Imaginez un royaume où les crises politiques éclatent aussi souvent que les orages tropicaux. En Thaïlande, une nouvelle tempête secoue le pouvoir : Paetongtarn Shinawatra, Première ministre depuis peu, se retrouve sur un siège éjectable. Une conversation téléphonique fuitée avec un ancien dirigeant cambodgien a mis le feu aux poudres, fragilisant sa coalition et ravivant les tensions avec l’armée. Ce drame, digne d’une série politique, soulève une question : la Thaïlande peut-elle échapper à son cycle d’instabilité chronique ?
Une Crise Déclenchée par un Appel
Tout a commencé par un échange téléphonique. Paetongtarn Shinawatra, 38 ans, a appelé Hun Sen, ancien Premier ministre du Cambodge, qu’elle a surnommé « oncle ». Ce terme, courant en Asie pour marquer le respect, a été perçu comme trop familier par ses détracteurs. Pire, elle a qualifié un général thaïlandais d’« opposant » lors de cette conversation, visant à apaiser les tensions à la frontière cambodgeo-thaïlandaise. Lorsque Hun Sen a publié l’enregistrement, le scandale a éclaté.
La fuite a provoqué une onde de choc. Les conservateurs du parti Bhumjaithai, alliés clés de la coalition dirigée par le Pheu Thai, ont immédiatement quitté le gouvernement. Cette défection a plongé le royaume dans une nouvelle période d’incertitude, un scénario familier pour un pays habitué aux soubresauts politiques.
« Je suis très déçue par le dirigeant cambodgien pour avoir mis en ligne l’enregistrement. Je ne pense pas qu’aucun autre dirigeant dans le monde aurait agi de cette manière. »
Paetongtarn Shinawatra
Des Excuses pour Sauver la Mise
Consciente du danger, Paetongtarn a tenté de désamorcer la crise. Jeudi, elle s’est adressée à des responsables militaires, vêtue d’un haut jaune, couleur symbolique de la monarchie thaïlandaise. Debout devant eux, elle a présenté ses excuses, plaidant pour l’unité entre le gouvernement et l’armée.
« Nous devons rester unis et éviter le conflit entre nous », a-t-elle déclaré, dans une rare démonstration de cohésion. Ce geste visait à rallier les militaires, dont l’influence reste centrale dans la politique thaïlandaise. Pourtant, cette tentative pourrait ne pas suffire à calmer les tensions.
Fait marquant : La Thaïlande a connu 12 coups d’État réussis depuis 1932, l’année où la monarchie absolue a pris fin. L’armée reste un acteur clé du pouvoir.
L’Armée : Alliée ou Menace ?
L’histoire de la Thaïlande est marquée par l’ombre des militaires. Depuis la fin de la monarchie absolue, ils ont orchestré une douzaine de coups d’État, dont deux contre des membres de la famille Shinawatra : Thaksin, le père de Paetongtarn, et Yingluck, sa tante. Ces interventions ont alimenté une rivalité tenace entre l’armée et la dynastie Shinawatra.
Dans le contexte actuel, l’armée a réaffirmé son attachement aux « principes démocratiques » tout en soulignant sa readiness à défendre la souveraineté nationale. Ce discours ambigu laisse planer le spectre d’une intervention, bien que les militaires semblent, pour l’instant, privilégier les mécanismes légaux.
Paetongtarn, en s’excusant publiquement, espère apaiser les généraux. Mais la fracture est profonde, et les rumeurs d’un nouveau coup d’État circulent dans les cercles politiques.
Une Coalition en Éclats
La défection du parti Bhumjaithai a laissé le Pheu Thai, parti au pouvoir, dans une position précaire. Des discussions entre l’United Thai Nation (UTN), proche des militaires, et le Parti démocrate sont en cours pour déterminer l’avenir de la coalition. Deux scénarios émergent :
- Dissolution du Parlement : Des élections anticipées pourraient être organisées dans les 60 jours, un pari risqué dans un climat tendu.
- Nouveau chef de gouvernement : Une majorité similaire pourrait nommer un autre dirigeant, évitant ainsi un scrutin.
Ces options reflètent l’instabilité chronique du système politique thaïlandais, où les alliances se font et se défont au gré des crises.
L’Opposition Monte au Créneau
Face à cette tourmente, l’opposition ne reste pas silencieuse. Le parti du Peuple, héritier du mouvement réformiste Move Forward dissous après sa victoire aux législatives de 2023, a appelé à la démission de Paetongtarn. Son leader, Natthaphong Ruengpanyawut, a dénoncé une « crise au plus haut niveau » qui a érodé la confiance du peuple.
« Le peuple exige un gouvernement qui puisse résoudre les problèmes, et la seule manière d’y parvenir, c’est d’avoir un gouvernement légitime. »
Natthaphong Ruengpanyawut
Une autre frange de l’opposition, proche de l’armée, a critiqué l’attitude de la Première ministre, jugée irresponsable. À Bangkok, des centaines de manifestants, dont d’anciens « Chemises jaunes » soutenant la monarchie, ont défilé devant le palais du gouvernement pour exiger son départ.
Les Tensions à la Frontière : Une Toile de Fond Explosive
La crise politique s’inscrit dans un contexte régional tendu. Fin mai, un échange de tirs à la frontière avec le Cambodge a coûté la vie à un soldat khmer, ravivant les différends entre les deux pays. Paetongtarn a tenté d’apaiser la situation en s’adressant à Hun Sen, mais son initiative s’est retournée contre elle.
Le ministère thaïlandais des Affaires étrangères a protesté officiellement auprès de l’ambassadeur cambodgien, dénonçant la publication de l’enregistrement. Cette affaire a mis en lumière la délicatesse des relations diplomatiques dans une région où les rivalités historiques restent vives.
L’Ombre de Thaksin Shinawatra
Derrière Paetongtarn plane la figure de son père, Thaksin Shinawatra, milliardaire et ancien Premier ministre. Considéré comme corrompu et populiste par l’armée, Thaksin reste une figure polarisante. Sa famille domine la politique thaïlandaise depuis deux décennies, mais chaque tentative de gouverner s’est heurtée à l’opposition des élites traditionnelles et des militaires.
Les « Chemises rouges », soutiens historiques des Shinawatra, contrastent avec les « Chemises jaunes », défenseurs de la monarchie et de l’ordre établi. Ces divisions, ancrées dans la société thaïlandaise, alimentent les tensions actuelles.
Faction | Position |
---|---|
Chemises rouges | Soutiennent les Shinawatra et le Pheu Thai |
Chemises jaunes | Soutiennent la monarchie et s’opposent aux Shinawatra |
Un Contexte Économique Fragile
La crise politique intervient à un moment critique pour l’économie thaïlandaise. Le royaume, dépendant des exportations et du tourisme, est fragilisé par une offensive protectionniste mondiale, notamment américaine. Cette conjoncture menace de freiner la croissance, rendant la stabilité politique encore plus cruciale.
Un gouvernement instable pourrait aggraver les défis économiques, décourageant les investisseurs et compliquant les réformes nécessaires. La Thaïlande, déjà confrontée à des inégalités sociales marquées, risque de voir les tensions s’exacerber.
Vers une Issue Incertaine
La Thaïlande se trouve à un carrefour. La démission de Paetongtarn, des élections anticipées ou un remaniement gouvernemental sont autant de possibilités. Mais chacune comporte des risques : un scrutin pourrait raviver les divisions, tandis qu’un nouveau chef de gouvernement pourrait manquer de légitimité.
Pour l’instant, Paetongtarn s’accroche au pouvoir, mais sa marge de manœuvre est étroite. L’unité qu’elle appelle de ses vœux semble difficile à atteindre dans un pays où les rivalités historiques entre l’armée, la monarchie et les forces réformistes continuent de façonner la scène politique.
Ce drame politique, mêlant trahisons, excuses publiques et jeux d’alliances, illustre la complexité de la Thaïlande contemporaine. Reste à savoir si le royaume parviendra à surmonter cette énième crise ou s’il sombrera dans un nouveau cycle d’instabilité.