ÉconomieInternational

Tensions Géopolitiques : Les Taïwanais en Chine

Les industriels taïwanais fuient-ils la Chine sous la pression géopolitique et économique ? Découvrez leur exode et ses enjeux...

Dans les rues animées de Kunshan, près de Shanghai, les temples colorés et les boutiques typiques rappellent une forte présence taïwanaise. Pourtant, derrière cette apparence prospère, une réalité plus complexe se dessine. Les industriels taïwanais, jadis piliers du miracle économique chinois, font face à un dilemme : rester ou partir, pris entre les tensions géopolitiques croissantes et une économie en mutation. Leur histoire, riche et tumultueuse, reflète les défis d’un monde globalisé où politique et commerce s’entremêlent.

Une Épopée Taïwanaise en Terre Chinoise

Depuis les années 1990, les entrepreneurs taïwanais, surnommés Taishang en mandarin, ont joué un rôle clé dans l’essor industriel de la Chine. Attirés par des coûts bas, une main-d’œuvre abondante et une langue commune, ils ont investi massivement, transformant des champs de riz en usines modernes. Des figures comme Terry Gou, patron de Foxconn, ont bâti des empires, assemblant des produits emblématiques comme les iPhones d’Apple. À Kunshan, bastion de ces investissements, plus de 100 000 Taïwanais vivaient au début des années 2010, créant une véritable enclave économique.

Ces hommes et femmes d’affaires ont profité de mesures préférentielles offertes par Pékin, agissant comme des ponts entre les marchés mondiaux et la production chinoise. Leur succès a coïncidé avec trois décennies de croissance fulgurante, souvent qualifiées d’âge d’or de l’industrie chinoise. Mais aujourd’hui, ce tableau idyllique s’effrite, et les raisons de ce changement sont multiples.

Un Exode Silencieux

En 2022, seuls 177 000 Taïwanais travaillaient encore en Chine, contre 409 000 en 2009, selon des données fournies par un organisme facilitant les échanges entre Taipei et Pékin. Cette chute spectaculaire s’explique par plusieurs facteurs. D’abord, le ralentissement de l’économie chinoise, marquée par des difficultés structurelles et la pandémie, a réduit les perspectives de croissance. Ensuite, la guerre commerciale entre la Chine et les États-Unis a imposé des barrières tarifaires et des restrictions, compliquant les opérations des entreprises taïwanaises.

« Nous pensions que l’économie chinoise continuerait de s’améliorer grâce à son immense marché, mais cela ne s’est pas concrétisé », confie un industriel taïwanais.

Enfin, les tensions politiques entre Pékin et Taipei pèsent lourdement. Le Parti communiste chinois, qui revendique Taïwan comme partie intégrante de son territoire, a durci sa rhétorique ces dernières années. Des lois répressives, punissant jusqu’à la peine de mort certaines activités qualifiées de « sécessionnistes », ont semé la peur parmi les Taishang. Ces mesures, bien que rarement appliquées, créent un climat d’incertitude.

La Peur au Quotidien

Pour beaucoup d’entrepreneurs, la Chine n’est plus un terrain sûr. Un industriel de 78 ans, ayant fermé son usine dans le Guangdong en 2022, explique son choix par la nécessité de « faire attention à ce qui est dit ». Les craintes ne se limitent pas aux discours : des cas de détentions provisoires d’hommes d’affaires taïwanais, souvent liés à des différends commerciaux instrumentalisés, ont renforcé ce sentiment d’insécurité.

« Nous n’envoyons plus d’employés taïwanais en Chine, car nous ne savons pas comment garantir leur sécurité. »

Ce climat a poussé certaines entreprises à limiter la présence de leur personnel taïwanais sur place, voire à cesser totalement leurs activités. À Kunshan, le nombre d’entreprises taïwanaises est passé de plus de 10 000 à moins de 5 000 en une décennie. Ce repli n’est pas seulement économique : il reflète une méfiance croissante face à un environnement politique imprévisible.

Kunshan, Symbole d’un Âge Révolu

Kunshan incarne à elle seule l’ascension et le déclin de la présence taïwanaise en Chine. Dans les années 1990, cette ville n’était qu’un vaste champ agricole. Aujourd’hui, elle abrite des usines modernes et des parcs technologiques, comme celui dirigé par une entrepreneuse taïwanaise arrivée en 1996. Cette dernière, à la tête d’une usine de produits électroniques, se souvient d’une époque où tout semblait possible.

Pourtant, même à Kunshan, les stigmates du changement sont visibles. Les rues commerçantes, autrefois bondées de Taïwanais, se vident peu à peu. Les entreprises restantes se concentrent sur le marché intérieur chinois, mais les marges se réduisent, et la concurrence s’intensifie. Pour beaucoup, l’avenir semble ailleurs.

Nouvelles Destinations, Nouveaux Défis

Face à ces obstacles, les Taishang explorent d’autres horizons. Le Vietnam, la Thaïlande, l’Indonésie et les Philippines attirent de plus en plus d’investissements. Entre 2016 et 2024, les flux taïwanais vers le Vietnam ont bondi de 129 %, passant de 452 à 1 033 millions de dollars. À l’inverse, ceux vers la Chine ont chuté de 62 % sur la même période.

DestinationÉvolution des Investissements (2016-2024)
Vietnam+129 %
Chine-62 %

Ces nouvelles destinations offrent des coûts de production compétitifs et un environnement politique moins tendu. Certains entrepreneurs choisissent même de revenir à Taïwan, où le gouvernement encourage le rapatriement des capitaux. Cependant, ces délocalisations ne sont pas sans risques : infrastructures moins développées, main-d’œuvre moins qualifiée et instabilité régionale sont autant de défis à relever.

Un Enjeu Géopolitique Majeur

Pour Pékin, la fuite des Taishang représente plus qu’une perte économique. Ces entrepreneurs étaient vus comme des vecteurs d’intégration entre les deux rives du détroit de Taïwan. Leur départ fragilise la stratégie chinoise visant à rapprocher Taïwan par des liens économiques. À l’inverse, pour Taipei, ce repli renforce l’idée d’une diversification nécessaire face à la dépendance envers la Chine.

Les Taishang, eux, se retrouvent au cœur d’un jeu d’échecs géopolitique. Certains, comme un industriel du Jiangxi, persistent en se concentrant sur les commandes locales. Mais même pour eux, l’avenir reste incertain. « Si l’environnement des affaires continue de se dégrader, nous n’aurons d’autre choix que de partir », résume-t-il.

Vers un Nouvel Équilibre ?

L’histoire des Taishang en Chine est celle d’une réussite spectaculaire, mais aussi d’une adaptation constante. Leur exode actuel reflète les mutations d’un monde où les rivalités géopolitiques redessinent les chaînes d’approvisionnement. Pour les entrepreneurs taïwanais, le défi est de trouver un équilibre entre opportunités économiques et sécurité, dans un contexte où chaque décision peut avoir des répercussions politiques.

À Kunshan, les temples taïwanais et les usines témoignent encore d’un passé glorieux. Mais pour combien de temps ? Alors que les Taishang se tournent vers de nouveaux horizons, leur départ marque peut-être la fin d’une époque. Une chose est sûre : leur résilience et leur capacité à naviguer dans des eaux troubles continueront de façonner l’avenir de l’Asie.

Passionné et dévoué, j'explore sans cesse les nouvelles frontières de l'information et de la technologie. Pour explorer les options de sponsoring, contactez-nous.