Quelles sont les répercussions lorsqu’un pays décide de reprendre le contrôle de ses richesses naturelles face à une puissance étrangère ? Au Niger, la nationalisation de la Somaïr, une filiale du géant français de l’uranium Orano, marque un tournant historique. Ce choix, annoncé par le régime militaire au pouvoir, illustre les tensions croissantes entre Niamey et Paris, dans un contexte où la souveraineté nationale devient un étendard. Plongeons dans cette crise géopolitique aux enjeux multiples, où l’uranium, symbole de puissance et de richesse, redessine les relations internationales.
Un Contexte de Rupture entre Niamey et Paris
Depuis le coup d’État de 2023, le Niger, dirigé par une junte militaire, affiche une volonté farouche d’affirmer son indépendance. Cette décision de nationaliser la Somaïr, une entreprise stratégique exploitant l’uranium dans le nord du pays, s’inscrit dans une logique de rupture avec les anciennes puissances coloniales. Le régime accuse régulièrement la France d’ingérence et de pratiques déloyales, des allégations qui, bien que dépourvues de preuves concrètes, alimentent un discours souverainiste porté par les nouvelles autorités.
Le bras de fer autour de l’uranium n’est pas qu’économique : il est aussi symbolique. L’uranium, ressource clé pour l’énergie nucléaire, représente une richesse stratégique pour le Niger, l’un des plus grands producteurs mondiaux. Pourtant, une grande partie des bénéfices de cette exploitation a longtemps profité à des acteurs étrangers, notamment français, suscitant des frustrations dans un pays confronté à des défis économiques et sécuritaires.
La Nationalisation de la Somaïr : Un Acte de Souveraineté
Le 19 juin 2025, la télévision nationale nigérienne a officialisé la nationalisation de la Somaïr, une entreprise jusqu’alors contrôlée majoritairement par Orano, dont l’État français détient plus de 90 % des parts. Cette décision transfère l’intégralité des actions et du patrimoine de la Somaïr à l’État nigérien, avec une promesse d’indemnisation pour les anciens actionnaires. Mais derrière cet acte, c’est une volonté claire de reprendre le contrôle des ressources nationales qui se dessine.
Face au comportement irresponsable, illégal et déloyal d’Orano, société détenue par l’État français, un État ouvertement hostile au Niger, l’État du Niger décide en toute souveraineté de nationaliser la Somaïr.
Télévision nationale nigérienne
Cette nationalisation s’inscrit dans un contexte où le Niger cherche à diversifier ses partenaires internationaux. Alors que les relations avec la France se détériorent, Niamey se tourne vers des pays comme la Russie ou l’Iran, perçus comme moins interventionnistes. Ce repositionnement géopolitique soulève des questions : le Niger pourra-t-il gérer seul l’exploitation de ses ressources ? Quels seront les impacts sur ses relations avec d’autres partenaires économiques ?
L’Uranium, un Enjeu Stratégique
L’uranium nigérien est au cœur des tensions. Avec des réserves estimées à 200 000 tonnes pour le seul gisement d’Imouraren, l’un des plus importants au monde, le pays détient une ressource convoitée. Pourtant, l’exploitation de cette richesse a souvent été perçue comme déséquilibrée, les profits revenant majoritairement à des entreprises étrangères. La Somaïr, active depuis 1971, était un symbole de cette dynamique, jusqu’à ce que Niamey décide de changer la donne.
Site | Statut | Réserves estimées |
---|---|---|
Somaïr | Nationalisée en 2025 | Actif, production en cours |
Cominak | Fermée depuis 2021 | Épuisée |
Imouraren | Permis retiré à Orano en 2024 | 200 000 tonnes |
La perte du permis d’exploitation d’Imouraren en juin 2024, suivie de la nationalisation de la Somaïr, marque un tournant. Environ 1 300 tonnes de concentré d’uranium, d’une valeur de 250 millions d’euros, restent bloquées sur le site de la Somaïr, faute d’accès au port de Cotonou, au Bénin, en raison de tensions diplomatiques. Cette situation illustre les défis logistiques et économiques auxquels le Niger est confronté.
Un Conflit aux Multiples Facettes
Le différend entre le Niger et Orano ne se limite pas à l’uranium. Il s’inscrit dans un contexte de tensions plus larges, incluant des accusations d’arrestations arbitraires et de saisies de matériel par les autorités nigériennes. En mai 2025, une perquisition dans les bureaux d’Orano a conduit à la saisie d’ordinateurs et de téléphones, tandis que le directeur local de l’entreprise est resté injoignable pendant un temps. Orano a répondu en lançant des procédures d’arbitrage international, dénonçant des pratiques illégales.
Sur le plan régional, le Niger fait face à d’autres défis. La frontière avec le Bénin reste fermée, accusée par Niamey de vouloir déstabiliser le pays. Parallèlement, le Niger lutte contre des attaques jihadistes, comme celle de Banibangou en juin 2025, qui a coûté la vie à 34 soldats. Ces violences complexifient la gestion des ressources et la mise en œuvre des réformes économiques.
Vers une Nouvelle Ère pour le Niger ?
La nationalisation de la Somaïr pourrait redéfinir l’avenir économique du Niger. En reprenant le contrôle de ses ressources, le pays cherche à maximiser les bénéfices pour sa population. Cependant, plusieurs questions demeurent :
- Capacité technique : Le Niger dispose-t-il des infrastructures et de l’expertise pour exploiter seul ses gisements ?
- Partenariats internationaux : Les nouveaux alliés, comme la Russie ou l’Iran, offriront-ils un modèle plus équitable ?
- Impact économique : La nationalisation relancera-t-elle l’économie ou accentuera-t-elle les tensions avec les partenaires étrangers ?
En parallèle, le Niger diversifie ses relations. L’expulsion de travailleurs chinois du secteur pétrolier, accusés de ne pas respecter les réglementations, montre une volonté de faire respecter les lois nationales. De même, le départ des forces françaises et américaines, notamment après la rétrocession de la base de drones américaine en mars 2024, reflète un changement stratégique majeur.
Un Symbole de Souveraineté dans un Monde Instable
La nationalisation de la Somaïr dépasse le simple cadre économique. Elle incarne une quête d’autonomie dans un pays marqué par des décennies d’influence étrangère. Alors que le Niger fait face à des défis sécuritaires, avec des attaques jihadistes récurrentes, et à des tensions diplomatiques, cette décision pourrait redéfinir son positionnement sur la scène internationale.
Pour autant, les obstacles sont nombreux. La dépendance aux infrastructures étrangères, comme le port de Cotonou, et les litiges juridiques avec Orano risquent de compliquer la transition. De plus, le Niger devra prouver qu’il peut transformer ses ressources en opportunités concrètes pour sa population, dans un contexte de pauvreté persistante.
Ce bras de fer avec la France, autour d’une ressource aussi stratégique que l’uranium, est bien plus qu’un conflit économique. Il s’agit d’un test pour le Niger, qui cherche à affirmer sa place dans un monde géopolitique en mutation. Reste à savoir si cette ambition souverainiste mènera à une véritable indépendance ou à de nouveaux défis.