Imaginez un pays où la liberté est un mot oublié, où chaque voix dissidente s’évanouit dans l’ombre, et où le simple fait de vivre semble être une lutte quotidienne. Ce pays existe, niché dans la Corne de l’Afrique, et il s’appelle l’Érythrée. Dirigé depuis plus de trente ans par un régime inflexible, ce petit État de 3,5 millions d’habitants fait face à une crise des droits humains qualifiée de « systémique » par un expert des Nations unies. Mais que signifie vraiment ce terme, et quelle est la réalité derrière ces accusations ? Plongeons dans l’histoire et les faits pour mieux comprendre.
Un Pays Sous Emprise Autoritaire
L’Érythrée, souvent comparée à une forteresse isolée, vit sous la férule d’un homme : Issaias Afeworki. À 79 ans, cet ancien héros de l’indépendance, obtenue en 1991 après une guerre acharnée contre l’Éthiopie, dirige le pays sans partage. Aucune élection n’a jamais été organisée, et le régime à parti unique ne tolère aucune opposition. Cette mainmise totale a transformé l’Érythrée en un État où la répression est omniprésente, touchant chaque aspect de la vie des citoyens.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes. En 2025, l’Érythrée se classe 180e sur 180 dans l’index mondial de la liberté de la presse, selon une organisation internationale. En matière de développement humain, elle stagne à la 175e place sur 183 en 2022, selon des données onusiennes. Ces statistiques dressent le portrait d’un pays où les libertés fondamentales sont écrasées et où le progrès social semble figé.
Des Violations « Systémiques » : Qu’est-ce que Cela Signifie ?
Le terme « systémique » utilisé par Mohamed Abdelsalam Babiker, expert des Nations unies, n’est pas choisi au hasard. Il désigne des abus des droits humains qui ne sont pas des incidents isolés, mais des pratiques profondément ancrées dans le fonctionnement de l’État. Ces violations touchent des milliers de personnes et se manifestent sous diverses formes, de la détention arbitraire à l’enrôlement forcé.
« À ceux qui sont détenus sans inculpation ni procès, dont on n’a plus entendu parler depuis des décennies, vos noms continueront d’être prononcés. »
Mohamed Abdelsalam Babiker, rapporteur spécial de l’ONU
Cette déclaration poignante souligne la gravité de la situation. Des citoyens, parfois arrêtés pour de simples soupçons de dissidence, disparaissent sans laisser de trace. Ces détentions, souvent dans des conditions inhumaines, sont un outil de contrôle pour maintenir la population dans la peur.
Le Service National : Une Forme d’Esclavage Moderne
L’un des aspects les plus controversés du régime érythréen est son service national. Obligatoire pour tous les citoyens, hommes et femmes, ce programme peut durer indéfiniment, parfois toute une vie. Les conscrits sont affectés à des tâches militaires ou civiles, souvent dans des conditions proches du travail forcé. Les Nations unies ont qualifié ce système d’esclavage moderne, une accusation que le gouvernement rejette catégoriquement.
Pour mieux comprendre l’impact de ce service, voici quelques réalités vécues par les Érythréens :
- Durée indéterminée : Les conscrits peuvent être mobilisés pendant des décennies sans perspective de libération.
- Conditions difficiles : Les salaires sont minimes, et les conscrits travaillent souvent dans des environnements hostiles.
- Fuites massives : Ce système pousse des milliers de jeunes à fuir le pays, bravant les dangers de la migration.
Cette situation alimente un exode massif. Chaque année, des Érythréens risquent leur vie pour rejoindre l’Europe ou d’autres régions, fuyant un avenir sans espoir. Ce phénomène a des conséquences dramatiques, tant pour les individus que pour le pays, qui perd une partie de sa jeunesse.
Un Pays Fermé au Monde
L’isolement de l’Érythrée est un autre facteur clé de cette crise. Le pays, parfois surnommé la « Corée du Nord de l’Afrique », limite strictement les interactions avec l’extérieur. Les experts internationaux, comme le rapporteur de l’ONU, se voient refuser l’accès au territoire, rendant difficile la collecte d’informations directes. Cette opacité renforce le sentiment d’impunité du régime.
Le représentant érythréen à Genève, Habtom Zerai, a critiqué le rapport de l’ONU, le qualifiant de partial et dépourvu d’objectivité. Cette réponse illustre la posture défensive du gouvernement, qui rejette systématiquement les accusations portées contre lui.
Les Accusations de Crimes de Guerre
La situation des droits humains en Érythrée ne se limite pas à ses frontières. Entre 2020 et 2022, l’armée érythréenne a été impliquée dans le conflit au Tigré, une région du nord de l’Éthiopie. Des organisations internationales ont accusé les forces érythréennes de crimes de guerre, notamment des massacres et des violences contre les civils. Ces allégations, bien que niées par le gouvernement d’Asmara, ont terni davantage l’image du pays sur la scène internationale.
Pour structurer ces accusations, voici un aperçu des faits reprochés :
Type d’accusation | Description |
---|---|
Massacres | Meurtres ciblés de civils dans des villages du Tigré. |
Violences sexuelles | Agressions rapportées contre des femmes et des filles. |
Pillages | Destruction et vol de biens appartenant à des civils. |
Ces actes ont amplifié les appels à la justice internationale, bien que les chances de poursuites restent minces en raison de la protection dont bénéficie le régime.
Un Héritage d’Indépendance Assombri
L’Érythrée a conquis son indépendance au prix d’un lourd sacrifice. La guerre contre l’Éthiopie, qui a duré près de trente ans, a forgé une identité nationale forte, mais aussi une mentalité de siège. Issaias Afeworki, figure centrale de cette lutte, a justifié la répression par la nécessité de protéger la souveraineté du pays. Cependant, cet argument perd de sa force face aux souffrances infligées à la population.
Le régime a transformé l’héritage de l’indépendance en un outil de contrôle. Les citoyens sont constamment surveillés, et toute critique est perçue comme une trahison. Cette paranoïa a conduit à la création d’un réseau de prisons secrètes, surnommées le « goulag érythréen », où les dissidents sont envoyés sans jugement.
Pourquoi le Silence International ?
Face à une crise aussi grave, on pourrait s’attendre à une mobilisation mondiale. Pourtant, l’Érythrée reste largement absente des débats internationaux. Plusieurs raisons expliquent ce silence :
- Faible visibilité médiatique : L’isolement du pays limite les reportages sur le terrain.
- Enjeux géopolitiques : La Corne de l’Afrique est une région stratégique, et certains acteurs préfèrent ménager Asmara.
- Manque de ressources : Les organisations internationales peinent à enquêter dans un pays fermé.
Ce manque d’attention aggrave la situation, laissant les Érythréens seuls face à leur sort. Cependant, des voix comme celle de l’expert de l’ONU continuent de porter leur message, espérant un jour briser ce cycle d’oppression.
Quel Avenir pour l’Érythrée ?
La question de l’avenir de l’Érythrée est complexe. Tant que le régime actuel reste en place, les chances de réforme semblent minces. Issaias Afeworki, au pouvoir depuis plus de trois décennies, n’a montré aucun signe d’ouverture. Pourtant, des facteurs pourraient changer la donne :
- Pressions internationales : Une action concertée pourrait forcer le régime à dialoguer.
- Changements internes : Une nouvelle génération pourrait émerger, moins encline à accepter la répression.
- Crises économiques : Les sanctions et l’isolement pourraient fragiliser le pouvoir.
Pour l’instant, l’espoir repose sur la résilience des Érythréens eux-mêmes. Malgré les épreuves, beaucoup continuent de rêver d’un pays où la liberté ne serait pas un luxe. Comme l’a dit l’expert de l’ONU, les noms des victimes ne seront pas oubliés, et leur lutte continue d’inspirer.
En conclusion, la crise des droits humains en Érythrée est un drame qui interpelle la conscience mondiale. Derrière les chiffres et les rapports se cachent des vies brisées, des familles séparées, et un peuple en quête de dignité. Combien de temps encore ce silence durera-t-il ? La réponse dépend de nous tous.