niamey, dans une base près de l’aéroport, et dans des zones frontalières avec le Mali et le Burkina Faso. Ces forces soutenaient les opérations nigériennes, notamment dans la région de Tillabéri, régulièrement ciblée par des attentats.
Le renversement de Bazoum a mis en péril ce dispositif. La junte, portée par un discours nationaliste, a dénoncé les accords militaires avec la France, exigeant le départ des troupes étrangères. Ce retrait a créé un vide sécuritaire, laissant craindre une progression des groupes jihadistes. Les pays voisins, comme le Mali et le Burkina Faso, déjà sous contrôle de juntes pro-russes, ont signé un pacte de défense mutuelle avec le Niger, renforçant l’isolement de la France dans la région.
Les conséquences sécuritaires en bref :
- Retrait des forces françaises, affaiblissant la lutte contre le jihadisme.
- Risques accrus d’attaques dans les zones frontalières.
- Renforcement des alliances régionales avec des juntes anti-occidentales.
L’Uranium : Une Ressource au Cœur des Tensions
L’uranium est au centre des préoccupations économiques et géopolitiques. Le Niger est le troisième producteur mondial de ce minerai, essentiel pour alimenter les centrales nucléaires. Pendant des décennies, la France a exploité les mines d’Arlit, dans le nord du pays, via une entreprise qui détenait une part majoritaire dans la Somaïr. Cette dépendance, bien que relativisée depuis la catastrophe de Fukushima en 2011, reste un enjeu stratégique pour l’industrie énergétique française.
La nationalisation de la Somaïr en 2025 a amplifié les tensions. En accusant l’entreprise française de pratiques déloyales, le Niger a non seulement coupé un accès clé à l’uranium, mais il a aussi envoyé un message clair : les ressources du pays doivent d’abord bénéficier à ses citoyens. Cette décision pourrait toutefois compliquer l’exploitation des mines, car le Niger manque encore des infrastructures et de l’expertise nécessaires pour gérer seul cette industrie.
Aspect | Avant 2023 | Après 2025 |
---|---|---|
Contrôle de l’uranium | Majorité française (63,4 %) | Nationalisé par le Niger |
Relations avec la France | Partenariat stratégique | Hostilité déclarée |
Sécurité régionale | Coopération militaire | Vide sécuritaire |
Immigration : Le Niger, Carrefour des Flux Migratoires
Le Niger est un point de transit majeur pour les migrants africains se dirigeant vers l’Europe. Depuis le sommet de La Valette en 2015, l’Union européenne a fait du pays un partenaire clé dans sa politique de contrôle migratoire. Des fonds européens ont été investis pour renforcer les contrôles aux frontières et gérer les demandes d’asile, faisant du Niger un rempart contre l’immigration irrégulière.
Le coup d’État a fragilisé cette coopération. La junte, hostile aux influences occidentales, pourrait revoir ces accords, laissant craindre une recrudescence des flux migratoires. Cette situation place l’Europe dans une position délicate : comment maintenir une politique migratoire efficace sans un partenaire fiable au Sahel ?
« Le Niger est un allié clé dans la lutte contre l’immigration irrégulière, mais ce rôle est menacé par l’instabilité politique. »
Extrait d’une étude de 2020
La Russie, Nouvelle Puissance dans le Sahel ?
Le vide laissé par la France a ouvert la porte à d’autres acteurs, notamment la Russie. Depuis le coup d’État, des drapeaux russes ont été brandis lors de manifestations à Niamey, et des rumeurs circulent sur des négociations entre la junte et des entreprises russes pour l’exploitation de l’uranium. Ce pivot vers Moscou s’inscrit dans une tendance régionale : le Mali et le Burkina Faso, dirigés par des juntes, ont déjà noué des liens avec la Russie, notamment via le groupe Wagner.
Ce rapprochement inquiète les Occidentaux. La Russie, en renforçant son influence au Sahel, pourrait non seulement accéder à des ressources stratégiques, mais aussi déstabiliser davantage la région en soutenant des régimes autoritaires. Cependant, certains analystes relativisent : la Russie, déjà engagée sur plusieurs fronts, pourrait manquer de ressources pour s’implanter durablement au Niger.
Pourquoi la Russie gagne du terrain :
- Discours anti-occidental séduisant pour les juntes.
- Proposition de partenariats économiques, notamment dans l’uranium.
- Propagande relayée par des acteurs comme Wagner.
Un Défi pour la Diplomatie Française
Le coup d’État et la nationalisation de la Somaïr ont mis en lumière les failles de la politique française au Sahel. Longtemps perçue comme une puissance dominante dans la région, la France peine à maintenir son influence face à la montée des sentiments anti-français. Les accusations de néocolonialisme, amplifiées par les juntes, ont trouvé un écho auprès des populations, notamment parmi les jeunes générations.
Paris doit désormais repenser sa stratégie. Une approche plus souple, axée sur le soutien aux pays voisins comme le Bénin ou le Nigeria, pourrait être une solution. Cependant, cela nécessitera une diplomatie habile pour éviter de nouvelles crises. La France devra également composer avec des partenaires européens pour maintenir une présence dans la région, tout en évitant de froisser les nouvelles autorités nigériennes.
Vers un Nouveau Sahel ?
Le Niger, à la croisée des chemins, pourrait redéfinir l’équilibre géopolitique du Sahel. La nationalisation de l’uranium et la rupture avec la France marquent un tournant, mais les défis restent immenses. Le pays doit relever le défi de la sécurité face aux groupes jihadistes, tout en développant une économie autonome. La question migratoire, quant à elle, reste un enjeu crucial pour l’Europe, qui devra trouver de nouveaux partenaires pour gérer les flux.
Ce bouleversement pose une question essentielle : le Niger parviendra-t-il à transformer cette crise en opportunité pour affirmer sa souveraineté ? Ou sombrera-t-il dans l’instabilité, au profit des groupes jihadistes et des puissances opportunistes ? L’avenir du Sahel, et peut-être de l’Afrique de l’Ouest, se joue à Niamey.
Enjeux à venir pour le Niger :
- Gestion autonome des ressources en uranium.
- Renforcement de la sécurité face au jihadisme.
- Négociation de nouveaux partenariats internationaux.
- Maintien de la stabilité politique interne.
En conclusion, le coup d’État de 2023 et la nationalisation de 2025 ont transformé le Niger en un acteur clé des bouleversements géopolitiques en Afrique. Entre la quête de souveraineté, les défis sécuritaires et les rivalités internationales, le pays se trouve à un tournant décisif. Reste à savoir si cette nouvelle voie mènera à une véritable indépendance ou à une instabilité accrue.